début chapitre 1

Par Mariong
Notes de l’auteur : Premier jet

La brume s’était emparée du champ et réduisait la ligne d’horizon à son minimum, plongeant ceux qui voulaient voir plus loin que leur nez dans l’obscurantisme.

Mais derrière toute illusion morne, se profile la surprise du réveil.

Ainsi, le soleil fit son apparition tardive comme si il avait dormi un peu trop longtemps et dévoila ce que tous attendaient de lui.

Comme un gentilhomme enlevant son chapeau devant la dame, il avait accordé ses faveurs.

Les brebis, qui chaumaient encore ça et là, vivaient leur gestation de la manière la plus classique : en ruminant allégrement et en subissant l’imprévisibilité de leurs contractions.

Tel était le déroulement commun à toute chose.

A priori, ce qui aurait pu sembler banal et répétitif n’aurait pas provoqué d’émerveillement et pourtant, c’était, à l’évidence, l’absence d’extravagances qui rendait cette scène d’autant plus belle.

Devant cette immobilité trompeuse, tout s’activait.

Les araignées soufflaient après avoir déployé la multitude de squelettes auxquelles faisaient penser l’architecture de leurs toiles.

Les rouges-gorges s’agaçaient déjà de voir les hordes d’oiseaux perturber leur soif de solitude et la pluie arrosait tout le monde l’histoire d’être tranquille.

Martha ne pouvait voir cela que parce que cette sensibilité était profondément inscrite en elle et parce que l’expérience renforçait ce sentiment.

Par l’expérience au contact de ce à quoi elle ne pouvait apporter un nom ni même une définition, il lui semblait reconnaître son propre élan vital.

Malgré tout, il fut une chose qui limitait cet élan même et si elle avait souhaité s’en affranchir, cet obstacle s’imposait sous les formes les plus manifestes.

Elle n’arrivait pas à terminer une tâche comme par exemple, clôturer l’ensemble des prairies ou encore plus sobrement, tailler la haie de cyprès le long du chemin.

Le découragement tenait moins au manque de technicité, quoique ce fut également une entrave, qu’au désespoir de constater que tout projet était mené dans la solitude et voué à celle-ci.

Bien entendu, l’agitation humaine était présente dans toute son effervescence habituelle mais Martha ne percevait pas ce qu’était le lien humain.

Par là elle entendait un lien qui ne serait jamais inconstant mais toujours enveloppant comme l’est la main de Dieu pour les fidèles : la main de l’autre toujours dans la notre.

Elle avait besoin qu’une main l’empoigne.

Évidemment, et vous vous en doutez, ce dont il s’agissait c’était finalement d’amour.

Selon Martha, c’était l’amour le deuxième soc qui permettait à la charrue de sillonner la terre et le premier n’était ni plus ni moins que l’expérience du contact à la nature.

Aussi gaillards que pouvaient être les Hommes, jamais ils n’auraient œuvrer sans la force d’un baiser ou l’abandon de leur corps, le soir venu, dans des bras emplis de tendresse.

C’était ainsi qu’Achille s’endormit sur le corps de Briséis, que Modigliani cajola Jeanne Hébuterne ou que Cash chanta pour June Carter.

Toujours est-il que la charrue de Martha était amputée d’un soc et que par conséquent, son travail ne pouvait être réalisé pleinement.

Il existait un homme pour qui, non seulement la charrue avait deux socs mais qui devant laquelle, toute terre s’évertuait à donner le meilleur.

Jacques, à ne pas confondre avec d’autres de ses homologues, semblait jouir de l’équilibre, son élan vital étant impacté uniquement lorsque son dos faisait grève ou que sa femme le nourrissait trop.

Du reste, il était heureux et ses vaches aussi.

Tel Sisyphe qui pousse son rocher indéfiniment, Jacques trayait ses vaches du matin au soir et ça n’était jamais une contrainte.

Laissant parfois échapper un « Gast » menaçant à celle qui aurait eu le malheur d’envoyer la griffe dans le décor, il retrouvait une sérénité qui n’avait chez lui, rien de circonstanciel.

Martha lui rendait visite lorsqu’elle avait besoin de colostrum pour les agneaux sans mère.

Il allait alors chercher les précieuses bouteilles dans la grange et se cognait systématiquement la tête aux poutres, qui semblaient résolues à réduire la taille de tout être dépassant les 1m70.

Grand orateur, spécialiste d’histoires dont les protagonistes étaient souvent des gendarmes et des poivrots, Jacques brillait sous les lampadaires du village et incarnait à lui seul la réminiscence d’un passé regretté.

Il s’évertuait à conserver de vieilles archives plastifiées, où quelques mouches étaient elles aussi prisonnières d’une postérité non désirée.

Bien qu’il ne voulut pas être auréolé de la sorte, il subissait l’assaut régulier de curieux venus des quatre coins de la communauté de communes.

D’aucuns même ne se souvenait pas qu’il ait pu exister un passé sans Jacques.

Sans vivre de rebondissements dignes de ce nom, Martha appréciait vagabonder de ferme en ferme ou recevoir une visite impromptue.

Pourtant l’hiver, les gens tiraient les rideaux sombres sur eux et calfeutraient leur ennui.

Le caractère chloroforme du brouillard, ajouté aux émanations du radon rendaient la foule mélancolique.

Lors de ces journées vaporeuses, l’hypothèse de l’absence de vie humaine provoquait l’euphorie générale chez les non-humains.

Foulques, ragondins et renards se lançaient alors dans la grande exploration des sous-bois et des prairies broutées.

Les brebis réinvestissaient la bergerie, intégrant les automatismes qu’elles avaient délaissé dehors.

A la manière d’ouvriers exaltés par le jour de paye, elles s’agglutinaient à l’approche des seaux de grains, les yeux révulsés.

Dans la chaleur maternelle, elles agnelaient successivement.

 

Tout avait été très vite lorsque Martha avait pris la décision de reprendre cette ferme perdue en bout de vallée.

Un souvenir puissant lui rappela alors qu’un tel engagement n’avait pu être que le fruit de l’émerveillement.

Le sentier parcourant les champs gras et touffus d’où germaient de grosses pierres granitiques avait exercé une influence immédiate.

La forêt, plus en amont, donnait sur un chaos rocheux propice aux rêveries originelles.

La réflexion autour de ce projet avait une résonance plus large que celle de la simple reprise d’une ferme.

La créativité, que tous les êtres développaient spontanément, pouvait s’exprimer sans borne dans un environnement comme celui-ci.

Il était possible de donner un sens à sa vie et à celle des autres, hors des murs, hors des conventions.

Tout pouvait également être réversible et tempéré.

Un champ dont la récolte avait été médiocre ou un chemin inondé n’était pas une gravité en soi, c’était simplement un état dont la perspective évoluait indéfiniment.

Martha n’avait pas souhaité disposé d’un patrimoine qu’il fut naturel ou autre et d’ailleurs, elle savait que tôt ou tard, cet endroit serait foulé par d’autres qu’elle.

Elle souhaitait simplement concourir, activement et passivement, au continuum du pastoralisme qui s’était joué ici et jouir de la sobriété qui lui serait accordée.

Curieusement, dans ce village, peu souhaitaient bâtir des empires, à quelques exceptions près.

Ces empires auraient eu fatalement une durée de vie limitée.

Au contraire, la colline était truffée de petites fermes outillées de ce qu’il restait dans les fonds de granges, c’est à dire pas grand-chose.

Le progrès ne s’était pas beaucoup immiscé et d’ailleurs, les gens accueillaient ce qu’il advenait d’eux avec relativisme.

 

 

 

 

 

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Alphajuliett
Posté le 19/04/2025
C'est très descriptif et très imagé, on plonge vraiment dans cette campagne brumeuse et immobile. Je suis curieuse d'en lire plus afin de trouver le lien avec le résumé ;)
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