“Découverte : Iphias
Iphias est une île située dans le Premier Cercle de l’Euphrosyne, aux coordonnées X-46.70, Y-62.08, Z00 (vérifié et approuvé par le Comité Pyriadique de Cartographie) et TMP+0 (vérifié et approuvé par le Comité Pyriadique de Chronophysiques). Elle ne possède qu’une ville éponyme dont les habitants sont appelés Iphiens. Construite sur le coquillage d’un grand mollusque non identifié (proche du buccin corné[1]), son pic s’élève à trois-cent quatre vingt trois pieds, tandis que sa superficie maximale est de deux miles et quatre-cent pieds.
Des écrits Duponchéliens datent l’émergence du coquillage d’Iphias aux alentours de 500 (probablement 504, date exacte perdue[2]). Iphias fait officiellement partie de la Grande Amirauté Pyriadique depuis 1552.
Ses premiers colons sont originaires de l’île voisine d’Argynnis (en langue native : Meimĵon), et encore aujourd’hui, Iphias commerce avec Argynnis pour son bois, sa pierre et ses cultures. Alors que certains soutiennent qu’Iphias n’est rien d’autre que la colonie officieuse d’Argynnis, son commodore insiste sur le fait que le port florissant de la ville fait d’Iphias une île à part entière.
Si vous vous trouvez, pour une journée, amarré à Iphias, vous serez ravi d’apprendre qu’il est facile d’en faire le tour. On y trouve peu de divertissements ; ses citoyens sont habitués au va-et-vient des marins, et n’éprouvent pas le besoin de faire d’Iphias autre chose qu’une étape de plus sur leur chemin vers Pyriade. Le buccin lui-même peut être fort joli à certains moments de la journée, surtout à son pic, où la coquille, entretenue par des bienheureuses de la Lune, prend toutes sortes de couleurs et reflète une belle aura irisée. Cependant, de telles couleurs ne peuvent être admirées qu’à un ou deux endroits très précis. Les amateurs de coquillages géants feraient mieux de diriger leur attention vers l’île de Clodius, qui s’enorgueillit de cités labyrinthiques intra-coquillage (plus de détails dans l’édition de l’an dernier de l’Almanach de Mandraccio).
La ville elle-même est une succession de petites rues sombres et étroites qui dévalent les courbes du coquillage. Elles forment un terrain de chasse idéal pour le voleur à la tire, le coupe-doigts sanguinaire et autres menus bandits. De plus, les calades sont si pentues qu’il n’est pas rare pour un passant maladroit de glisser, tomber, et entraîner son voisin dans sa chute, créant de véritables avalanches vivantes qui ont à maintes reprises rasé des bâtiments entiers.
Le matelot de passage entendra sûrement les habituelles rumeurs sur un gastéropode endormi au fond de sa coquille qui menacerait d’entraîner la ville dans les profondeurs de la mer à la moindre contrariété. Soyez rassuré : toutes les études géologiques et zoologiques menées sur le buccin n’ont encore fourni aucune preuve de l’existence de son précédent locataire. Il est probable que le mollusque soit parti, ou mort, depuis déjà bien des siècles.
Votre écrivain vous conseille donc de ne pas prêter l’oreille à ces bruits de ruelles, et, à moins de n’avoir rien d’autre à faire de votre soirée, de ne pas participer aux « chasses au monstre » offertes par de nombreux guides à la nuit tombée. Évitez en particulier les tours orchestrés par Stragentalio Saut-de-pluie, qui, non contents d’être plus chers que leur concurrence, semblent également mettre un point d’honneur à être les plus décevants. Non, monsieur Saut-de-pluie, ce pauvre hère qui patauge dans la boue de cette grotte avec, pour seul vêtement, une touffe d’algues molles, n’est pas « l’étrange et séduisant tentacule d’une terrible créature marine cherchant à nous attirer dans sa gueule » , et vous ne leurrez personne. À vingt-cinq piastres les trente minutes, ayez au moins la décence de payer un acteur plus convainquant, ou plus charismatique !
Le principal intérêt d’Iphias réside en réalité dans son port, un endroit remarquable pour son organisation et qui exploite à merveille la forme circulaire du buccin. Que l’on soit à destination ou au départ de Pyriade, le marin expérimenté est presque certain de trouver une place où mouiller, de jour comme de nuit, et ce à un prix tout à fait acceptable compte tenu de sa proximité avec la proverbiale capitale du monde (vingt piastres les douze heures, avec tarif dégressif passé les deux jours). À noter que le port Sud, en particulier, offre les trois derniers jours de l’octave à moitié prix. Dépêchez-vous, car les places sont vite prises !
Le voyageur épuisé, quant à lui, ne devra pas chercher longtemps pour trouver, à l’orée de chaque port, une palanquée d’auberges et de cambuses abordables aux couchettes grandes ouvertes. Cependant, si vous ne craignez pas un peu de grimpette, votre écrivain aimerait vous conseiller La Parpelle Froide au 17, rue des Indolents. Si l’établissement, dirigé par douze dames amphibiennes originaires de Juvernica (natif : Ak-Mashri), porte bien son nom, il n’est néanmoins pas nécessaire de louer leur compagnie pour passer une nuit des plus agréables dans une chambre parfaitement insonorisée. De plus, les propriétaires sont charmantes et, si la soirée est calme, elles n’hésiteront pas à partager avec vous certaines des anecdotes les plus passionnantes que vous entendrez de ce côté du Cercle.
Malgré une tendance régionale à la bruine, les eaux de la zone sont plutôt calmes, souvent visitées par le vaudaire (sud-est) et la galerne (nord-ouest), et sont régulièrement vidées d’ombres. On y trouve de grands bancs d’églefins, de baudroies, de sinistrels blancs et de flets de qualité modeste. Attention pourtant, car la pêche sans permis y est interdite sous peine d’amende.
Des recherches plus approfondies sur la flore de l’île sont disponibles page 451. Avec une note finale de cinq étoiles sur dix, Iphias est un point d’ancrage incontournable pour tous types de voyageurs, mais peut-être pas une destination en soi. »
Extrait de : "Iphias", issu de L’Almanach de Mandraccio: le Guide Complet des Merveilles et des Terreurs de l’Euphrosyne, Île par Île, Cercle par Cercle, pour le Nouveau Venu et l’Autochtone : 3ème édition.
[1] Meecer-Rine, Ugritte. Encyclopédie des Coquillages de l’Euphrosyne: Identification, Écologie et Distribution. 1698.
[2] Voir l’étude de Fionnuala Wiehon sur les rapports commerciaux de Duponchélia dans Le Premier Cercle Pyriadique et l’Économie du Monde Maritime (1702).
J'avais lu le premier chapitre de l'Ephrosyne après les Histoires d'Or et je me rappelle des bateaux vivants et du pauvre chercheur qui avait tout perdu dans le naufrage de son bateau. Je me souviens aussi que ce premier chapitre était très long !
Ici, tu réalises une parenthèse en nous montrant une sorte de guide touristique d'une île sur la coquille d'un mollusque. Est-ce que tes persos prévoient de s'y arrêter par la suite ? Avec sa blessure et ce qu'il a vécu, j'imagine mal ton perso faire du tourisme dans un avenir proche, mais à voir ce que tu nous réserves...
Est-ce que tu imagines ces "intermèdes" avec des illustrations ? Avec une typo différente ? Est-ce que tu envisages d'écrire l'entièreté de L'Almanach de Mandraccio ?
J'ai eu le sentiment que tu n'avais pas besoin de la virgule avant le "et" dans ces deux phrases :
"ses citoyens sont habitués au va-et-vient des marins, et n’éprouvent"
"de glisser, tomber, et entraîner son voisin dans sa chute"
J’apprécie la personnalité de Isaac qui s’exprime dans son style d’écriture, c’est très bien fait et ça contraste, cette nonchalance, avec les événements tendus du premier chapitre. C’est aussi un excellent moyen d’apporter du contexte sur le premier chapitre (le buccin, les légendes, la nouvelle créature mystérieuse qui aurait fait couler le bateau) et de semer des graines loresques pour la suite. Très hâte de voir comment tu vas construire tout ça ! Je sens que ce sera particulièrement satisfaisant.
En tout cas, cet extrait est une excellente idée, d’une longueur adéquate. Ton style est toujours aussi agréable, ça ne change pas ! Merci encore de partager ce texte. Il n’y a plus qu’à savourer le reste !
Et toujours aussi prenant. C'est fou, là où dans beaucoup de romans de fantasy, j'ai parfois tendance à râler un peu quand ça part en mode encyclopédique... eh bien ici ça passe crème. Et cela contribue même à la qualité du récit. La manière de nous amener tous ces renseignements est complètement pertinente d'une part, et même savoureuse d'autre part. L'almanach, c'était l'occasion idéale pour ce genre de moments "à la découverte de l'univers".
Je n'ai pas vu passer ma lecture de ces deux premières sections. Ayant eu d'abord la crainte de me trouver comme au pied d'une montagne, il n'a pas fallu quelques lignes pour me plonger d'emblée dans ce monde.
"vous serez ravi d’apprendre qu’il est facile d’en faire le tour. On y trouve peu de divertissements" > Ce genre de petites remarques font sourire et donnent un ton hyper vivant. Comme d'ailleurs certains échanges du premier chapitre, du genre "J'imagine que tu as des questions. - Oui ! - Alors n'en formule aucune." héhé.
Le spectacle organisé par Stragentalio Saut-de-pluie, haha, j'adore xD Tout comme la minutie de ces détails quant à la faune, rappelant volontiers des ouvrages naturalistes. Là encore, on retrouve l'aspect "cabinet de curiosités" et "livre des merveilles" chers aux récits de voyage des XVIIe et XVIIIe - ça me parle très fort <3
Je réitère : un énorme coup de coeur. C'est riche, foisonnant, précis. Un roman qui n'a pas peur de se poser pour avoir ce genre de moments encyclopédiques, qui ne peuvent que séduire quand c'est si bien fait - et proche des grands Atlas et récits de voyages.
On va apprécier ces petites "pauses" que constituent les pages de l'almanach, au milieu des péripéties. Ici, on souffle après le naufrage, l'hôpital et toutes ces mésaventures. Mention spéciale aussi pour l'originalité de ces lieux que tu nous fais découvrir.
Je lirai la suite avec un grand plaisir !
À bientôt
Le croiras-tu, tu es mon dernier texte à lire pour les HO ! Comme je savais que tu avais un premier chapitre mastoc, je voulais avoir tous mes neurones et le lire dans des bonnes conditions, eeeet... voilà. C'est peut-être lié au fait que je me sois conditionné en avance, mais le chapitre 1 ne m'a pas paru si long, à la lecture, compte tenu de sa longueur. Oui, c'est long, mais ce n'est pas ennuyeux. Ce n'est pas trop dense en informations, y a beaucoup de choses suggérées mais suffisamment détaillées pour "guider" l'imagination et je trouve ça super chouette. Je pense aux bateaux, par exemple, je te suis TELLEMENT reconnaissant de ne pas avoir fait une description de pied en cap qui aurait pu être sympa, hein, mais qui aurait bien plus infantilisé lo lecteurice. Je trouve ça trop bien que tu laisses la part belle aux neurones des lecteurices, en plus tu as trouvé un juste équilibre entre la dose d'informations nécessaires à la clarté et la dose de mystère - enfin, je trouve.
Concernant ton univers en lui-même, il est très intrigant et j'ai hâte d'en savoir plus !
Bref : je finis les HO sur un super texte \o/
Plein de bisous !
Très réussi ! Tu reproduis très le style almanach et, sans lourdeurs, tu nous en apprend plus sur ta ville coquillage. C'est très intéressant !
J'ai beaucoup aimé le passage sur l'existence supposée d'un mollusque, très intéressant !
Un plaisir de découvrir ton histoire,
A bientôt !
Franchement, je salue tout le travail d'imagination et de construction de l'univers. Oo C'est d'une richesse et d'un réalisme (dans le sens ou l'univers à l'air tangible et cohérent). On a vraiment l'impression qu'il y a un million de trucs à découvrir à droite à gauche !
En tout cas, ces petits extraits encyclopédique, c'est une bonne façon de nous partager l'univers dans tous ces petits détails sans entre couper l'action principale de tartine d'exposition. Bien joué.
"TMP+0 (vérifié et approuvé par le Comité Pyriadique de Chronophysiques)"
Est-ce que... les îles ont aussi des coordonnées différentes dans le temps ?? :O Ou je m'emballe ?
Juste une petite remarque en passant :
* " son commodore insiste sur le fait que le port florissant de la ville fait d’Iphias une île à part entière." : c'est forcément une île a part entière. La question c'est plutôt de savoir si c'est une cité à part entière, ou une île indépendante ?
M'voilà, à bientôt - j'espère - pour la suite des mésaventures d'Isaac !
Tu craignais que ce chapitre ne soit pas passionnant. Je t'avoue que j'ai eu un peu peur au début avec le style très précis et mathématique qui aurait pu me lasser. Mais en fait, comme on passe vite à un ton plus "touristique", ça n'a pas posé de réel problème ! Et je trouve même que ça reflète bien deux aspects de la personnalité d'Isaac : le scientifique et l'exalté. J'ai même carrément pouffé au passage sur ce monsieur Saut-de-Pluie (tes noms propres sont merveilleux dans cette histoire, je ne te l'ai pas encore dit ?), donc franchement, je trouve que ça marche bien ! Et pour le coup, c'est très court, ce qui est appréciable de temps en temps pour changer des chapitres très longs. En plus, le titre de l'Almanach laisse imaginer qu'on aura d'autres passages comme ça concernant d'autres lieux et ça me plaîîît <3 Ça me rappelle l'Atlas des géographes d'Orbae de François Place : une série de livres qui décrivent un monde région par région, avec à chaque fois une histoire qui s'y déroule et moult détails (y compris dessinés !) sur chacune des cultures.
Bref : à vérifier avec de futures lectures, mais pour moi c'est bon, j'achète !
Des trucs relevés au passage :
- "le commodore d’Iphias insiste que les affaires florissantes du port en font une île à part entière." : insiste que, ça ne se dit pas, je crois. Affirme ? bof ?
- "La Parpelle Froide au 17, Rue des Indolents" : aHA ! Une majuscule superflue ! Pris à ton propre piège !! Non je déconne mais je crois que généralement on ne met pas de majuscule à rue, avenue, boulevard etc.
- "Cependant, la pêche sans permis y est, sans surprise, interdite sous peine d’amende." : sans permis puis sans surprise, c'est un peu répétitif, mais je ne saurais pas te conseiller de reformulation et ce n'est pas très grave au fond.
J'ai très hâte de lire la suite, comme tu sais <3