Demande-moi

Par Ewen

S’il te plaît, demande-moi des trucs perso. Genre qu’est-ce que je fais dès que je rentre chez moi le soir après le taff ; quel genre de musique j’écoute pour faire du sport, me réveiller ou m’endormir ; où est-ce que je rêve d’aller en vacances ; est-ce que je préférerais perdre la vue ou l’ouïe et pourquoi… Enfin ce genre de questions qu’on pose quand on essaye au moins de faire semblant de s’intéresser aux gens. Demande-moi mon avis sur un truc, je sais pas. Allez, tu vas bien finir par le faire. Parce que j’en peux plus, vraiment ça commence à être au-dessus de mes forces de t’entendre parler de choses aussi insignifiantes que la raison pour laquelle tu es tombée malade vendredi soir et comment ça a pourri ton week-end, ou encore les malheurs de tes amies, lorsque ce ne sont pas de purs et vulgaires ragots sur nos collègues. Je sais déjà tout sur toi et ça ne fait que six mois qu’on bosse ensemble. Je sais que ton film préféré ne vaut pas le mien ; je pourrais faire la liste de tous les restaurants et fast-foods que tu as essayés dans toute la ville et les classer par ordre de préférence ; je connais le nom d’une dizaine de tes copines alors que je ne les ai jamais rencontrées ; je sais d’avance dans quel pays tu vas te rendre cet été même si tu hésites encore. On pourrait dire que je lis en toi comme dans un livre ouvert, mais ce n’est même pas la peine : t’es un putain de livre audio, qui se lance dès que tu as posé tes affaires sur ton bureau et qui ne s’arrête qu’à dix-huit heures. Même pas de pause à midi : quand on ne mange pas à la même table tu es à celle d’à côté.

Mais au fond je m’en fiche, tu sais. Je te laisse une chance. Sans ton disque qui tourne en boucle je me sens un peu seul, en fin de compte. Mais plus que de voir quelqu’un, je pense que j’ai juste envie de parler. Alors vas-y, bordel de bordel, pose-moi des questions. Tout ce que j’attends c’est le prochain point d’interrogation à la fin d’une de tes phrases. Là je peux le plus souvent en placer une. Et peut-être qu’un matin – qui sait ? – tu n’auras rien de neuf à m’annoncer une fois arrivée au bureau. Alors tu arrêteras de parler de toi deux minutes, et au bout de deux minutes, n’en pouvant plus du silence, tu me poseras enfin une question. Je ne sais pas ce que tu demanderas, ça c’est encore un mystère – comme quoi, je ne te connais pas encore par cœur. Ça sera peut-être une question sur mes goûts culinaires ; combien j’ai de frères et sœurs ; est-ce que je peux t’aider à choisir entre deux couleurs pour une future teinture ; qu'est-ce que je fais jeudi soir… Je sais pas. Là tu es encore partie pour une heure de déblatérations à l’encontre de l’ensemble de ton voisinage. Même pas sûr que tu vérifies si je t’écoute ou non. Mais j’attends. J’attends impatiemment.

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Pouiny
Posté le 22/06/2023
Ouah la définition de la guerre d'égo x) l'homme est dégouté que la femme parle tout le temps et s'intéresse pas à lui.... alors qu'il ne s'y intéresse pas non plus (s'il s'y intéressait ça ne le dérangerait pas à ce point de l'entendre parler je trouve). Et c'est marrant parce qu'en tant que mec gay je connais trop trop trop souvent l'inverse, l'homme qui parle tout le temps pour se mettre en avant et faire le male alpha séducteur x) Je trouve que le texte aurait sans doute gagné à être genré neutre (que la personne dont il parle, au moins, ne soit pas genré) parce que ça pourrait presque rentrer dans un cliché sexiste de la femme superficielle qui parle tout le temps, égoiste et volatile. Néanmoins force est de constater que même après des mois d'absence bah j'aime toujours autant ton style d'écriture, c'est fluide !
Ewen
Posté le 22/06/2023
Pour le coup je ne suis qu'à moitié d'accord avec toi : ici l'homme peut tout à fait être intéressé par la femme (quelques indices en témoignent au fil du texte), mais il en est juste arrivé au point où trop c'est trop. Mais effectivement les deux sont imbus d'eux-mêmes, ne pensent qu'à eux. (Décidément, avec entre Chiottes et cette histoire, mes personnages sont tous les mêmes x))

Pour ce texte-ci je me suis inspiré du style de David Thomas après la lecture de deux de ses recueils de nouvelles. Il a pas mal d'histoires dépeignant ainsi les relations entre hommes et femmes, mais il contrebalance en passant d'un point de vue à l'autre selon les textes. Et au final on a un ensemble de portraits très réalistes. Le problème de mon histoire c'est qu'elle est toute seule, et forcément, un côté macho en ressort avec cette femme superficielle "cliché" (mais ce genre de personnes existent)
J'aurai l'occasion de mettre en avant des personnages féminin plus intéressants dans d'autres histoires, dans celle-ci ce n'était juste pas le propos 😅
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