Départ pour le Nord

Par Sylvain
Notes de l’auteur : N'hésitez pas à jeter un coup d'œil à la carte:
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Quel personnage désagréable, fourbe et prétentieux, pourquoi père me l’a-t-il fourré dans les pattes ? Le coup du sort dont je suis victime ne lui suffisait pas ?

Eyanna fixait le prince estrien avec exaspération. Le pompeux individu trottait en fin de ligne au côté de son monstre de foire, et la seule chose qui lui remontait un peu le moral était que le jeune homme paraissait aussi à l’aise sur sa monture qu’une vache en pleine mer. Son cheval le ballotait dans tous les sens et il semblait avoir un mal fou à garder l’équilibre.

— Et bien Prince ! le héla-t-elle. Pressez-vous un tantinet où je risque d’avoir des cheveux blancs avant d’être prêtresse !

L’interpellé lui lança un regard assassin qui lui fit chaud au cœur. Au moins aurait-elle une distraction si le voyage devenait trop morose.

— Que t’a donc fait ce pauvre gamin pour que tu t’acharnes de la sorte ? lui demanda son oncle, les yeux rieurs.

— Ce malotru n’a absolument aucun savoir-vivre, et il m’a manqué de respect, fulmina-t-elle.

Le géant haussa un sourcil, ou ce qui  aurait dû se trouver à cette place là tant il était difficile de s’y retrouver dans cette masse de poils hirsutes.

— C’est une remarque surprenante de ta part, commenta-t-il. Que l’on penserait plutôt entendre de la bouche de ta sœur.

— Ce n’est pas pareil, si tu essaies de soutenir la comparaison avec moi, sache que je fais preuve d’énormément d’esprit dans mes critiques, rien à voir avec les balbutiements de ce rustre sans cervelle.

— Je vois.

— Dit-moi plutôt, Père nous a raconté comment tu lui avais sauvé la vie face à une… salamandre géant. Impressionnant.

Althaer éclata d’un gros rire.

— Une bête d’une coudée de long, ton père a toujours un peu exagéré, c’est pour ça qu’il est roi. Je suis même surpris qu’il se rappelle encore de cette histoire-là.

Ils arrivaient à peine au nord du lac du Cœur et entendaient le bruit assourdissant de la cascade. Ils contourneraient les bois du seigneur Bolion, avant de rattraper la Rurque et de la longer jusqu’à Candala. Devant eux chevauchait la prêtresse, digne et d’une tenue parfaite. Frère Bronk faisait, lui, de gros efforts pour se maintenir à sa hauteur et tentait désespérément d’engager la conversation.  L’ecclésiastique ne collait pas au tableau, on s’attendait plutôt à le trouver enfermé dans une bibliothèque qu’à cavaler en rase campagne. Sa généreuse bedaine tentait par tous les moyens de se carapater et il avait les plus grandes difficultés à la maintenir entre ses cuissots. Une importante calvitie dominait le haut de son crâne, et de grosses gouttes de sueur y perlaient malgré la fraîcheur matinale.

— Et que pensez-vous de l’intervention de notre Sanctissime Primat sur le tolérantisme à l’égard des modérés ? Il semble considérer qu’une analyse sémantique des écrits sacrés fait ressortir une mauvaise interprétation des préceptes divins. Les amants, malgré leurs dévouements réciproques, auraient toujours prôné une distinction claire et précise entre Jaéniste et Eljaniste, sans laisser place à l’indécision des modérés. Son allocution a suscité un vif émoi parmi la communauté religieuse, et a induit des débats forts passionnants au sein du collège ecclésiastique de Candala. Comment a-t-il était perçu chez les représentants matriarcaux ? Je dois vous avouer que votre avis sur la question m’intéresse beaucoup…

— Frère Bronk, répondit la prêtresse avec la patience d’un adulte s’adressant à un enfant. Il me semble qu’au delà des écrits sacrés, notre dogme s’appuie sur une expérience séculaire évolutive, et que les amants avaient davantage induit l’écriture de cet ouvrage pour donner un point de départ aux habitants d’Eryon, et non une ligne de conduite immuable à suivre scrupuleusement au fil des âges. Il s’agit plutôt d’un état de réflexion, d’une recherche de soi. Tout le monde ne peut se retrouver dans chaque phrase, chaque mot de ces écrits, et il appartient à tout un chacun d’honorer la volonté de nos dieux à sa façon. Mais je sais que l’étroitesse d’esprit a toujours été un problème prédominant de la théologie jaéniste. Vous cherchez désespérément à donner un sens aux mots pour compenser votre imagination étriquée.

— Certes, mais quand même, vous devez bien avoir un avis sur…

Althaer poussa un long soupir en fixant son regard au ciel :

— Ces culs-bénis et leurs préoccupations… se lamenta-t-il en reportant son attention sur sa nièce. Quelque chose ne va pas ?

Eyanna s’était rembrunie, l’air ailleurs.

— Je repense juste à notre départ, j’espérais un petit signe d’affection de ma mère.

— La pauvre femme  est malade, elle n’a plus toute sa tête.

— Je ne m’attendais pas à de grandes effusions, mais une petite démonstration d’amour… Elle a toujours manifesté davantage de tendresse envers Ethyer et Nemyssïa. Je me suis toujours sentie de trop. Jamais un regard tendre.

— Tu te fais des idées. Pourquoi en serait-il ainsi ?

— Peut-être parce qu’elle ne m’a pas connue. Ma sœur avait quoi, trois ans lorsque la démence l’a touchée ?

— Tu remues des souvenirs douloureux Eyanna, bredouilla le colosse. Effectivement, ta mère était enceinte de toi à cette époque. Ethyer venait d’avoir cinq ans, et le pauvre était mal en point.

— C’est difficile à concevoir lorsqu’on voit l’animal, capable de dompter une gorgone.

L’image fit sourire Althaer.

— Tous les guérisseurs, herboristes et même prétendus sorciers ont tenté de le soulager. En vain. Le pauvre ne pouvait se déplacer qu’au prix d’efforts faramineux. Sa respiration ressemblait à un crépitement de cheminée, et une fièvre de cheval le tenait constamment. Il était déjà miraculeux qu’il survive jusque là.

— Mais alors, comment… comment s’est-il rétabli ? Enfin, regarde-le, il est fort comme un buffle, il va être Roi!

— Je ne sais pas, personne ne sait… mais ce fût une période compliquée pour ta mère. On pense qu’elle a perdu la boule à cause de ça. Tout ce stress… on raconte que ta mère a fait ce qui devait être…

— Comment ça ? Qu’est ce que ça veux dire ?

Le mastodonte eu l’air ennuyé.

— Rien, des histoires circulent… rien de tangible.

— Raconte ! Tu en as trop dit  à présent ! insista la princesse.

— Rah, bien, bien, grogna son oncle. Ta mère serait allée sur l’île du Cœur rencontrer une vieille folle rebouteuse. Je n’en sais pas plus, mais toujours est-il qu’après cela, la santé de ton frère s’est nettement améliorée. Mais on raconte qu’elle y aurait laissé son équilibre mental.

— Sur ce caillou maudit ? Mais qu’y a-t-il là-bas à part quelques légendes urbaines ?

Les yeux d’Althaer se firent soudain durs, s’éclairant d’un éclat noir étincelant, comme deux lueurs au milieu de cette forêt de poils.

— Ca suffit maintenant avec ces sornettes Eyanna ! Je t’en ai dit plus que ce que je voulais, gronda-t-il.

Eyanna connaissait son oncle, et elle savait quand se taire. Elle était habituée à ses sautes d’humeur impromptues, mais elle restait toujours surprise par leurs apparitions aussi soudaines et violentes qu’un orage d’été.

Un homme arrivait sur le chemin opposé, Evin Justé revenait de son exploration. Il montait un magnifique pur-sang à la robe alezane cuivrée.  Cavalier émérite, le jeune homme faisait preuve d’une aisance incroyable et son style était époustouflant. Rien à voir avec ce balourd de prince tout juste bon à monter un vieil hongre docile.

— J’ai repéré un coin parfait pour passer la nuit à l’abri du vent d’est, à une petite heure de trot d’ici, à quelques lieues à peine. Si tout ce passe bien, nous ne devrions passer que quatre nuitées à la belle étoile avant d’atteindre Candala.

— Vous montez prodigieusement bien Evin, bêla  Eyanna en regrettant immédiatement ses paroles.

Ne suis-je capable que de phrases creuses et insipides en sa compagnie ?

— Je vous remercie princesse, j’ai l’habitude des longues chevauchées et des nuits au clair de lune sur les propriétés de mes parents. Mais c’est un plaisir de les effectuer en votre compagnie.

— Vous me mettez mal à l’aise Evin voyons, gloussa-t-elle bien malgré elle.

*

Kaelon soupira d’exaspération. Les deux jouvenceaux ne pouvaient-ils pas avoir la décence de roucouler en privé ? Fallait-il vraiment qu’ils leurs imposent ça ? Presque une journée qu’ils chevauchaient, et il n’en pouvait déjà plus. Sa jambe lui faisait mal et son arrière-train l’implorait de faire une pause. L’état de fatigue avancé dans lequel il se trouvait l’empêcher de réfléchir correctement, et le trémoussement de cette péronnelle n’arrangeait rien.

— Pourquoi regardes-tu la princesse comme une mouche tombée dans une choppe de bière ? demanda son compagnon.

— Pourquoi je…, répéta Kaelon. Non, je veille juste sur cette babillarde comme l’a souhaité son père.

— Que fait-on là Kaelon ? Pourquoi n’est-on pas retourner à la Fière avec Hélane combattre les Arguelas ?

C’était une bonne question.

— Parce que le Roi d’Eryon m’a confié une mission que je ne pouvais pas refuser, s’agaça le prince. Je te l’ai déjà expliqué !

Le colosse marmonna quelque chose d’indistinct avant de se taire. Le reste de la journée se déroula avec la même monotonie que jusqu’à présent. Ils atteignirent l’abri trouvé par le fils Justé, qui s’avéra effectivement être un excellent endroit pour passer la nuit. Ils grignotèrent quelques provisions emportées et eurent même le plaisir de manger un lapin attrapé un peu plus tôt par Evin. Il sait tout faire celui-là ? Il va se métamorphoser en troubadour à présent ?  pensa le jeune homme avec aigreur. Kaelon se glissa sous une grosse couverture râpeuse afin de se plonger dans un repos réparateur. Comment va réagir Mère ? Non seulement je n’ai pas mené ma mission à bien, mais en plus, je me retrouve à crapahuter en direction du Nord avec nos ennemis. Elle va prendre ça pour une désertion. Immergé dans ses pensées, le sommeil tardait à venir alors que le reste de la troupe dormait déjà. C’est ce moment que choisit Bordur qu’un œil, guerrier parmi les guerriers, dont le courage n’était plus à démontrer, pour hurler de terreur comme un moutard.

Inutile de préciser que l’ensemble du groupe fût sur pied dans la seconde, à l’affût d’une menace potentielle.

— Que lui arrive-t-il ? demanda la prêtresse en identifiant enfin l’origine du cri.

— Rien, ce n’est rien, expliqua Kaelon. Ca lui arrive parfois. C’est son œil… enfin, celui qu’il n’a plus.

Le géant s’était à présent rendormi, comme si de rien n’était.

— Comment ça ? demanda Eyanna, à présent bien réveillée.

Chaque membre de la bande s’était rapproché de lui en attendant la suite. Kaelon soupira.

— Il a perdu son œil en combattant les Arguelas, vous savez, cette menace venue de l’est, précisa-t-il en adressant un regard appuyé à la princesse. Et comme toute blessure provenant d’une de ces créatures, elle est… magique, elle ne guérit jamais, et inflige une douleur semblable à celle ressentie sur le coup… indéfiniment. C’est une malédiction, et peu d’hommes sont capables de supporter une telle torture. C’est ce qui rend notre combat si compliqué. Bordur, lui, s’est fait transpercé l’œil par une griffe, et c’est une chose incroyable qu’il soit toujours parmi nous. Il aurait déjà dû sombrer dans la folie depuis longtemps.

— Et… comment survit-il ? Ce que vous racontez me semble terrible !

Kaelon se tourna vers Evin.

— Il pense que… en s’arrachant les chairs encerclant la blessure initiale, il supprimera la douleur. Plus de tissu infecté, plus de malédiction.

— Et… ça marche ?

— Dans une certaine mesure… Il passe le plus clair de son temps à gratter la peau, mais comme celle-ci ne cicatrice pas, il est constamment au bord de l’infection.

— Jaénir tout puissant… psalmodia frère Bronk en se signant d’un symbole infini sur la poitrine avec deux doigts.

— Ces créatures, ces griffes… existent vraiment ? demanda Eyanna d’une voix tremblante.

— Evidemment, grogna Kaelon. C’est d’ailleurs avec leurs ongles que nous fabriquons nos armes.

— Mais oui ! s’exclama la princesse, c’est ce qu’à prétendu votre ami !

— Mon ami ?

— Oui, celui qui nous a si bien décrit votre attirance pour les maisons de charme.

Kaleon s’empourpra sous la pique. Quelle peste perfide…

— Mandler Crésone, ronchonna t-il en grinçant des dents.

— Voilà, c’est ça, confirma-t-elle en lui adressant un sourire ingénu.

— Pourquoi vous aurez-t-il parlé de cela ?

— Parce que… réfléchit la jeune femme. Il aurait blessé mon oncle avec. C’est ça ?

Elle se tourna vers Althaer. Celui-ci répondit en faisant la grimace :

— Une altercation de jeunesse sans aucune importance. J’ai cicatrisé depuis longtemps.

— Impossible, commenta le prince. On ne guérit pas d’un coup d’ongle. Etes-vous sûr qu’il ne s’agissait pas d’une simple lame ?

— C’est probable.

— Non ! contra Eyanna d’une voix excitée. Je suis certaine qu’il a parlé d’un ongle !

— Puis-je voir l’entaille ?

— Elle a disparu depuis longtemps, s’énerva le géant. Et il serait peut-être temps de prendre un peu de repos si nous voulons être frais  pour chevaucher !

Le débat fût clôturé, et chacun retourna se coucher. Kaelon songea à sa journée, au courroux de sa mère, et finit par s’endormir peu avant l’aube.

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Edouard PArle
Posté le 02/03/2022
Coucou !
Retour dans le présent avec Kaelon et les deux jeunes tourtereaux qu'il escorte. J'ai eu un peu de mal à me remettre dedans au début mais avec l'apparition de Kaelon je m'y suis mieux retrouvé.
Tu as bien fait de rappeler l'effet des blessures des arguelas, que tu avais déjà évoqué un peu plus tôt. Ca permet de se rappeler la terrible souffrance à laquelle sont soumis les blessés.
Les interventions de Frère Bronk sont intéressantes, le personnage apporte quelque chose. Après en début de chapitre, il y a 2-3 répliques un peu techniques. Il faut se concentrer / relire pour bien comprendre. Après tu veux peut-être garder cet effet car il correspond mieux aux personnage. A voir.
Petite remarque :
"vous aurez-t-il" aurait
J'enchaîne...
Sylvain
Posté le 02/03/2022
Coucou!
C'est vrai qu'il faut s'habituer à changer de points de vue à chaque chapitre. C'est une gymnastique pas toujours évidente d'avoir plusieurs points de vue à suivre. A titre personnel, c'est le genre de lecture que j'affectionne, donc forcément, je reproduis^^
L'échange entre le moine et la prêtresse et assez indigeste^^ J'ai fait exprès, mais la compréhension n'est pas primordial pour l'histoire.
Edouard PArle
Posté le 02/03/2022
Coucou !
J'apprécie aussi bcp les changements de pdv, ce n'est pas un problème du tout. Je n'avais juste pas trop assimilé les persos d'Eyanna et Evin mais maintenant ça ne devrait plus poser problème.^^
Sebours
Posté le 21/01/2022
Nous repassons sur le fil principal de ton histoire. Tu poses les base d'un triangle amoureux intéressant je trouve.
Attention à tes premiers dialogues. Il manque quelques phrases de liaison (incises?). Je comprends l'effet que tu recherchais. Tu voulais donner l'impression qu'on remontait la troupe de cavaliers. Mais par exemple, lorsque tu repasses des prêtres à Eyanna, il manque une transition. J'ai eut du mal à savoir qui parlait, et à qui.
Et il y a un passage qui m'a sortit de ma lecture car il ne colle pas. "avec la même monotonie que jusqu’à présent." Que jusqu'à présent, je trouve ça un peu lourd et pour moi, le début de journée n'avait rien de monotone. On a Kaelon qui lutte pour rester en selle, Eyanna qui minaude, Evin en mode super-héros...
Sylvain
Posté le 23/01/2022
Tu as raison, il y a des problèmes de transitions. Je suis vraiment content que tu lises mon histoire. Ca sera vraiment précieux pour la relecture. Tu pointes des choses auxquelles je n'ai pas fait attention.
Sebours
Posté le 23/01/2022
C'est comme moi. On est dans le premier jet. Il y a plein d'erreurs et de petites incohérences. Nous avons besoin de béta-lecteurs. Et je trouve cool qu'on s'entraide comme ça sur le long terme. J'ai l'impression que certains postent un commentaire comme ça sur pas mal d'histoires histoire de racoler et avoir des vues. Ce n'est pas ma vision. Je me suis abonné à 3-4 histoires et je les suis à fond.
Et j'ai vraiment l'impression qu'on progressent ensembles tous les deux car on a commencé en même temps. On améliore nos styles respectifs et nos histoires grâces aux remarques sans concessions que l'on se fait .
Sebours
Posté le 23/01/2022
Personnellement, j'ai déjà hâte d'être à la phase réécriture. Pourtant, le chemin est encore long.
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