De Carrozzu à la station d'Ascu Stagnu (2ème partie)

Par deb3083

Morgan marchait d’un bon pas devant ses compagnons. Malgré la fatigue due à sa courte et mauvaise nuit, il ne voulait pas flancher ni montrer le moindre signe de faiblesse.

Et il comptait bien arriver au refuge d’Ascu Stagnu plus tôt que prévu.

La raison de son empressement était son envie de récupérer quelques heures de sommeil. Il avait pu le constater depuis son départ de Calenzana, plus ils arrivaient tôt dans les hébergements du GR20, plus ils pouvaient profiter d’une certaine tranquillité. Le luxe d’Ascu Stagnu était ses chambres de quatre personnes au maximum et surtout la possibilité d’y prendre une douche bien chaude.

Il n’en fallait pas plus au parisien pour retrouver un semblant de motivation, lui qui ne cessait de compter les heures qui le séparaient de son retour dans le monde civilisé.

 

Concentré sur les deux randonneurs qu’il suivait toujours de près, Morgan s’arrêta en même temps qu’eux pour faire une courte pause et boire un peu d’eau. Il s’avança ensuite vers eux et se joignit à la conversation.  Les deux hommes effectuaient le GR20 pour la troisième fois et ils ne manquaient pas d’anecdotes. Contrairement à lui, ils dormaient sous tente pour rendre leur expédition plus naturelle. Même s’ils en convenaient cela avait aussi des désavantages.

  • Ce matin, ça n’a pas arrêté. Je n’ai jamais compris tous ces excités du timing ! Et ils sont bien plus nombreux qu’on le pense. Entre ceux qui courent, ceux qui doublent ou triplent les étapes, les abrutis qui se rendent dans les secteurs interdits, y a de quoi faire ! Enfin bref. L’année dernière, tout le monde ou presque avait déjà mis les voiles quand nous sortions seulement de notre tente. Parce qu’on apprécie la tranquillité.
  • Mais en partant si tard, vous n’avez jamais eu de soucis de ravitaillement ?
  • Plusieurs fois oui, nous avons eu cette mauvaise surprise. Nous devions nous réapprovisionner en nourriture après cinq étapes et quand nous sommes allés trouver le gérant du refuge, surprise, il ne restait presque plus rien. Le gars nous avait alors indiqué qu’il attendait cinq mulets dans la journée. On a eu droit à un saucisson corse et puis c’est tout. Mon dieu, je l’ai savouré cette putain de charcuterie !
  • Pourtant vous avez l’air d’être des habitués des randonnées non ?
  • Ça, c’était lors de notre première expérience. Nous avons beaucoup appris de nos erreurs. D’ailleurs lors de notre premier GR20, nous nous sommes plantés sur cette étape. Nous avions suivi une fausse piste mais heureusement, nous avons croisé des Allemands qui nous ont remis sur le bon chemin. C’est qu’on peut vite se perdre si on n’est pas attentif !

 

Rafael et Lena arrivèrent alors à hauteur de Morgan et de ses compagnons.  Ils saluèrent ces derniers et échangèrent quelques impressions au sujet de l’étape du jour. Le petit sourire narquois de Rafael interpella le parisien et il eut très vite la réponse à ses interrogations.

Le Corse, qui s’amusait à nier son client, s’adressa à l’un des randonneurs sur le ton de la confidence :

  • Vous savez qu’au lac de Muvrella nous risquons de croiser des mouflons ?
  • Oui, le topo l’indique clairement. Mais à nos deux derniers passages nous n’en avons jamais vu. Ce sont des animaux craintifs je pense.
  • Sauf quand ils se sentent menacés par l’attitude de certains touristes irrespectueux. Mais ce n’est clairement pas votre cas. Cela fait plaisir de voir enfin des randonneurs intelligents sur le GR !

 

Morgan comprit l’allusion à l’épisode de la vache et il se rembrunit. Décidemment, Rafael ne manquait jamais une occasion de lancer une petite pique contre lui. Et pour l’empêcher d’en rajouter une couche, il invita le petit groupe à reprendre la marche. Cependant lorsqu’ils atteignirent le lac de Muvrella et que le jeune homme sortit sa gourde pour se désaltérer, l’ami de Lena ne put s’empêcher de lui rappeler d’un ton moqueur qu’il n’y avait aucun point d’eau jusqu’au refuge d’Ascu Stagnu.

Le Parisien le reprit sèchement en indiquant qu’il avait prévu assez de ravitaillement et qu’il ne lui donnerait pas le plaisir d’aller se ravitailler au lac dont il avait bien retenu que l’eau n’était pas potable. Il se remit ensuite à marcher et pour tenter d’oublier ses incessantes prises de tête avec Rafael, il s’autorisa à être un peu plus attentif au paysage. Lena l’avait prévenu : l’itinéraire du jour serait essentiellement alpin.

Et en effet, la végétation était rare et les pierres, nombreuses. Trop à son goût car il ne comptait plus le nombre de fois où il avait manqué de chuter.

Peu après la pause déjeuner au Bocca di Stagnu, le petit groupe entama la descente. Morgan redoubla de vigilance.  S’il commençait à mieux gérer les montées, il éprouvait toujours autant de difficultés pour les descentes. N’étant pas un habitué des trails et des randonnées, il peinait à ménager ses genoux, malgré les conseils bienveillants de Lena.

Au fur et à mesure qu’ils progressaient dans une forêt de pins, le parisien remarqua que le balisage n’était plus aussi présent. L’un des randonneurs indiqua qu’il s’agissait du résultat des multiples passages sur le sentier et de l’attitude certains touristes peu scrupuleux.

Enfin, après un peu plus de deux heures de descente, Morgan entendit avec soulagement Rafael indiquer qu’ils arrivaient en vue des pistes de ski de la station d’Ascu.

Le Parisien prit quelques instants pour observer les alentours. Lena se posta à ses côtés et lui détailla l’histoire du lieu.

 

  • Avant, il n'y avait qu'une bergerie en ruine. Les pistes ont ouvert en 1964. Le maire de l'époque a fait construire une route, trois remonte-pentes et un hôtel. Cinq ans plus tard, il y a eu une terrible avalanche. Elle a emporté avec elle douze enfants et le chalet où ils logeaient. Quatre d’entre eux sont morts. La station a bien évidemment été fermée durant l’enquête. Puis, il y a eu de graves inondations, en 1992. De nombreuses communes ont été dévasté durant cet automne. Ici, les pluies ont détruit une partie des équipements mais aussi la route. Comme les finances ne suivaient pas, la station a été fermée et réorientée vers le GR20. Elle n’a rouvert qu’il y a peu.

 

Morgan remercia sa guide pour les informations et la suivit ensuite vers le refuge. Il déposa avec bonheur son sac dans la chambre qui leur avait été attribuée et il reçut les félicitations de Lena au sujet de sa prestation du jour :

  • On dirait que tu commences à avoir le bon rythme. Nous avons mis presque quarante-cinq minutes de moins que le temps estimé. Ta cheville va mieux je suppose ?
  • Oui. C’est encore un peu raide mais ça va.
  • Bon, ne traîne pas pour prendre ta douche même si tu auras de l’eau chaude, car j’ai réservé une table au restaurant de l’hôtel de la station. Un bon repas consistant nous fera du bien. C’est tellement rare de telles occasions sur le GR qu’il faut en profiter. Surtout pour un débutant comme toi.

 

Il ne fallut pas le répéter deux fois au Parisien. Il prit rapidement de quoi se laver et se changer et il fila vers les sanitaires. L’après-midi étant à peine entamée, il faisait très calme et le jeune homme profita de cet instant de bien-être, qu’il qualifia lui-même de grand luxe.

Ainsi propre des pieds à la tête, Morgan se sentait différent et bien plus à l’aise. Il rejoignit Rafael et Lena devant le refuge et ils prirent la direction de l’hôtel.

En découvrant la carte et les menus proposés, Morgan hésita : il n’y connaissait rien à la cuisine corse et il avait toujours cette appréhension de tomber malade.

Cependant, il avait faim et il n’en pouvait plus de manger des biscuits et des pâtes. Il se laissé donc tenté et suivi les recommandations de Lena. Et il ajouta une seconde entrée en complément de celle qui était comprise dans le menu. Afin de faire un geste envers Rafael, il proposa de payer les boissons.

Le repas se déroula dans la bonne humeur mais Morgan rappela à ses compagnons, bien malgré lui, sa méconnaissance de la Corse lorsqu’il se leva pour payer les suppléments. Il se pencha vers Lena et dit :

  • Je suppose qu’il est préférable que je paie en liquide. Les frais bancaires sont sans doute très importants ici ?

 

Lena écarquilla les yeux : Le parisien lui avait déjà sorti plusieurs conneries depuis son arrivée en Corse mais elle pensait qu’il avait enfin saisi qu’il était toujours en France et non dans un pays étranger.

Mais non…

Rafael s’écroula de rire sur la table :

  • Irrécupérable ! Ce mec est irrécupérable !

 

Vexé, Morgan se tourna vers lui :

  • Tu sais quoi, j’ai essayé de me montrer correct avec toi mais là je vais…

 

Lena, sentant la dispute arriver, s’interposa entre les deux hommes. Elle invita le parisien à régler sa note et elle demanda à Rafael de retourner au refuge.

Morgan, peu désireux de supporter le regard de ses deux compagnons de randonnée, décida d’aller se coucher bien que l’après-midi ne touchait pas encore à sa fin. Allongé dans son lit, le parisien se demanda s’il n’était pas plus raisonnable d’abandonner et de rentrer chez lui. Si Rafael continuait de la sorte, il finirait par se prendre son poing dans la figure.

Il perdrait la face devant ses amis mais au moins, il ne finirait pas en taule pour agression physique.

Au moins toute cette galère lui avait appris quelque chose : il ne ferait plus jamais de pari stupide avec ses potes.

 

 

 

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