Dans la grande serre

Notes de l’auteur : Réalisé lors d'un atelier d'écriture. Si ça vous chante, vous pouvez essayer de retrouver les cinq mots-contraintes.

L'ambiance de la Grande Serre est toujours la même. Moite, odorante, on s'y sent comme dans une forêt tropicale d’Hawaï - du moins, comme elle imagine la forêt tropicale. Elle n'a jamais quitté son pays natal, depuis vingt ans qu'elle y vit.

Elle fait quelque pas à l'intérieur de la serre. Elle essaie d'imaginer ce que donnerait la scène en couleurs. Elle essaie toujours, mais elle n'y arrive jamais. Les couleurs lui sont inaccessibles, depuis toujours. Elle ne connaît que le noir, profond, partout.

À côté d'elle, elle ressent la présence de Yaëlle, parfaitement immobile. Elle ne bougera pas tant qu'elle ne lui en aura pas donné l'ordre. Pour le moment, elle veut profiter de cette ambiance tropicale, des odeurs merveilleuses qui flottent dans l'air, si différentes de celles du dehors.

Quelqu'un marche dans la serre. Il veut être silencieux mais les cailloux roulent sous ses pas. Elle imagine Yaëlle, oreilles dressées dans cette direction. Elle tire très légèrement sur la laisse. La chienne gémit doucement pour la prévenir de cette arrivée. À en juger par les battements réguliers qu'elle ressent sur sa jambe, elle doit remuer la queue en cadence.

Le botaniste s'arrête devant elle. Elle le croit vieux. Elle ne saura jamais à quoi il ressemble réellement. Elle s'est habituée à l'idée.

Il la salue. Ils se connaissent bien tous les deux. La première fois qu'elle était venue, elle venait d'avoir Yaëlle. C'était la liberté, enfin, après des années passées enfermée chez elle, à ne sortir qu'accompagnée. La chienne l'avait guidée tout droit ici. Peut-être les gens qui l'ont dressée l'emmenait en balades dans le coin. Normalement les animaux sont interdits dans la serre. Ils piétineraient les mousses et les plantes si précieuses qui sont enfermées ici. Le botaniste a dû faire une exception.

Il lui parle d'un nouveau plant que le muséum leur a transmis. Une plante que l'on vient de découvrir, perdue au fin fond d'une forêt équatoriale. Elle demande à Yaëlle de l'attendre sagement ici et part avec le botaniste.

La plante n'est pas en fleurs, lui explique-t-il en chemin. Il semblerait qu'elle ne fleurisse que très rarement. On lui a trouvé une belle place, bien au soleil. Sous ses doigts, les feuilles sont duveteuses, le tronc fin très lisse. Elle l'effleure respectueusement. Elle pense aux tropiques dont il est originaire, au long voyage qu'il a fait en avion, bien calé dans une caisse aérée et humidifiée.

Le botaniste lui fait toucher les autres pensionnaires. Un autre privilège qui lui est réservé. Elle les connaît mieux. Il y en a des grands, des petits, de toutes les formes et toutes les sensations. Les odeurs aussi - fleurs, terre, humidité. Elle parle peu, le botaniste aussi. Les visites à la grande serre sont ses pèlerinages à elle, loin du monde noir où elle vit d'habitude.

Elle retrouve Yaëlle au bout du sentier. Tâtonne pour retrouver son harnais et la rattacher. Quand elle a fini, elle abandonne le botaniste à ses plantes et rentre chez elle.

Il fait très chaud dehors aussi, une chaleur différente de celle de la serre. Plus lourde et orageuse. Sa mère doit être rentrée de la campagne. Elle l’appellera ce soir. Pour le moment, elle veut rester dans la magie de ce 15 août.

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