Danger

Notes de l’auteur : Imaginez une situation de danger

Béatrice fit claquer sa chaussure de ski sur sa fixation et leva les yeux vers Yann. À quelques mètres de l’arrivée du télécabine, son mari s’avançait vers le cordon surmonté d’un panneau « Risque d’avalanche - Accès à vos risques et périls ».

La tempête de la nuit précédente avait enduit les flancs des montagnes d’une couche de neige lourde comme du plâtre. Lové entre les roches, un couloir de neige immaculée déroulait ses lacets le long d’une pente abrupte.

Le vent avait forci dans la matinée. Yann se dit qu’une pellicule de givre devait recouvrir la neige. Les conditions n’étaient pas idéales pour entreprendre une descente en hors-piste, elles étaient même adverses.

Plus il regardait le manteau blanc, plus il ressentait un besoin irrépressible d’y imprimer sa trace, comme un graffeur devant un mur fraîchement repeint, une bombe à la main, le doigt sur le diffuseur. Une excitation voilée de culpabilité montait en lui. Il se vit glisser dans le creux du couloir, les plaques de gel craquant sous son poids, le vent glacial brûlant ses yeux alors qu’il laisserait derrière lui une empreinte profonde, preuve de son passage sur un versant jusque-là inviolé.

Sa femme suivrait. De mauvaise grâce, mais elle suivrait.

La main glissée sous le cordon de sécurité, il se tourna vers Béatrice, lui intima de rester dans ses traces. Il l’attendrait en bas de la pente. Le regard fixé vers l’aval, Yann prit une profonde inspiration et s’engagea dans le couloir.

***

Béatrice regarda son mari godiller, les poings serrés autour de ses bâtons. Elle s’imagina renoncer, rentrer par la piste damée, rejoindre le chalet et son odeur de bois tiède. Ensevelie sous un plaid, elle regarderait le soleil plonger derrière les crêtes. Le grouillement des skieurs, des motoneiges, des perches et des câbles serait suspendu. Le domaine se figerait dans le silence comme une piste désertée par les danseurs, à l’aube.

Un éclat de rire la fit sursauter. Un groupe d’enfants glissait derrière elle pour rejoindre la piste, le moniteur fermait la marche.

Suis-les, Béatrice. Fais demi-tour. Sois raisonnable. Une faute de carre et tu tombes. Ta peau racle la glace, tes os se fêlent, se fracturent, se rompent.

Et déjà Béatrice sentait la douleur éclater dans ton crâne, fuser le long de ses nerfs comme un essaim de frelons dont on aurait détruit le nid.

« Tais-toi. »

Un vent chargé de sable se levait dans ses poumons. Des milliers de grains emplissaient sa gorge et l’aveuglaient de l’intérieur.

« Tais-toi. »

La voix continuait, détaillait la manière dont son corps deviendrait un puzzle de souffrance, membre après membre. Une pièce à la fois.

« Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. »

Elle répéta ces mots jusqu’à ce qu’ils emplissent sa poitrine, écrasant la tempête qui s’y était levée, couvrant la voix qui disait qu’elle ne pouvait plus. Qu’elle était fragile. Qu’elle était vieille.

***

Une heure plus tard, un pisteur dirait avoir vu une femme hésiter avant de s’engager dans le hors-piste.

L’avalanche s’était déclenchée à mi pente.

On poursuivrait les recherches jusqu’à la nuit.

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dorothée
Posté le 21/10/2021
Histoire de femme sous influence, ou tentation de mise en danger au-delà de la peur ? Tentée de revenir à la lecture pour trouver l'amorce d'une réponse.
Bien vu !
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