Créatures des ombres

Par Nascana

Ramon prit une grande respiration avant de tourner la poignée de la porte. À chaque fois qu’il allait au sous-sol, c’était la même appréhension qui le prenait. Il poussa le battant lentement, mais se figea au moment de descendre les marches.

Son cœur se mit à battre à tout rompre. Il ne voulait pas y aller.

Sibylle, sa sœur, se posta à son côté.

– Je vais venir avec toi.

Il hocha la tête, et la remercia mentalement. C’était quand même un comble qu’il est besoin de sa petite sœur, pour une chose aussi banale qu’aller chercher une bouteille de vin pour son père.

Prenant sa main, Sibylle le guida.

Au départ tout allait bien, ils ne les entendaient pas. Tout était normal.

Une fois en bas, ils allumèrent. On se trouvait dans un sous-sol en tout point semblable à ceux des autres : encombré des meubles qu’on n’avait pas envie de voir telle que la machine à laver ou un buffet qui servait à stocker des vieux jouets qui n’intéressaient plus les deux enfants. Ils se dirigèrent vers le coin où leurs parents stockaient les denrées alimentaires.

– Ramon… murmura une voix.

– Je les entends.

Il tourna la tête pour savoir d’où venait la voix, mais sa sœur le tira par la manche.

– Ne les regarde pas !

Aussitôt, il baissa la tête sur le sol. Il crut pourtant distinguer du coin de l’œil, une ombre qui s’étendait. En fermant les yeux, il la fit disparaître. Pour le son, c’était plus difficile. Entraîné par sa sœur, il la suivit docilement.

– Arrête-toi, nous sommes devant le casier.

Ramon s’immobilisa.

– Je prends laquelle ?

Il ouvrit un œil prudent. Son regard se concentra sur les bouteilles et il fit abstraction des bruits, des appels et des images qu’il percevait à la périphérie de son champ de vision.

Se saisissant du vin que lui avait demandé son père, il hocha la tête.

– On peut y aller.

À nouveau, sa sœur le guida, jusqu’à ce qu’il puisse quitter cet endroit oppressant. Évidemment, ses parents ne comprenaient pas le problème. Pour eux, c’était juste de la mauvaise volonté. Il n’avait pas envie de se bouger les fesses, ce qui était faux. Il aurait préféré courir autour de la maison cinquante fois, plutôt que de descendre au sous-sol.

 

***

 

Un hiver, alors qu’il était seul avec son père et que la nuit était tombée, la lumière s’éteignit. Cela fut suivi d’un grand fracas. Ramon fit un bond et sauta du canapé. Il attendit, sans un mot, sans bouger que le courant revienne. Finalement comme rien ne se passait, il dut se résoudre à prendre une décision. Avançant sa jambe lentement, il prit soin de ne pas se cogner sur la table basse. À petits pas, le jeune garçon gagna la fenêtre.

Dehors, les lampadaires dispensaient leur lumière sur le trottoir. La coupure n’était donc pas généralisée, mais concernée leur maison. Du coup, ça voulait dire que ça venait de chez eux. Où était donc papa ? Il aurait dû remettre l’électricité depuis longtemps.

À moins que…

Il repensa au bruit qu’il avait entendu juste après que l’obscurité ait envahi l’habitation. Un frisson glissa le long de son dos.

– Papa ? appela-t-il.

Aucune réponse ne lui parvint.

Une angoisse sourde l’habitait. Le disjoncteur était en bas : au sous-sol. Mais le souci, c’était que visiblement, son père y était aussi. Que devait-il faire ? Attendre le retour de sa mère ? Cela pouvait prendre du temps et il ne savait pas ce qui arriverait à son père dans l’intervalle. Descendre ?

Cette simple idée le terrifiait. Seulement, il ne pouvait pas l’abandonner sans savoir comment il allait.

Après avoir pris une grande respiration, Ramon se dirigea vers la cuisine, avec les mains en avant pour éviter de rentrer dans un mur ou n’importe quoi d’autre se trouvant sur son chemin. Il progressa lentement, et y arriva sans heurt.

Il lui restait à présent à trouver la bonne porte. À tâtons, le jeune garçon chercha la poignée. Les allumettes étaient rangées sur le deuxième étage, tout à gauche. Il en récupéra une boite. Une première chose de faite. Il y eut une étincelle puis une petite flamme se dressa dans la nuit. À présent, il lui fallait trouver les bougies. Au moins pour ça, il n’avait pas besoin de se poser des questions. Ramon en récupéra une sur le buffet de l’entrée, avant de l’allumer. Tant pis, si elle était là pour faire joli et qu’il ne fallait pas y toucher.

Armée d’une faible source de lumière, il ne lui restait plus qu’à faire le grand saut. Sans savoir pourquoi, il actionna l’interrupteur comme si cela pouvait lui permettre de faire revenir l’électricité par magie. Il n’en fut rien.

Sa main ouvrit la porte, il se positionna devant l’escalier, souffle retenu. C’était encore pire ici.

– Ramon…

Le garçon dû prendre sur lui pour ne pas claquer la porte et courir vers sa chambre. Cela n’aurait aidé personne.

Son chausson se posa sur la première marche. Rien ne se passa.

– Papa ? tenta-t-il.

Aucune réponse ne lui parvint. Il n’avait plus le choix, il lui fallait descendre.

Il fixa le béton, enfin le peu qu’il en voyait. En parvenant à garder les yeux dessus, il éviterait de se laisser entraîner. Seulement, c’était plus facile à dire qu’à faire parce que relever la tête pour se diriger était utile.

À chacun de ses regards, il croyait voir des ombres se déployer pour glisser jusqu’à lui. Que se passerait-il si jamais elles venaient à le toucher ? Ramon ne préférait pas y penser, c’était une source de stress supplémentaire dans cette situation.

Il leva le bras droit devant lui. La lueur vacillante se propagea sur les murs.

– Papa ?

Se rendant compte qu’il venait de chuchoter, il répéta à voix haute.

Où est-ce qu’il pouvait être ?

De l’air froid traversa son pull et il fit volte-face. Il n’y avait personne, jusqu’à ce qu’il aperçoive des yeux brillants entourés de ténèbres qui le fixaient. Dans un réflexe insensé, le jeune garçon jeta la bougie vers l’apparition, avant de prendre ses jambes à son cou.

Se retrouvant dans le noir, il buta contre une porte qu’il ouvrit et se réfugia dans la chambre d’ami que ses parents avaient aménagée. Ceux-ci avaient toujours trouvé original qu’il y est une pièce de créer dans le sous-sol.

Ramon se colla entre le mur et le bois du lit. Il n’avait qu’une seule envie, pleurer toutes les larmes de son corps. Cela ne l’aiderait à rien. Son cœur battait à tout rompre.

Ses yeux se fermèrent pour faire abstraction des voix qui l’appelaient.

Brusquement, une voix le ramena à la réalité.

– Ramon, viens !

Une main froide se glissa dans la sienne. Un soupir de soulagement le prit. Sibylle était là. Cela ne pouvait vouloir dire qu’une chose, sa mère était de retour.

Il se releva. Sa sœur l’emmenait sûrement vers l’escalier. Ils quittèrent la pièce à petits pas.

– Il est là.

Que voulait-elle dire ?

En se penchant, il sentit un corps chaud, celui de son père. Il était étendu sur le sol. Mais qu’est-ce qu’il faisait ici ?

– Sibylle ?

Il comprit un peu trop tard que la main dans la sienne n’était pas celle de sa sœur.

Un hurlement grandit dans sa gorge, sans oser sortir.

– Tu veux bien m’aider Ramon ? murmura une petite voix.

Il n’en avait aucune envie. Ce qu’il voulait, c’était juste que son père se réveille, et fuir cet endroit au plus vite.

– S’il te plaît, Ramon, reprit son interlocutrice.

Des mouvements d’air autour de lui, lui annoncèrent que d’autres monstres tentaient de l’entourer.

Se détachant de l’étreinte glacée, il récupéra la première chose qui lui passa sous la main. C’était lourd et dur à manier. Sûrement l’un des outils de jardin, auxquels il lui était interdit de toucher.

– Arrière sinon !

Le fracas d’un bocal qui se casse le ramena à la réalité. Il ne voyait rien et essayer de faire peur à des créatures inconnues à l’aide d’une binette.

Il fallait qu’il s’éloigne de son père parce que lui faire tomber des boites de conserves dessus, ne paraissait pas la meilleure des idées.

Ramon recula, faisant racler au sol son arme improvisée. Le sol lui fit mal aux oreilles, en plus de lui donner la chair de poule.

Il fallait qu’il sorte de là. Courir n’était pas la bonne solution.

Un souffle d’air lui parvint sur sa gauche, le faisant dévier de sa trajectoire. Au final, il regagna avec un peu de mal la chambre. Mais qu’est-ce qu’il faisait là ? L’idée aurait été qu’il remonte à l’étage pour abandonner tous ses cauchemars qui le poursuivaient, pas qu’il se terre dans un coin où il était vulnérable.

– Ramon…

– Non ! Cassez-vous ! Foutez-moi la paix !

Il se remit à agiter la binette. Sentant un souffle d’air, il la balança droit devant lui. Avec un peu de chance, ça lui laisserait le temps de s’enfuir.

Un bruit attira son attention. Il tira sur le manche, mais celui-ci résista. Pendant une demi-seconde, Ramon se dit qu’il avait tué la créature. Ensuite, la réalité le frappa. Il avait juste planté l’outil de jardin dans le mur.

Génial, il allait se faire tuer par ses parents.

Tirant du plus fort qu’il le pouvait, il le récupéra, alors que des morceaux de plâtre tombés au sol.

Il n’y eut plus un bruit, s’en était presque assourdissant.

– Merci…

Plusieurs voix résonnèrent l’entourant. Cela ne dura que quelques secondes avant qu’elles ne disparaissent.

Brusquement, il ne ressentit plus rien. Il était seul. Les créatures étaient parties.

Abandonnant sa binette, Ramon s’en retourna vers l’endroit où se trouvait son père. Il glissa et faillit tomber alors qu’une odeur de vinaigre lui envahit les narines, il avait dû casser un bocal de cornichons.

À tâtons, il trouva le meuble où étaient les compteurs. Il ouvrit la porte et chercha la molette baissée. Une fois remontée, la lumière revint.

Le sous-sol lui parut plus accueillant que jamais. Ramon se précipita sur son père. Il le secoua en hurlant :

– Papa ! Papa !

Le corps bougea mollement, avant d’ouvrir les yeux.

Son géniteur le regarda, avant de froncer les sourcils.

– Tu es descendu ?

– Oui.

– Qu’est-ce qui sent comme ça ?

– Un bocal de cornichon que j’ai cassé…

Il repensa à la bougie qu’il avait jetée ou à la binette dans le mur. Mieux valait filer avant d’attirer trop l’attention sur son cas.

Alors qu’il s’apprêtait à remonter en catimini, un hurlement attira son attention.

– Qu’est-ce que… Ramon !

Sachant bien qu’il ne pourrait guère fuir plus loin, il regagna la chambre. Son père était là, immobile, et il mit quelques secondes à comprendre ce qui retenait son attention. Par le trou qu’il avait fait dans le mur, on pouvait voir apparaître un crâne humain recouvert d’une couche de peau momifiée.

Devant ce spectacle, Ramon ne put retenir son cri et se mit à hurler de terreur.

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Yvaine
Posté le 17/08/2020
Hello Nascana !
Ce texte est captivant, tu réussis à nous faire comprendre l'angoisse de Ramon dans un laps de temps assez court. Aimer les personnages, aussi ; Sibylle est tout particulièrement adorable. Surtout, tu effraies, avec des événements dignes d'un film d'horreur...
J'ai remarqué une petite erreur ici : "alors que des morceaux de plâtre tombés au sol".
Au plaisir de te lire !
Nascana
Posté le 18/08/2020
Merci beaucoup. Je suis contente que cela t'es plu.

Désolée pour la faute.
Alex Godness
Posté le 06/07/2020
Très content d'avoir trouvé ce lien en premier, j'aime beaucoup ton histoire. Néanmoins, je trouve que Ramon a l'air du genre à dire "Recules !" plutôt que "Arrière !" qui fait plus vieillot. Mais sinon, tes mots évoquent les sueurs froides, bien joué Nascana.

Bon, où est mon doudou... je dors pas seul ce soir :O
Nascana
Posté le 06/07/2020
Merci beaucoup, je suis contente que cette petite nouvelle t'est plu.

"Arrière", ça me fait penser à un jeu vidéo, je sais pas pourquoi.
Xendor
Posté le 01/06/2020
Aïe aïe aïe. Thriller ! Bigre, je salue ta manière de maintenir le suspense de l'horreur et de la peur. Et puis la fin où on découvre les corps momifié, on est un peu comme Ramon, presque à crier. Chapeau pour cette interprétation :)
Nascana
Posté le 02/06/2020
Merci beaucoup, je suis contente que cela t'es fait frissonné.
Elore
Posté le 18/05/2020
Hello Nascana !

Je découvre ta plume avec cette nouvelle et quelle découverte ! J'adore l'ambiance que tu parviens à instaurer en jouant sur des peurs primaires mais qui marchent terriblement bien. Ton narrateur fait très vivant aussi, avec ses peurs extraordinaires mais aussi ordinaires (se faire gronder à cause du trou dans le mur, etc). Et en parlant de trou, quelle chute ! J'en ai frissonné.

J'ai aperçu quelques coquilles et je me suis dit que ce serait plus facile pour toi si je te les signalais !
« C’était quand même un comble qu’il est besoin de sa petite sœur » -> ait 
« La coupure n’était donc pas généralisée, mais concernée leur maison. » -> concernait
« Ceux-ci avaient toujours trouvé original qu’il y est une pièce de créer dans le sous-sol. » -> ait
« Il ne voyait rien et essayer de faire peur à des créatures inconnues à l’aide d’une binette. » -> essayait

Merci beaucoup pour ce chouette moment de lecture ! :)
Nascana
Posté le 20/05/2020
Coucou,

Je te remercie pour ton commentaire. Je suis contente que cela t'es fait un peu peur. J'avais peur que cela ne fonctionne pas.

Oui, Ramon a plus peur de se faire disputer pour le trou dans le mur, parce que ses parents, il peut moins les fuir que les fantômes ^^.
Alice_Lath
Posté le 10/05/2020
Il fallait pas prendre Ramon... Pour un jambon mdrrrr Bref, c'était le calembour du jour. En dehors de ça, j'ai beaucoup aimé comment tu as joué sur les peurs primaires de l'enfant au sujet de la cave et des ombres. J'adore également les histoires gothiques de fantômes et de corps emmurés donc je suis servie haha. En plus, tu as une plume diablement dynamique, qui se dévore très facilement, enfin bref, une très bonne lecture pour moi, j'ai passé un super moment!
Nascana
Posté le 14/05/2020
Coucou,

Merci beaucoup. Je suis contente que cela t'es plu. Ils ne laissent pas indifférent ces fantômes ^^.
Zig
Posté le 10/05/2020
Coucou !

Wow ! J'adore ! La tradition du corps emmuré, découvert après l'entente de voix, c'est un classique que j'adore et que tu dépoussières vraiment bien !
Je trouve ta plume fluide, et percutante, j'ai beaucoup apprécié.

D'un point de vue plus personnel, j'ai moins aimé la séparation en première et deuxième partie... Dans un roman c'est pertinent pour attirer l'attention, dans une Nouvelle je trouve que c'est moins percutant. La rupture a un peu cassé l'aura de mystère qui l'avait happée avec la première partie (mais que tu es très bien arrivée à remettre en place).

Ca ne m'a pas empêchée de passer un bon moment !
Nascana
Posté le 14/05/2020
Coucou,

J'avoue que c'était pas super original, mais ça fait son petit effet.

Dans la première partie, je voulais montrer qu'il avait peur et dans la deuxième qu'il parvenait à dépasser ses peurs.

Merci beaucoup.
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 08/05/2020
Hello Nascana !
La tension montait de plus en plus au fur du texte et je commençais à avoir peur de la chute ! :D
Je n'ai pas été déçue. J'ai la chair de poule maintenant, j'espère ne pas faire de cauchemars cette nuit :D
Bravo à toi pour avoir relevé le défi !
Nascana
Posté le 09/05/2020
Coucou,

Désolée, j'espère que ça n'a pas été trop dur. Merci pour ta lecture.
_HP_
Posté le 08/05/2020
Hello !!

Ce titre correspond tellement bien !!
J'était plongée dans la cave, avec Ramon, c'était vraiment prenant !
C'est vraiment pas ce que je lis habituellement, mais j'ai beaucoup aimé cette nouvelle (bon, je l'avoue, j'aurais pas tenu un roman entier sur ce thème 😅). Elle était très bien écrite, bravo !

"La coupure n’était donc pas généralisée, mais concernée leur maison" → concernait
"Ceux-ci avaient toujours trouvé original qu’il y est une pièce de créer dans le sous-sol" → "créée" / je crois que c'est "qu'il y ait" ^^
Nascana
Posté le 08/05/2020
Merci beaucoup.

Après, je ne me voyais pas faire un roman entier sur le thème. J'ai pas fais ça souvent et je suis contente si cela t'as bien plu.
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