Sans un mot, je m’avance sur l’allée qui traverse les jardins. Je connais les lieux, mais personne ne le sait. J’ai déjà foulé ces pavés. J’y ai même couru pour pouvoir le retrouver plus vite. Ce soir, tout est semblable et en même temps différent. Semblable parce que les lieux n’ont pas changé. Différent, car je ne suis plus la même.
J’ai donné beaucoup pour obtenir ce que je désirais, et je l’ai fait sans regret. Je ne suis plus vraiment moi-même. Mon cœur blessé saigne à l’intérieur de mon corps. Encore un pas, encore une goutte de sang. C’est invisible, mais je peux le sentir.
Autour de moi, résonnent les rires. Tous les participants ont revêtu leurs tenues de fête. C’est la règle. En cette soirée, tout le monde doit venir masquer. Les visages ne seront révélés qu’à minuit, ainsi chacun connaîtra la personne qu’il aura le bonheur d’épouser.
Certains trichent, je le sais. Comme cette femme avec ses gants brodés de motifs floraux. Son amant la reconnaîtra aux pétales et aux feuilles courant sur ses bras. C’est un jeu bien connu. Qui y trouverait à redire, puisque les couples se forment et s’épousent.
J’ai, moi-même, passé un déguisement. Des plumes d’un blanc pur courent sur ma face, la rendant méconnaissable. Elles décorent ma chevelure d’encre, contrastant par leur pâleur. Ce soir, je me suis fait chouette, pour toi. Si tu avais été sincère, tu aurais reçu beaucoup plus que ce que tu m’as pris.
À présent, je viens. Tu ne le sais pas encore, mais je suis là, proche. Si proche…
Sur mon passage, les gens s’écartent. Sentent-ils inconsciemment que j’ai une tâche à accomplir ? Connaissent-ils d’avance la chute ? J’en doute.
Je te remarque bien avant que tes yeux se posent sur moi. Ma robe, piquetée de plumes argentées, ne passe pas inaperçue. Sous ton loup noir, ton sourire se fait carnassier. Tu n’es vraiment qu’un animal, et moi, j’ai été trop bête pour le voir.
Une autre goutte s’échappe de mon cœur meurtri. Je n’ai plus beaucoup de temps. Cependant, je ne me fais pas de souci. Quand viendra minuit, la chouette se fera femme. À moins que cela ne soit l’inverse.
Tes yeux avides se posent sur moi. Tu fends déjà la foule pour me rejoindre. Une dernière danse avant de retrouver ta promise. Plus si tu y parviens.
Je tourne les talons. Jouons… Tu aimes tant cela. Après tout, je connais bien les lieux.
Pas après pas, je plonge au cœur de ce jardin déserté. Ici, la végétation est reine. Les arbres étendent leurs branches, désireux de réapproprier l’espace. Les lieux se font plus inquiétant la nuit, lorsque les ombres se propagent, dissimulant à notre regard tous les détails que le soleil nous révèle.
Et tu me suis toujours. L’eau coule, non loin. Je le sais, c’est là que je me rends.
Ses longues balades près de la rivière t’en souviens-tu ? Avait-elle un sens pour toi ?
Je m’appuie contre un saule, attendant avec hâte ta venue. Je n’ai pas à me languir trop longtemps, tu es déjà là. Tu te veux loup, mais tu n’es qu’un chien. Il suffit d’un rien pour te voir accourir.
– Qui es-tu, belle inconnue ?
Je repose l’étole d’une blancheur spectrale sur la branche la plus basse, dévoila la peau diaphane de mes épaules nues.
– Je ne suis qu’un pauvre oiseau égaré, qui attend minuit pour se révéler.
Tu es si proche de moi. Ta main s’égare déjà sur ma taille. Ne crois-tu pas que je sais ce que tu veux ?
– Pourquoi ne pas se révéler, dès à présent ?
Mon doigt se glisse sur tes lèvres.
– Pour cela, il faudrait m’offrir une danse.
Alors tu prends ma main et m’attires à toi, trop désireux d’entrer dans mon jeu. Je souris. C’est si facile.
Pour te retenir, je me débarrasse de ce long jupon, dévoilant mes jambes fines. Encore quelques tours, et disparaît le bustier. Je ne suis plus qu’une jeune femme dont un simple bandeau cache la poitrine, alors qu’une jupe translucide ceint ma taille.
Tu me fixes avide. Ne sachant pas par où goûter ce corps exquis qui t’est dévoilé, telle une promesse de jouissance future.
– Et maintenant ? demandes-tu le sourire aux lèvres.
– Maintenant ? Que sonne minuit et que se révèle la vérité aux yeux de l’autre.
Décontenancé que le temps soit passé si vite, tu retiens ton masque. Il ne faudrait pas te compromettre.
D’un geste de la main, je te l’arrache. Tu es Pierre-Louis de Riblane, et je suis une chouette.
Tu voudrais crier. Tu voudrais d’enfuir, quand mes serres déchirent la peau fine de ton visage. Le sang coule à gros bouillons de tes plaies, alors que ton corps s’écroule sur le sol. Tu tentes encore vainement de te protéger avec tes bras, mais je n’ai aucun mal à les déchiqueter.
Paralysé par la souffrance, sentant l’odeur de la mort autour de toi, tu cesses de lutter. Je n’ai plus qu’à dévorer ton cœur, alors qu’il bat encore faiblement.
Je ne suis rien, sinon l’avatar de sa vengeance.
Lotta m’a appelé à elle, elle m’a pétrie de toute sa haine pour l’homme qui avait brisé son cœur et abusé son corps. Pour t’arrêter, elle a fait le sacrifice de sa vie.
À présence que tu n’es plus, je prends mon envol, personne ne sera choqué de voir une chouette traverser le ciel nocturne. Par contre, lorsqu’ils retrouveront ton corps, tout le monde se mettra en chasse pour traquer le coupable. Cela dit qui aurait l’idée de chercher un oiseau ? Après tout, il y en a tellement qui parcourent le ciel jour et nuit…
Après, je ne sais pas si les rapaces sont très dénonciateurs en plus ^^.
Merci beaucoup. Je suis contente que cela t'es plu.
Tu sauves Pierre-Louis aussi ?
Ça saigne ! C'est bien.
Merci pour ton passage,
Merci beaucoup. Oui, il a été puni pour l'avoir blessé ! C'est bien fait ^^.
Je m'attendais pas du tout à cette fin !! Mais elle est très jolie !
Ta nouvelle est très belle, ta plume jolie et fluide !
Tu as eu une excellente idée ! Bravo à toi !
Petites choses ^^
• "En cette soirée, tout le monde doit venir masquer" → masqué
• "Ses longues balades près de la rivière t’en souviens-tu ? Avait-elle un sens" → ces longues balades / avaient-elles
Je suis contente que la fin te surprenne. Merci pour les fautes et ta lecture.
Merci beaucoup, ça me touche ce que tu dis.
Elle sacrifie sa vie pour être sûr que sa vengeance réussisse.
Elle est vraiment très belle cette Nouvelle : courte et efficace. Je ne m'attendais pas du tout à ce genre de chose et je suis agréablement surpris c'est... vraiment marquant !
Il y a beaucoup de thèmes intéressants, beaucoup de force et une justesse des mots et du rythme qui m'épatent !
Bravo.
Merci beaucoup. Je suis contente que cela fonctionne.
C'était vraiment une nouvelle que je ne voyais pas pouvoir être plus longue.
De même, je ne la voyais pas autrement qu'à la première personne du singulier. C'est peut-être ce qui lui donne son rythme.
Je ne m'attendais pas du tout à cette interprétation de la carte et encore moins à cette fin. C'était génial ! Dommage que Lotta ait du sacrifier sa vie pour obtenir sa vengeance.
Bravo :)
Merci pour ton passage.
Elle donne sa vie pour créer un avatar de vengeance. Ainsi, elle a la certitude de pouvoir obtenir vengeance.
En tout cas, je suis contente que cela t'es surpris.
Elle est sublime cette nouvelle ❤️❤️
Teintée de détermination d'une femme blessée, décidée à obtenir sa revanche.
Tu m'as scotchée !
Je suis vraiment contente que cela t'es plu. J'ai beaucoup aimé écrire cette petite nouvelle.