Carla descendait quatre à quatre les escaliers de pierre menant à la plage. Le vent fouettait ses long cheveux buns et bouclés dans lesquels c'était acrochées quelques algues. Elle courait pieds nus sur le sable fin, faisant tinter ses boucles d'oreilles puis, sans même retirer sa robe, elle grimpa sur un rocher et, de là, sauta dans l'eau salée de la mer.
Elle disparut entre deux vagues puis, revint à la surface, un poisson luisant dans la main droite.
-Regarde, Alice, hurla t-elle pour se faire entendre, j'ai attrapé un poisson!
Je souris.
Carla passa tout son après-midi à nager, inépuisable. Lorsqu'elle repointa le bout de son nez sur la terre ferme, elle avait les bras chargés de coquillages qu'elle m'offrit tous, sans exception.
Je passai ma soirée à ôter toutes les patites algues de ses cheveux et elle, à me jouer tous les airs de piano qui lui passaient par la tête. Elle était si douée, cela faisait à peine un an que je lui apprenais et, pourtant, on ne distinguait déjà plus les mouvements de ses doigts, habiles, sur les touches de son piano.
Je lui avais tout appris à cette petite, de son alphabet lorsqu'elle avait quatre ans, aux sous-divisions du paléolithique superieure aujourd'hui. Elle savait nommer chaque oiseau, chaque poisson, chaque insecte et, chaque plante à partir du moment où l'on lui pointait du doigt, parler le français, l'anglais, l'allemand et l'espagnol ( qui était sa langue maternelle ), citer, les uns après les autres, les rois et reines qui s'étaient succédés en France et, bien d'autres choses.
Carla s'arrêta net dans sa Valse du petit chien.
-Dit Alice, demanda t-elle timidement, tu peux m'emmener avec toi pour toujours?
De toute évidence, ma réponse ne lui plût pas.
-Mais je suis tous le temps toute seule ici, se plaint elle, alors que la bougie qui illuminait sa peau brune commençait à s'éteindre. S'il te plaît, ajouta t-elle, je n'aime pas rester avec Amandine.
-Pourtant elle est gentille, elle passe ses journées à s'ccuper de toi, mon coeur.
Carla opina du chef, bien qu'à contre-coeur, tout en appuyant de son index sur un la, puis un mi, et ainsi de suite pour former une monodie, simple, très représentative de l'humeur de ma petite espagnole.
Enfin, elle se leva, éteint le reste de bougie d'un souffle léger, plongeant la pièce dans le noir, fit glisser sa robe à ses pieds et, se laissa tmber dans son lit. Je la rejoignis en passant une jambe, puis l'autre, sous le simple drap qui, en cette saison, la protégeaient plus des moustiques que du froid.
Elle avait l'odeur de la mer dans les cheveux et, la douceur d'un coquillage partout sur la peau. Je me laissai sombrer au fond de cette abîme sous-marine, toujours plus profond,
Profond...
Carla s'endormit, blottie contre ma poitrine; sûrment pedue au fond de la fosse des mariannes, soumise à la mer,
Dépendante de la mer...
Je me réveillai en sursaut, les bras serrés contre moi. Carla avait échapé à mon étreinte comme de l'eau qu'on tenterait de saisir à pleine poignée.
Un cauchemar, c'était juste un caucemar.
Pourquoi fallait-il qu'on me rappelle sans arrêts mes erreurs?
Un cauchemar, c'était juste un cauchemar. Cela n'en était pas moins horrible.
Je pleurais, hurlant son nom dans la nuit.