Le soir venu, toute la cour s’était réunie pour assister au bal. Sous la lumière chaude des chandeliers, lorsque les premières notes de musique résonnèrent, Amélie s’avança sur la piste au bras d’Adam, ignorant superbement le baron de Laude qui s’avançait pour l’inviter. Ils dansèrent avec grâce, comme s’ils étaient seuls au monde. Comme si le monde leur appartenait.
- C’est agréable de ne pas être celui qui est snobé, sourit le comte en faisant tournoyer sa princesse.
- Ça doit te faire une impression étrange, répondit-elle avec un regard amoureux.
- C’est la première fois que je suis le roi de la fête, approuva-t-il.
- Ton ami, de Nibel, il nous regarde avec des yeux ronds. Il n’est pas le seul.
Adam regarda autour de lui pour constater qu’effectivement, tous les regards étaient braqués sur eux.
- Il y a de quoi, sourit-il. Tu m’as tenu en disgrâce depuis que je suis arrivé à la cour et tout à coup, tu ne vois plus que moi. Ils doivent penser que je t’ai ensorcelé ou quelque chose du genre.
- J’aimerais tellement pouvoir raconter ce que tu as fait pour moi, souffla-t-elle en le dévorant des yeux. Tu es mon héros.
- Et toi mon héroïne, dit-il tendrement.
Au moment où la musique s’arrêtait, de Laude s’imposa entre eux sans délicatesse et tendit la main à Amélie.
- M’accorderez-vous cette danse ? demanda-t-il.
Amélie accepta sans un mot, et dansa avec lui, mais sans lui accorder un regard, gardant les yeux rivés sur Adam avec un sourire amoureux sur les lèvres.
- Cet homme-là, murmura-t-elle. Il n’y en a pas deux pareils dans le royaume. Courageux, fort, intrépide, un vrai héros.
Elle poussa un long soupir.
- Vous feriez mieux de l’oublier, princesse. C’est à moi que vous êtes promise. Regardez-moi.
- Vous regarder vous ? ironisa-t-elle. Un profiteur ? Grossier ? Sans une once de courage ? Même pas fichu de trouver les mots pour parler à son roi ? Pas fichu de se défendre lui-même, aucun intérêt.
Puis elle tourna finalement un regard méprisant vers lui avant d’ajouter d’un air entendu.
- Stupide pantin. De toi je ne ferai qu’une bouchée.
Le visage du baron était maintenant tacheté d’écarlate. Il agrippa son poignet à lui faire mal.
- Tu es à moi, sale trainée, cracha-t-il. Je vais te montrer qui commande, ici.
Il leva la main. Un cri féminin retentit et un brouhaha surmonta la musique. Adam courut rejoindre sa princesse, la rage et la culpabilité rongeant ses entrailles. Mais en écartant les convives qui formaient un cercle autour de la scène, il vit Clad qui tenait fermement le bras du baron de Laude, et Amélie derrière lui.
- Ose lever la main sur elle et je me ferai un plaisir de la séparer de ton bras, cracha le baron de Nibel.
De Laude bégayant quand les invités s’écartèrent pour laisser passer le roi.
- Que se passe-t-il ici, gronda-t-il. Monsieur de Nibel, veuillez lâcher cet homme.
Clad obtempéra de mauvaise grâce, s’inclina et s’écarta. Amélie se précipita vers son père.
- Il a levé la main sur moi, lui dit-elle. Le baron de Laude… Clad de Nibel a retenu son coup.
- C’est vrai ? demanda-t-il en regardant ce dernier.
- Oui Votre Altesse. J’étais avec la duchesse de Perigny quand je l’ai vu l’agripper et lever la main…
Amélie montra à son père la trace de main bien nette sur son bras.
- C’est faux, hurla le baron alors que deux gardes se saisissaient de lui. C’est un coup monté ! Il a tout organisé, c’est lui. Petite garce ! Dis-lui !
- Emmenez-le, soupira le roi d’un air dégouté. Ça va aller ma chérie ? ajouta-t-il pour sa fille en l’entrainant avec lui hors de la piste de danse.
- Ne t’en fais pas, père, tout va bien. Suis-je si pénible ? Il n’a pas tenu une minute avec moi.
- Il faudrait être un saint pour te supporter, répliqua-t-il. Je vais demander à me faire canoniser.
Il s’arrêta et regarda derrière lui les convives éparpillés qui discutaient à voix basse.
- Et bien ? Reprenez. La fête n’est pas finie. Allez.
Aussitôt la musique reprit et le roi poursuivit son chemin jusqu’aux trônes où il installa sa fille avant de prendre place à ses côtés. À nouveau il soupira.
- Pardonne-moi d’avoir été si mauvais juge, dit-il. J’étais sûr qu’il aurait fait un mari parfait. Faible, effacé, manipulable… Apparemment, je me suis trompé…
- Ne me sous-estime pas, père. Je mérite mieux qu’un faible, je sais très bien garder le contrôle, je n’ai pas besoin d’un pantin pour ça.
Il lui adressa un regard tendre.
- Tu as raison. Nous trouverons quelqu’un d’autre. Que dis-tu du jeune baron de Nibel ? Il est un peu coureur, mais…
- Et pourquoi pas Adam Falk de Saad ? demanda-t-elle d’une voix douce.
Altaïr secoua la tête, presque amusé par son obstination.
- Tu ne renonces pas facilement, n’est-ce pas ? Tu tiens ça de ta mère…
- Je l’aime, et je suis fière de lui. Il n’est ni un pantin ni un despote, c’est quelqu’un de bien avec des épaules solides… Je n’ai aucune raison de ne pas insister.
- Il est le pantin de son père. J’aimerais que tu me croies quand je te dis qu’il n’est pas amoureux de toi.
Il se tourna vers elle.
- Je vais te raconter une histoire, Amélie. Alors tu comprendras.
- Je t’écoute.
- Cid et moi avons été adoptés tout jeunes par l’ancien roi qui n’avait pas d’enfant alors que nos parents respectifs avaient péri lors de l’invasion des barbares de l’Est. Ça, tu le sais. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que bien avant ça, les parents de Cid l’avaient fiancé à une princesse cadette des Terres du Nord. Quand elle a eu seize ans, elle est venue au château pour faire sa connaissance. Ils devaient se marier deux ans plus tard, à sa majorité.
Le roi s’interrompit et perdit ses yeux dans le vague.
- Cid et moi avions été élevés ensemble. Nous étions comme de vrais frères. Mais quand Maelys est arrivée, tout a changé. Elle était… ce que j’ai vu de plus merveilleux. Belle, intelligente, gracieuse, espiègle…
Il étouffa un soupir qui ressemblait à un sanglot.
- Nous sommes tous les deux tombés éperdument amoureux d’elle. Ce qui avait commencé comme une simple rivalité fraternelle a basculé définitivement le jour où notre père est mort, me désignant comme successeur. Maelys m’avait choisi et j’avais maintenant le pouvoir de la faire mienne. C’est ce que j’ai fait. J’ai rompu leurs fiançailles et scellé les nôtres.
Il se tourna à nouveau vers elle.
- Tu comprends maintenant ? Le jour où je suis monté sur le trône, Cid a tout perdu, ses ambitions et la femme qu’il aimait. Je lui avais tout pris, du moins c’est comme ça qu’il l’a vu. Ce jour-là, il a manqué de me tuer. Alors je l’ai exilé sur le Mur, lui donnant les territoires réunit de nos parents pour en faire le comté de Saad et il est parti en jurant de se venger. Et c’est ce qu’il fait aujourd’hui. Il jubile. Il a la possibilité de mettre son fils sur le trône et de m’évincer. C’est tout ce qui l’intéresse.
- Je vois, murmura Amélie.
- Alors tu vas te montrer raisonnable ?
- Je ne sais pas ce qu’il en est du père d’Adam. Mais Adam est sincère avec moi. C’est lui que je veux, définitivement.
- Comment peux-tu en être sure ? demanda-t-il le roi excédé. Ne dis pas n’importe quoi.
- Il y a un moment dans la survie où l'on se rend compte que… que l’autre ne peut plus mentir. Nous aurions dû mourir. Ça n’est pas arrivé. Peu m’importe que le père d’Adam soit content si j’épouse son fils, et même, tant mieux pour lui. Mais Adam et moi n’avons aucun rapport avec vos anciennes rivalités.
Altaïr resta un long moment silencieux, regardant les danseurs avant de capituler.
- Nous en parlerons demain, lui dit-il. En attendant, profite de ta soirée.
- Bien père. Je t’aime, tu sais.
- Moi aussi, ma chérie. Moi aussi. Et quoi que tu fasses, ce sera toujours moi qui t’aimerai le plus.
- Ça, je le sais bien.
Elle serra sa main dans la sienne.
- Tu veux bien me faire danser ? demanda-t-elle avec un sourire adorable.
- Comment refuser ? demanda-t-il avec un petit rire.
Il l’entraina au centre de la piste et tout le monde s’arrêta pour faire cercle autour d’eux et les regarder.
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- Je te revaudrai ça, dit Adam à Clad alors qu’ils buvaient un verre à l’écart.
- Je connais le moyen idéal pour ça, répliqua-t-il.
Adam l’interrogea du regard, méfiant par habitude.
- Arrête-moi si je me trompe, continua le baron. La dernière fois que je t’ai vu, tu comptais Fleurette à une servante avant de sauter en pleine tempête pour la sauver. Et maintenant que je te retrouve, je te vois roucouler avec la princesse que tu pleurais amèrement dans mes bras il y a deux ans.
- Je ne pleurais pas, s’offusqua Adam.
Clad sourit derrière son verre.
- Bref. Il y a anguille sous roche, n’est-ce pas ? Soit comme tout le monde le dit, c’est le fait de t’avoir cru mort qui a fait faire volte-face à la princesse, soit… Tu n’as pas décidé d’oublier Amélie avec une soubrette comme je l’ai cru d’abord, mais…
Il regarda Adam d’un air entendu.
- … peut-être que la soubrette était en fait… Amélie ?
Adam ne répondit pas. Il faisait la moue en regardant sa princesse danser aux bras de son père.
- Je vois… Dans tous les cas, souffla-t-il en reposant son verre sur une table, ça fait du bien de te voir sourire à nouveau. Ce n’était pas la joie ces dernières années, hein ?
- Non, c’est vrai…
- Et aussi…
Il fit quelques pas pour rejoindre la foule.
- Content de te revoir en vie. Ne me fais plus jamais une frayeur pareille, d’accord ?
- J’y songerai, sourit-il.