De Carrozzu à la station d'Ascu Stagnu (1ère partie)

Par deb3083

La terrasse du refuge de Carrozzu était encore vide. Morgan observa les alentours tandis qu’appliquait de la glace sur sa cheville douloureuse. Il remarqua alors une petite pancarte sur la porte d’entrée du refuge qui le fit sourire : « Il n’est pas obligatoire d’être fou pour travailler ici mais ça aide… »

Lena le rejoignit ensuite avec de la pommade, un antidouleur et de quoi faire un bandage solide.

  • Ça va, tu t’en sors bien. Si elle était cassée, tu serais incapable de marcher. Comme nous sommes arrivés tôt, tu vas pouvoir te reposer et surtout ne pas bouger.
  • Et je fais comment pour me laver ?
  • Et bien tu te passeras de douche pour aujourd’hui.

 

Rafael arriva à son tour et prononça d’un air moqueur :

  • C’est quand même dommage. Je t’aurais bien conseillé de faire trempette dans les vasques de la Spasimata mais il vaut mieux rester prudent.
  • Pourquoi tu me regardes comme ça ?
  • La Passerelle de la Spasimata est l’un des hauts lieux du GR20. Au départ parce que le lieu est magnifique. Ensuite, l’endroit a gagné en notoriété grâce au film « Les Randonneurs ». Et enfin, maintenant, il attire les pervers en tous genres parce que plusieurs mecs y ont déjà aperçu des femmes se baignant topless dans la rivière.
  • Oh, je vois. Et bien désolé mais je ne suis pas un voyeur.

 

Lena intervint, mécontente :

  • Ça suffit vous deux ! Raf, occupe-toi de nos affaires et installe-les sur nos matelas.

 

L’arrivée d’un groupe de randonneurs fit heureusement diversion. Morgan remarqua tout de suite à la tête de leur guide que la journée n’avait sans doute pas été une partie de plaisir. L’homme salua Lena et s’assit sur un banc en bois en soupirant :

  • Ah les touristes, je vous jure ! Le jour où ils comprendront que le GR20 n’est pas une simple balade en forêt…
  • Tu comptes faire demi-tour Nicolas ?
  • Pas le choix ! L’une des deux femmes a des ampoules et l’un des gars a pété la semelle de sa chaussure. J’ai eu beau les avertir qu’ils n’avaient pas le bon matos, ils n’ont rien voulu entendre.

 

Le groupe en question s’installe sur la terrasse à son tour. Morgan les observa avec attention : ils semblaient exténués. Il songea fièrement que lui, au moins, n’avait pas cette tête à la fin des étapes.

Mouais mais tu n’en as encore fait que deux. 

Un des hommes montra la gourde que tenait encore le guide dans sa main et murmura à l’oreille de l’un de ses compagnons :

  • Ah ben elle doit être potable l’eau de la fontaine alors, si le mec la boit".

L’autre se dirigea alors vers la table où se trouvaient Lena, Morgan, Rafael et Nicolas et il interpella ce dernier :

  • Excusez-moi, elle est potable l'eau ?
  • Non, je la bois pour avoir la chiasse après. Ça permet de se lester des kilos en trop.

 

Morgan se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire. Le randonneur, ne sachant quoi répondre, se tourna vers ses amis, l’air ahuri. Bon joueur, Nicolas leur indiqua qu’il blaguait et qu’ils pouvaient se ravitailler sans soucis à la fontaine.

Jusqu’au repas du soir, Morgan observa les arrivées à intervalle régulier de nombreux touristes. Il fut étonné de constater que ces derniers provenaient des quatre coins du monde.

Certains distraits, qui avaient oublié de réserver leur nuit au refuge, furent contraints de louer une tente pour dormir aux alentours.

Lorsqu’un troisième groupe se fit refouler, les discussions faillirent dégénérer. Lena entraîna Morgan à l’intérieur du refuge afin de pouvoir se restaurer en toute tranquillité.  Tandis qu’ils buvaient leur soupe corse, au dehors, les éclats de voix n’avaient toujours pas cessé. Cette fois, l’un des randonneurs protestait sur les prix pratiqués par le gérant du refuge.

  • Elle est super chère votre bouteille d'eau
  • Vous venez d'où Monsieur ?
  • Ben Paris.

 

Rafael scruta alors la réaction de Morgan mais celui-ci, lui déconseilla par son regard de lui lancer l’une de ses petites piques habituelles.

 

  • Vu le prix des bars dans la capitale, ici c'est discount pour vous mon cher !
  • Oui mais à Paris, y a la tour Eiffel et le président de la République !
  • Bah nous on a le lion de Roccapina et Pasquale Paoli. Oh clochard !

 

Désireux d’éviter toute nouvelle polémique avec Rafael, Morgan interrogea Lena au sujet de la gastronomie corse. Celle-ci se montra surprise mais ravie de l’intérêt, non feint, du parisien. La discussion, animée et joyeuse, permit aux trois compagnons de repartir sur de bonnes bases et de faire, enfin, plus ample connaissance.

Lena expliqua que certaines recettes qu’elle réalisait chez elle lui venait de son arrière-grand-mère, Elisabetta. Mais, comme toute bonne Corse, elle n’en confia pas le détail. Les secrets de cuisine étaient sacrés !

Avec une certaine fierté dans la voix, la jeune femme détailla à Morgan quelques anecdotes au sujet de son aïeule. Cette dernière avait permis à son clan de ne pas mourir de faim lorsque la seconde guerre mondiale avait éclaté. Grâce à la production de biscuits, de confitures et autres douceurs, elle avait empêché l’entreprise familiale de sombrer. À présent, les ventes n’étaient plus cantonnées aux marchés de Ponte Leccia et Corte : les produits de l’exploitation se retrouvaient dans de nombreuses épiceries et magasins de l’île.

En souriant, Lena conclut :

  • Un jour, j’ai eu le malheur de tenter une variante de sa recette du fiadone et de lui proposer ensuite. Malheur !
  • Et c’est quoi ce truc ?
  • Un dessert emblématique à base de fromage corse.
  • Tu me donneras pas ta recette non plus si j’ai bien compris ?
  • En effet Morgan. J’ai déjà donné cher avec cette erreur, je ne tiens pas à provoquer une nouvelle guerre dans la famille !

 

Lena et le parisien s’esclaffèrent. Puis, ils se tournèrent de concert vers l’entrée du refuge où une randonneuse tentait de négocier le prix de sa nuitée.

Après avoir maugréer sur les incertitudes du climat, qui, à son goût, nécessitaient une adaptation des prix, elle lança un second argument :

  • On vous a trouvé grâce au guide du routard! Du coup vous pouvez quand même nous faire un petit cadeau !
  • Bien sûr que je vais vous faire un cadeau, mais c’est au prorata du pourboire que vous allez me laisser Madame !»

 

La touriste observa le gérant, outrée. Puis, elle se dirigea vers le dortoir en marmonnant des paroles incompréhensibles. Morgan apprit plus tard qu’elle avait refusé de laisser un pourboire et, qu’en conséquence, elle n’avait bien entendu pas obtenu la remise souhaitée.

Le parisien comprit également au regard entendu de Lena qu’à nouveau il avait été confronté à un trait d’humour corse, que bien des touristes avaient du mal à comprendre. Il approuva cependant sa guide au sujet de l’attitude irrespectueuse de la cliente.

 

Après un repas qu’il qualifia lui-même de très bon, Morgan décida d’aller se coucher. En boitillant il rejoignit son lit. Comme Lena lui avait indiqué que les trente-six places étaient occupées, il souhaitait être parmi les premiers à se coucher afin de pouvoir choisir sa place. Il grimaça en raison de l’odeur nauséabonde présente dans la pièce mais il sombra rapidement.

Le lendemain matin, c’est perclus de courbatures que le parisien émergea de son sommeil. Son voisin de matelas avait ronflé toute la nuit, mettant les nerfs de Morgan, déjà bien éprouvés, à rudes épreuves.

En titubant, le parisien quitta son sac de couchage et se dirigea lentement vers la pièce principale du refuge. Il venait d’avaler sa deuxième tasse de café lorsque ses deux guides le rejoignirent.

  • T’es tombé du lit Morgan ?
  • Non, je n’en pouvais plus du moteur qui dormait à côté de moi.

 

Lena esquissa un sourire puis, elle laissa les deux hommes afin de préparer l’étape du jour. Elle veilla particulièrement au ravitaillement en eau car sur le chemin qui les menaient au refuge d'Asco il n’y avait aucune source. En raison de la blessure de Morgan, elle estima le temps de parcours à environ 7h, soit une heure de plus que prévu. Mais le parisien la rassura sur son état de forme : la glace, la pommade, les antidouleurs et le bandage avaient fait des miracles. Hormis un léger tiraillement, il ne boitait plus.

Prudente, Lena lui conseilla de maintenir sa cheville grâce à une bande de soutien et elle exigea qu’il l’avertisse si la douleur se réveillait.

Avant de partir, le petit groupe fit le point sur ce qui les attendait. Rafael indiqua à Morgan que l’étape du jour était un peu plus facile que les deux précédentes. Elle pouvait se résumer à une longue montée vers Bocca Di Stagnu et six cent mètres de dénivelé négatif vers la station d'Asco. Le parisien songea qu'ils n'avaient sans doute pas la même notion du mot "facile".

Il était à peine six heures du matin lorsqu’ils quittèrent le refuge.

Etonné, Rafael vit Morgan se placer devant Lena qui, habituellement ouvrait la route. Le parisien marchait d’un bon pas, sur les traces de deux autres randonneurs, partis quelques instants avant eux.

  • Et quoi il a le feu au cul ? J’aurais peut-être dû lui dire qu’à cette heure, il ne risquait pas de trouver de nana à poil à la Spasimata.

 

Lena leva les yeux au ciel en pouffant. Cependant, elle se demanda elle aussi ce qui motivait Morgan. Manifestement, sa blessure à la cheville n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir.

 

 

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