— Nous avons repéré Hera cet après-midi.
— Était-elle avec lui ?
— Non. Elle a passé du temps dans le port. Elle avait un calepin et elle a pris beaucoup de notes.
— Et Zeus ?
— A son travail. Il a encore renvoyé l’une de ses employées.
— Dans ce cas c’est le moment d’agir.
— Impossible. Il ne cherche pas de remplaçante.
— C’est étrange.
— Il doit en avoir assez sans doute.
— Et du côté d’Artémis ?
— Rien à signaler. Elle n’a pas pris contact avec le papillon. Je voulais vous dire que nous aurons trois hommes sur place pour l’inauguration du festival et que votre commande spéciale est prête.
— Parfait.
— La famille royale au grand complet y est attendue. Devons-nous procéder de la même manière que la dernière fois ? Si vous me permettez, il me semble pertinent de revoir certains…choix.
— Oui. Je reconnais que je me suis trompé. Quelles sont vos suggestions ?
— Et bien…nous devrions tourner la loi à notre avantage. Nous en avons les moyens n’est-ce pas ?
— Oui…oui en effet. Cependant, Zeus ne doit se douter de rien.
— Naturellement.
— Vous seriez parfait dans ce rôle.
L’homme clôtura l’appel puis il regarda le palais de San Gavino avec attention. L’idée lui plaisait : il en avait assez de passer ses journées à ne rien faire, à devoir observer tous ces nouveaux riches venir dépenser leur argent dans le nouvel endroit à la mode.
Il allait enfin pouvoir s’amuser.
Estelle Neffrey n’avait pas menti : dès le lendemain un nouvel article paru dans sa revue et, à nouveau, Amalia retrouva plusieurs de ses photos retouchées.
Le résultat était bluffant : elle seule connaissait le contexte de ces clichés mais en les regardant ainsi modifiés, il lui semblait impossible de déterminer qu’ils étaient faux.
Kylie lui avait tendu le magazine durant le repas de midi et Amalia s’était plongée dans la lecture.
A quel jeu joue le prince héritier de San Gavino ?
Joachim de Bourbon-Conti est un bourreau des cœurs, ce n’est pas nouveau. Mais il semble prendre un malin plaisir à tourmenter de nombreuses jeunes femmes en ce moment. Teodora de Lothian n’est déjà plus qu’un lointain souvenir pour l’héritier de San Gavino qui a profité du temps estival pour s’octroyer une sortie en mer avec une jeune femme dont nous ignorons encore à l’heure actuelle l’identité. Il est certain qu’elle n’appartient pas à l’une des familles royales du gotha européen et, en raison de la loi très stricte en vigueur à San Gavino, nous pouvons affirmer que cette demoiselle n’est rien de plus qu’un simple passe-temps pour Joachim de Bourbon-Conti.
Cela n’a cependant pas empêché les deux tourtereaux de profiter du magnifique yacht de la famille royale où ils ont pu bénéficier d’un buffet froid préparé par un traiteur réputé de San Gavino.
Le coût de cette petite sortie en mer serait évalué à 25 000 euros et la moitié du repas a été jeté à la poubelle car le prince n’était apparemment pas satisfait de la prestation fournie.
Une nouvelle fois Joachim de Bourbon-Conti nous démontre son total mépris pour ses sujets.
Nous avons également appris qu’une organisation féministe serait sur le point de porter plainte contre l’héritier en raison de ses comportements déplacés envers les membres de son personnel.
Par ailleurs, à son retour au port de Castello di Gavino, un témoin nous a indiqué avoir remarqué le comportement étrange du prince Joachim qui a discuté quelques instants avec un homme au volant d’une luxueuse berline immatriculée en Grèce. Le descriptif que nous avons reçu semble correspondre à un parrain de la mafia albanaise.
Nous savons que des rumeurs avaient couru il y a quelques années au sujet de l’intérêt de Joachim de Bourbon-Conti pour Athina Onassis, l’héritière franco-grecque, unique descendante survivante de l’armateur grec Aristote Onassis.
Malgré leur différence d’âge, le prince Joachim semblait avoir jeté son dévolu sur la femme d’affaires bien qu’elle soit déjà mariée. A l’époque les rumeurs avaient été étouffées par le roi Maximilian et des proches d’Athina n’avaient pas hésité à mentionner que l’héritier de San Gavino ne s’intéressait qu’à son argent.
Rappelons également que Joachim de Bourbon-Conti avait déjà été critiqué avant son départ pour les Etats-Unis pour avoir conclu des accords commerciaux avec un riche armateur grec soupçonné de trafic de drogue entre l’Albanie et la Colombie.
Nos reporters vont naturellement enquêter sur le sujet mais il devient évident que le pays ne peut certainement pas être gouverné par un homme aux comportements de plus en plus douteux.
Au sein du parlement des voix s’élèvent d’ailleurs à ce sujet et, pour la première fois depuis des siècles, un changement dans la loi pourrait être envisagé : un changement qui viserait à destituer Joachim de Bourbon-Conti et à l’empêcher de faire valoir son droit d’accession au trône.
Après avoir terminé sa lecture, Amalia se tourna vers Kylie :
— C’est quoi cette histoire de mafia albanaise ?
— Son Altesse s’est rendue à différentes reprises en Suisse pour participer à des soirées privées où il aurait sympathisé avec ce gars qui possède plusieurs bateaux de croisière. Ce ne sont que des rumeurs, rien n’a jamais été confirmé. Je ne pense pas, comme le dit l’article qu’il a signé des contrats avec ce mec. Être lié de près ou de loin à du trafic de drogue, et c’est la couronne qui lui passe sous le nez.
— C’est peut-être ce qu’il veut ?
— Non, je ne pense pas. Je me demande bien comment ils font ceux qui rédigent ces articles pour avoir autant d’informations. Les députés et les sénateurs savent parfaitement que s’ils parlent à la presse il est mis fin à leur mandat.
— Mais peut-être qu’ils le font de manière officieuse.
— Non, je suis persuadée que non. Rien que pour leur salaire, je te garantis qu’ils font très attention à leur image publique et leurs actions sont toujours soigneusement préparées.
— Je suppose qu’il va réagir quand même cette fois ? La drogue et cette organisation féministe c’est autre chose que des rumeurs de mariage et de conduite déplacée.
Kylie ne répondit pas car elle fut interrompue par l’arrivée de Louise qui s’assit sur une chaise en soupirant :
— C’est de pire en pire. Que cherche cette saleté de revue ? Tout le monde sait qu’il s’agit de mensonges !
Amalia observa attentivement la gouvernante : tout comme Eugénie, cette dernière semblait prendre la défense du prince Joachim malgré ses comportements inacceptables.
La jeune femme crut même l’entendre murmurer pauvre petit et elle se demanda si elle n’avait pas rêvé.
Le silence s’installa alors dans la pièce et, désireuse de ne pas se trahir, Amalia retourna dans le bureau de Michele qui était en grande conversation avec Benjamin. Ce dernier, en apprenant du responsable de la sécurité que la jeune femme devait se rendre au Yachting Festival, lui proposa de l’accompagner. Un peu étonnée, Amalia regarda Benjamin sans comprendre :
— Je ne comprends pas, mon éditrice m’a juste parlé d’une réception ?
— Oui, au cours de laquelle de nombreux excès sont commis. Une jeune femme comme toi non accompagnée au milieu de tous ces requins. Je suis en congé vendredi, cela ne me dérange pas d’assurer ta sécurité.
Michele intervint alors :
— Benji tu vas lui faire peur…
— Non, je ne me voile pas la face moi.
— Bon et si nous…
Un hurlement fit sursauter Amalia et les deux hommes. Le Roi Maximilian venait de sortir de son bureau situé non loin de là et manifestement il venait de découvrir le contenu de l’article de People and more.
Les deux vigiles et la jeune femme sursautèrent à nouveau quand le souverain appela son fils qui se trouvait dans la bibliothèque :
— Joachim Lukas Constantin Hans Adam de Bourbon-Conti !
Michele soupira :
— Jamais sa Majesté n’appelle son Altesse de la sorte. La situation doit être grave…
Le roi Maximilian n’attendit pas que l’héritier lui réponde et il se précipita vers la bibliothèque en laissant la porte grande ouverte. Tout le monde au palais entendit alors la violente tirade du monarque :
— Qu’est-ce que c’est cette histoire à présent ? De la drogue ? Un repas pour deux à ving-cinq mille euros ? Et cette fille ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire avec Athina Onassis ? Je n’ai jamais étouffé quoi que ce soit puisque je n’étais pas au courant ! Que se passe-t-il Joachim ?
— Mais j’en sais rien moi putain ! Et d’abord, qu’est-ce que ça peut te foutre, tu sais bien que ce sont des mensonges !
— Un trafic de drogue entre l’Albanie et la Colombie, Joachim, est-ce que tu réfléchis de temps en temps ? Nous avons des partenariats avec plusieurs pays limitrophes. As-tu songé aux conséquences diplomatiques ? Quant à lorgner sur la fortune des Onassis, il faut être particulièrement stupide.
— Je déteste les chevaux et les concours hippiques. Même pour le fric je n’aurai jamais approché cette fille. Elle est moche de toute façon et elle est incapable de sourire.
C’est fou la confiance que tu as en moi papa. Tu es prêt à croire ses torchons au lieu de ton propre fils.
— Si tu avais été un peu plus sérieux dans ta vie, je ne remettrai pas en question ton comportement.
— Dis surtout que tu es furieux que j’ai refusé de m’afficher avec la mamie écossaise…
D’accord, tu veux que j’avoue ? Ok. Oui je me suis tapé des dizaines de filles dans ma vie, oui j’ai terminé je ne sais combien de soirées complètement bourré, oui j’aime faire la fête, oui, je trouve que nos ministres sont des faux culs et oui je trouve que la loi de notre pays est totalement obsolète. Je continue ? Parce que si on parle de moi, on pourrait aussi parler d’oncle Georg. Pourtant lui, il ne semble pas te choquer tout autant que moi.
Michele, Benjamin et Amalia se regardèrent avec une certaine gêne et le chef de la sécurité referma doucement la porte de son bureau.
La jeune femme aurait aimé savoir ce que le prince Joachim reprochait à son oncle mais elle n’osa pas poser la question.