Cinq jours plus tard, Adam était debout sur le mur, les yeux perdus dans les vastes étendus sauvages qui s’étendaient en contrebas, caressant distraitement du bout des doigts le morceau de soie légué par sa promise qu’il gardait toujours au fond de sa poche. Il y était. Tout était près pour l’expédition en terre barbare. Il avait la chance de connaitre plutôt bien ses ennemis. Ce serait un atout non négligeable pour entamer les négociations.
Il soupira. Amélie lui manquait déjà horriblement. Il se disait que lorsque la délégation serait en route, il aurait moins le temps de penser. Moins le temps de s’inquiéter. Le roi tenait-il sa promesse ? L’avait-elle déjà oublié ? C’était insupportable. Il aurait voulu être déjà parti.
- Vous regrettez déjà votre comté, seigneur de Saad ? ricana une voix derrière lui. Nous ne sommes même pas encore partis…
Adam se tourna vers Clad qui arborait un sourire cynique, resplendissant dans son armure de cuir.
- Merci d’être venu, Clad. Tu n’étais pas obligé, tu sais ?
- Quoi ? Et te laisser aller t’amuser tout seul ? Pas question. Ce genre d’expédition désespéré, c’est pile mon créneau.
Il passa un bras autour de ses épaules et l’attira sur le chemin de ronde.
- Tes hommes sont prêts, lui dit-il. L’un d’eux était perdu, mais je l’ai remis sur le droit chemin.
- Perdu ? répéta le comte perplexe.
Clad hocha la tête en lui adressant un sourire mystérieux.
Adam avait choisi et rassemblé les meilleurs de ses hommes pour cette expédition. Tous étaient inégalables dans leur spécialité et tous connaissaient le Mur comme leur poche...
Quand il approcha du point de rendez-vous, les huit guerriers se mirent au garde-à-vous et il les salua. Huit ? Non… Ils étaient neuf. Un intrus au gabarit plus que léger semblait nager dans son armure et son casque qui lui tombait sur les yeux.
Il se figea, pris d’un doute insidieux. Il s’approcha du onzième compagnon et ôta son heaume, faisant cascader sur ses épaules une épaisse chevelure brune.
- Amé ? s’étrangla-t-il alors que ses hommes se mettaient à rire plus ou moins discrètement.
- Mon commandant ? Mon capitaine ? hasarda-t-elle avec un petit sourire malin. Nous n’attendions plus que vous.
- Qu’est-ce que tu fais là ? gronda-t-il aberré.
- Je ne pouvais pas rester au château, mon père commençait déjà à tenter de me marier. C’est ici que je dois être, à tes côtés, affirma-t-elle avec aplomb.
- Mais tu…
Il sentit, pesant, le regard de ses hommes sur lui alors il prit Amélie par le bras et l’entraina à l’écart.
- Amé... soupira-t-il.
Il aurait dû lui dire de repartir, mais les mots ne franchissaient pas ses lèvres.
- Est-ce que… tu vas me repousser ?
- Est-ce que tu as conscience de ce qu’on va faire ? éluda-t-il. Nous partons en plein territoire ennemi. Il va falloir se battre.
- Je sais, répondit-elle. Je ne suis pas la meilleure des guerrières. Clad et toi êtes mes seuls professeurs, mais je saurai me rendre utile. Je ne suis pas venue ici à la légère.
- Clad ? fronça-t-il.
- Il est maitre d’armes, rappela-t-elle.
- Ça je le sais, fit-il en levant les yeux au ciel. Ce que je te demande c’est à quelle occasion Clad t’a donné des leçons ?
- J’ai voyagé avec lui, il m’a aidé à venir, répondit-elle. Oui, il sait pour la soubrette du bateau… et l’île.
Adam secoua la tête, atterré, puis poussa un profond soupir.
- Tu es impossible…
Finalement, il ne put s’empêcher de laisser son sourire fleurir sur son visage. Il se pencha sur elle et la serra fort contre lui.
- Tu m’as manqué, murmura-t-il. Je suis content que tu sois là.
Soulagée, elle répondit à son étreinte.
- J’avais tellement peur que tu me repousses, murmura-t-elle. Je ne veux pas que tu crois que je n’ai pas confiance en toi.
Adam se redressa pour fusiller du regard ses hommes qui applaudissaient.
- Nous sommes bien d’accord sur le fait que ça ne change rien, n’est-ce pas ? Tu viens parce que tu penses que tu peux être utile à notre quête. Pas pour qu’on s’enfuie tous les deux.
- Évidemment ! s’offusqua-t-elle.
- Bien, alors il n’y a pas de raison que je me sente blessé.
Il l’embrassa tendrement, puis murmura.
- Je t’aime, ma promise. Mais si tu viens, je ne peux pas te promettre d’être patient…
Elle frissonna.
- C’est dommage, moi non plus, répondit-elle.
Il lui sourit puis la relâcha.
- Ton père va me tuer, souffla-t-il. C’est commandant, ajouta-t-il un ton plus haut en revenant vers ses hommes. Et à compter de maintenant, j’exige que tu m’obéisses en tout point à l’égal du reste de mes hommes. Et j’espère que tu as une tenue plus appropriée. Messieurs, la difficulté de notre mission vient de monter d’un cran. Vous avez tous reconnu votre princesse, et puisque vous avez soutenu sa supercherie vous serez en responsables de sa protection. Elle nous rejoint pour contrebalancer votre ignorance déplorable en tant que diplomate et experte en plante, pas guerrière. Je ne veux jamais la voir en danger. Est-ce clair ?
- Oui commandant, répondirent-ils d’une même voix avec plus ou moins de sérieux.
- Parfait. Dans ce cas, nous sommes partis. À nous la gloire, mes amis.