Au départ, je suis sortie prendre l’air. J’étouffais au cœur de ce studio trop petit. J’étais prisonnière de cet endroit où la chaleur était impardonnable l’été tout comme l’était le froid en hiver. J’aurais pu chercher un autre lieu où vivre, mais mon métier ne me le permettait pas. J’étais condamnée à rester là tant que je n’aurais pas appris à exister autrement qu’au travers d’un travail que j’adorais autant que je le haïssais.
Certains jours, j’étais fière de l’accomplir. J’avais la sensation de me battre pour une cause juste. Je me moquais du regard d’autrui. Je ne me souciais pas des on-dit. Je faisais mon boulot. Puis venaient les mauvaises périodes, celles où les cadavres ont un visage trop enfantin, où la souffrance des mères vous obsède presque autant que la cruauté des hommes. Je me souviens de ces instants passés à essayer de résoudre ses affaires sans y parvenir vraiment.
Nous n’avions pas le matériel des experts. Nous devions supporter la pression médiatique, celle qui trahissait nos pistes ou nous maudissait d’être aussi lent. Si nous étions prêts à reconnaître notre manque de perfection, le monde semblait refuser de nous donner le droit à l’erreur. Alors la déprime venait de nous guetter. J’ai vu des amis sombrer dans l’alcool pour oublier les âmes brisées, les jeunes fauchés trop tôt et les injustices. D’autres ont préféré abandonner la partie, parfois définitivement.
Au départ, je leur en voulais. J’étais pleine d’espoir. Je me croyais forte. Puis la réalité m’a giflée un matin. Je me suis retrouvée à devoir l’encaisser en silence avant de craquer à mon tour. Je pénétrai dans l’un de ses bars où je me suis perdue certains soirs. Je n’étais jamais seule, toujours accompagnée de plusieurs verres. Je ne rentrais pas en voiture, mais à pied ou au bras d’un inconnu. La nuit était douce...
Sauf que le réveil était douloureux. Je n’aimais pas redescendre sur Terre. Parfois, j’ai songé à prendre une autre voie, mais le désir de protéger était trop fort. Alors j’ai continué sur cette route sans me soucier de la destruction de mon âme. Si c’était le prix à payer pour un monde plus juste, j’étais prête à l’encaisser.
Mais peut-être était-ce parce que je n’avais aucune autre existence à côté ?
Ce matin ne changerait rien. Cette sortie, non plus. Je ne cherchais qu’à faire une pause. Mon regard s’amusait à se perdre sur les murs froids de la ville dans laquelle j’étais enfermée. Je trouvais les boutiques sans le moindre charme, regrettant les devantures de celles d’autrefois. Cette pensée me donna la sensation d’être l’une de ses vielles connes que je m’étais jurées de ne pas jamais devenir.
Un sourire se dessina sur mes lèvres.
Puis je me perdis du côté du ciel prisonnier derrière des nuages plus blancs que gris. Aucune pluie ne semblait décider à se déverser pour autant. Le soleil ne voulait juste pas sortir. Ce n’était pas grave, cela n’empêchait pas d’apprécier la beauté de certains espaces verts. Ils n’étaient pas aussi charismatiques que les forêts que l’on pouvait découvrir lors des promenades dominicales, mais ils offraient cette bulle d’air nécessaire aux citadins en manque de nature.
Je pénétrai à l’intérieur de l’un d’eux, un de ses parcs où la fontaine ne se déploie pas qu’au printemps. J’admirai les arbres dont le feuillage oscillait entre le jaune et l’orange quand il n’avait pas déjà disparu. Je laissai mon regard dériver vers les jeux d’enfants...
Et la douleur frappa. Brutale. Inexplicable.
Je sentis le brouillard m’envahir. Des cris résonnèrent autour de moi. Un autre corps tomba devant moi. Je compris alors que j’étais à terre trop faible pour saisir le mal dont je souffrais. Je n’étais plus capable d’analyser la situation, plus capable de penser de manière sereine. La panique m’avait envahie.
Mon esprit était en train de s’envoler. J’étais tirée par quelque chose, une force contre laquelle je n’arrivais pas à lutter. Je ne voulais pas partir. J’étais effrayée à l’idée de ne plus jamais pouvoir revenir. Je ne voulais pas fermer les yeux. J’avais peur de cesser d’exister. Alors un cri s’échappa de ma tête. Il ne fut qu’un murmure lorsqu’il traversa mes lèvres. Je venais d’appeler quelqu’un au secours, le dernier parent qu’il me restait, ceux qui vous protègent durant l’enfance et qui vous rassurent...
Mais il ne vint pas.
L’obscurité remporta la victoire. Puis tout devint silencieux. Le Néant.
Une éternité s’écoula. Ou peut-être une seconde. Quand je rouvris les yeux, je ne sus pas où j’étais. Je voyais juste un corps allongé sur le sol. Son pull était imprégné d’un sang plus sombre qu’éclatant. Je fixais sa blessure en silence, hypnotisée par elle comme je l’avais été lors de mes premières missions. J’aurais dû bouger pour le secourir, j’aurais dû appeler à l’aide sauf que mon esprit refusait de répondre.
Et les ambulanciers débarquèrent. Je ne les sentis pas me bousculer. J’eus la sensation d’être traversée. Troublée, je sortis de ma contemplation pour chercher à les interpeller jusqu’à ce que mon regard capte quelque chose d’anormal.
Ce corps était le mien. Il était surmonté de mon visage. Mes paupières n’étaient même pas closes. J’aurais presque pu me fixer. Je me fixai... Je reculai brutalement frapper par l’horreur de la situation. J’étais en train de mourir. Je me voyais mourir.
J’étais morte.
Je sentis la douleur s’évaporer. Mon cœur cessa de battre. Ils cessèrent aussi de lutter pour me ramener. C’était fini.
Fini.
Qu’allais-je devenir ? Allais-je disparaître ?
Sis' tu es enfin là !
Un cri d’enfant. Je me retournais brutalement pour découvrir sa propriétaire. Ma petite sœur, partie trop tôt, se jeta dans mes bras. Ses yeux brillaient sous l’effet de la joie ou peut-être des larmes. Sans me poser la moindre question, je répondis à son étreinte. Je l’avais retrouvée.
Viens, je vais te montrer ta nouvelle maison.
Sa main saisit la mienne. Elle m’entraîna vers une demeure, celle de ma grand-mère, qui nous attendait sur le seuil.
Et je me sentis enfin sereine.
Drôle d’histoire... Tu laisses planer un certain mystère : en effet, on ne sait pas comment elle est morte. Ce qui me paraît le plus probable, c’est qu’on lui ait tiré dessus.
Ce récit se lit facilement, il est bien mené, tu exprimes bien les émotions de la narratrice. Je ne sais pas si c’est parce que je suis fatiguée, mais j’ai l’impression de les percevoir à travers une sorte de torpeur, et en fait, ça me plaît bien..
Coquilles et remarques :
cet endroit où la chaleur était impardonnable [ici, « impardonnable » est impropre ; je propose : insoutenable, accablante, insupportable]
Je me souviens de ces instants passés à essayer de résoudre ses affaires sans y parvenir vraiment [ces affaires ; oui, ça pourrait être les siennes, mais ça ne me paraît pas logique]
ou nous maudissait d’être aussi lent [lents]
Je pénétrai dans l’un de ses bars [ces bars]
l’une de ses vielles connes que je m’étais jurées de ne pas jamais devenir [ces vieilles / que je m’étais juré]
Aucune pluie ne semblait décider à se déverser pour autant [décidée]
un de ses parcs où la fontaine ne se déploie pas qu’au printemps [ces parcs]
Je compris alors que j’étais à terre trop faible pour saisir le mal dont je souffrais [J’ajouterais une virgule avant « trop faible ».]
Je reculai brutalement frapper par l’horreur de la situation [frappée / j’ajouterais une virgule après « brutalement »]
Puis tout devint silencieux. Le Néant. [« néant » ne devrait pas prendre de majuscule]
Un cri d’enfant. Je me retournais brutalement pour découvrir sa propriétaire [Je me retournai (passé simple) / la propriétaire d’un cri, c’est quand même bizarre ; je propose « son auteur » ou « son autrice »]