Dès son réveil, il sentait le vent l’appeler. Il sortait de sa chambre en courant, sautant sur l’aurore à pied joint sur le sol. Il engloutissait un peu de pain et, son sac de la journée sur le dos, il partait en courant sur les montagnes. Chez lui, l’herbe était toujours verte et le sol toujours meuble. Mais ce qu’il regardait quand ses pieds couraient sur cette terre fraîche était uniquement le ciel dont le bleu et le blanc des nuages étaient parsemés de couleurs vives de ballons géants. Le pays de ce garçon était celui des montgolfières.
Presque à quatre pattes, grimpant avec ardeur sur les hauteurs, il allait rejoindre le point de départ de toutes ces gigantesques montgolfières. Orchestrées toutes par un seul homme, les nacelles et les ballons se trouvait toutes sur un sommet plat qui semblait presque avoir été créé par l’homme. Ici, les collines avaient beau être ce qu’elles étaient, elles semblaient avoir été domestiquées. Peu d’arbres les recouvraient ; la plupart étaient surtout faites d’herbes et de buissons, de bruyère sauvage. Des chemins de terre parfois les caressaient en surface ; mais elles étaient assez dociles au pas pour que la plupart des habitants puissent s’en passer. Certaines collines étaient couvertes de champs et de plantations, qui étaient le plus difficiles à esquiver. Et dès le matin, la chaleur du gaz gonflait ces ballons géants qui s’envolaient au-dessus de ces douces petites montagnes dans le silence du vent. Certains partaient simplement pour la journée ; d’autres, pour bien plus longtemps. Mais il n’était jamais possible de savoir lesquelles allaient véritablement revenir. Et Acacio, jeune garçon de douze ans, courrait tous les matins à travers les montagnes, le sourire aux lèvres, retrouver ces ballons géants qui faisaient frémir le vent et battre son cœur.
« Ah, te voilà ! J’ai du travail pour toi, Acacio ; Il y a une des toiles de montgolfière qui s’est abîmée. Peux-tu aller la vérifier ?
– B… Bien ! »
Le grand monsieur au chapeau noir, qui venait de lui parler, eut un grand soupir.
« Tu n’as pas à courir comme ça pour arriver ici, Acacio. C’est mauvais pour toi, tu risques de te faire mal.
– Ça … ça v, va, j… je, je vous, l’a… ass...u, ure ! »
Dès que le garçon ouvrait la bouche, son sourire s’évaporait ; quelque chose dans sa poitrine semblait s’alourdir et enfoncer tout son corps jusqu’aux entrailles de la Terre. Car dès que sa voix sortait de sa gorge, le regard de cet homme strict au chapeau noir semblait s’éteindre comme une braise sous l’eau froide.
« Je… Je su… suis, d… dé, déss.. so, sollé… Père.
– Ne perds pas ton temps en de longues phrases et mets-toi au travail ! »
Et sans un regard de plus, il se détourna du jeune garçon pour parler à des clients potentiels. Le cœur lourd, son regard fixa quelques instants encore l’homme au chapeau noir, avant de se tourner vers la tâche qu’on lui avait confiée.
Acacio était un garçon efficace, rempli d’entrain et d’énergie. Il savait coudre, réparer les nacelles, s’occuper du gaz et faire tout ce qu’avait besoin de savoir faire un fils de montgolfier. N’importe quoi pouvait lui être demandé et la tâche était remplie avec brio. Mais seul son père daignait lui adresser la parole. Car Acacio, enfant bègue et cardiaque, tremblant et suant au moindre problème sortant de son domaine d’expertise, en proie facile à la panique, grimaçant au moindre mot prononcé, ressemblait bien plus au reste du monde à une bombe à retardement. Restant alors seul et silencieux, s’occupant toute la journée des réparations et du rangement dans le dos des véritables employés, il regardait son père, le grand monsieur bien habillé, à la moustache bien taillée, parlant avec éloquence du moindre ballon qu’il possédait comme s’il s’agissait de bijoux. Une pointe de honte et d’envie alors lui piquait la nuque. Acacio, même s’il était un garçon débrouillard à qui tout pouvait lui être demandé, ne savait pas parler. Et cette simple incapacité le rapprochait plus des animaux bien dressés que des hommes.
« Excusez-moi, jeune homme, sauriez-vous comment louer un vol en ballon pour la journée ? »
C’était une femme en robe finement décorée qui venait de lui parler alors qu’il était en train de ranger de lourdes caisses de matériel. Elle portait une fine ombrelle en dentelle d’une de ses mains gantées et le bras d’un homme élégant de l’autre. Faisant presque tomber tout le matériel en un fracas sonore, Acacio sentit la panique déjà lui monter à la gorge.
« Jeune homme ? Vous travaillez bien ici, n’est-ce pas ? »
La belle dame déjà arborait une expression d’incompréhension qu’il ne connaissait que trop bien. Il ouvrit la bouche et ne put s’empêcher de fermer les yeux devant l’expression d’horreur qu’elle allait bientôt arborer.
« J... Yfaut… Là... Là-bas… sss… »
Bataillant contre lui-même, il montra nerveusement du doigt le monsieur au chapeau noir, en pleine discussion avec d’autres clients, ressemblant à des voyageurs.
« Excusez-moi ? Vous avez compris quelque chose, mon cher ?
– Laissez tomber, dit l’homme à son bras d’une voix sec. Vous voyez bien qu’il n’a pas tout là où il faut, non ? »
À cette remarque et à la panique qui l’emportait, les larmes vinrent aux yeux du jeune garçon. Regardant désormais la dame droit dans les yeux, il tenta une dernière fois, en haletant bien plus que s’il avait couru.
« Sh… Ce… C’est-t-t-t là… lbbas… le… Cha, pô… shpo, chachapeau n.. no… arrrr !
– Un chapeau noir ? »
La femme, ne sachant désormais plus quoi penser, lança un regard aux alentours.
« Je crois bien qu’il parle de moi, madame. Bonjour, je suis monsieur Patrício, propriétaire de ces montgolfières, à votre service ! Que recherchez-vous ? Un voyage pour un autre pays ? Une simple balade entre ces belles collines ? Tout est possible, chez nous, tant que l’on arrive à s’entendre ! »
Le couple laissa s’échapper un long soupir de soulagement à l’idée d’être sortis de ce traquenard. Soulagée, la femme reprit d’une voix plus calme :
« Dites-moi, monsieur Patrício, qui est ce jeune homme si étrange ? »
Pointé du doigt ganté de la dame, Acacio eut l’envie de devenir minuscule et disparaître sous l’herbe de la colline. Mais il savait que se comporter comme un sauvage en présence de clients pouvait poser bien plus de problèmes, il se contenta de devenir droit comme un piquet et regarder le sol, espérant être oublié au plus vite.
« Acacio ? C’est mon fils, lança l’homme avec calme. »
Une lueur de défi sembla luire dans ses yeux. En confirmation, sa grande main se posa sur l’épaule du jeune garçon, qui faillit chanceler sous le poids. Il n’arrivait pas à savoir si son père cherchait à le protéger ou l’enfoncer. Mais la suspicion qui flottait dans l’air disparu pour un sentiment de pitié.
« Oh, je comprends mieux ! Quelle tragédie pour vous, et quel courage !
– Ce n’est rien, madame. Il est honnête et travailleur ; tout ce que demande un père pour son fils.
– Bien évidemment. Si nous allions parler plus loin ? fit remarquer le mari, jetant un regard dédaigneux au jeune garçon.
– Naturellement, naturellement ! Acacio, tu peux prendre une pause pour quelques minutes. Mais ne tarde pas trop, la caisse que tu as fait tomber ne se ramassera pas toute seule ! »
Rapidement, il hocha la tête, mais il n’osait pas décamper en courant. La femme avec une lueur étrange dans le regard lui caressa les cheveux doucement de sa main gantée :
« Quel brave petit ! Honnête et travailleur… Merci de nous avoir aidés comme tu as pu, mon garçon. »
Acacio, immobile, retenant ses tremblements du mieux qu’il pouvait, resta droit comme un piquet, regardant avec douleur son père s’éloigner avec le couple distingué. Une fois sûr que plus personne ne le regardait, il s’enfuit en courant dans les collines. Ses pieds rebondissaient lourdement dans sa course : sentir son poids dans la terre meuble lui semblait le soulager, mettant l’ordre dans le nœud de ses pensées désordonnées. Il courut jusqu’à ce que son petit cœur ne puisse plus le supporter. Ne trouvant pas d’arbres où se reposer, il finit par s’asseoir derrière un petit buisson, espérant presque se fondre en lui. Une fois à terre, il regarda le ciel ; la journée était bientôt finie, mais quelques ballons volaient encore dans le ciel ; ils rentraient à la maison. Il laissa s’échapper un long soupir, puis un deuxième. Seul, il se sentait enfin capable de respirer. Collant ses genoux à sa tête, sa main caressa ses cheveux noirs.
« Brave petit… Hé, je ne suis pas un chien… »
Il jeta sa main comme s’il lançait un caillou. Toute sa peur et sa panique, une fois hors de vue, se transformaient en colère et amertume contre les autres et contre lui-même. Ses pensées, contrairement à sa parole, s’alignaient en de belles phrases bien ordonnées. Il prit le temps d’écouter sa voix parler distinctement, avec fluidité, dans sa tête. Il aimait s’entendre penser. Il rêvait que cette voix intérieure, remplie d’émotion et de répartie, puisse un jour s’exprimer au grand air. Dans ses pensées, il était orateur, écrivain, acteur de théâtre se répondant à lui-même. Il pouvait ainsi rester silencieux des heures, à s’écouter parler.
« Un jour, je parlerai aussi bien que mon père. Je monterai dans une montgolfière, et je ferai le tour du monde dedans ! Je suis sûr que je serai capable d’en faire voler une. Après tout, il n’y a pas besoin de savoir parler, pour être dans les nuages. Les oiseaux, ils ne parlent pas non plus, après tout. Et papa sera fier de moi. Je pourrai raconter mes périples à une assemblée qui n’écoutera que moi. Ils auront pour moi des regards d’admiration pour une personne assez intelligente pour réussir à voler en silence, sans jamais s’arrêter. Quel rêve... »
Une fois toutes ses pensées écoutées et remises en place, rangées méthodiquement, il se releva et marcha calmement vers les montgolfières. Le soleil se couchait et les derniers ballons se posaient quand il arriva à hauteur de son père.
« Ah, Acacio ! Ne te soucie pas de la caisse, quelqu’un l’a rangé pour toi. Aide-moi à plier les toiles, veux-tu ? On a fini notre journée ! »
Le garçon hocha la tête et rangea les toiles alors que son père alternait entre le rangement et les communications radio avec les ballons toujours en vol, souvent loin des terres. Il écoutait son père parler au poste, tout en prenant soin de plier correctement le matériel. Il pouvait presque sembler pour des employés au loin que leur patron parlait tout seul ; mais le jeune garçon et son père savaient que c’était loin d’être le cas.
« Ce fut une très bonne journée de travail ! S’il fait aussi beau, demain, on va peut-être faire plus de bénéfice que l’année dernière. »
La nuit tombait alors qu’Acacio et son père descendaient les collines une fois le matériel rangé. Habitué au silence de son fils, l’homme au chapeau avait pris l’habitude de parler seul.
« Ne t’inquiète pas pour ce qu’il s’est passé aujourd’hui. Ils ont quand même payé leur baptême chez nous. Ils étaient ravis. Penses-tu, ce doit être leur passe-temps, d’être loin des autres… »
Il avait beau savoir bien parler, le père d’Acacio manquait d’imagination. Ainsi, les seules choses qu’il trouvait à raconter à son fils étaient ses journées de travail. Le garçon avait beau y avoir partiellement assisté, il l’écoutait quand même. Son père était la seule personne qui lui parlait comme à un être humain.
J'ai lu ce premier chapitre à midi.
J'apprécie le ton, le personnage principal et son père, l'ambiance générale. J'ai bien vu le ciel, les collines et les actions dans ce décor.
Il y a de la poésie dans tes phrases et dans tes idées.
Étant donné ton bon niveau d'écriture, je pense que tu gagnerais à investir dans Antidote.
Il y a pas mal de répétitions maladroites qu'il te serait facile d'ôter et quelques tournures parfois un peu trop compliquées. Ces dernières ramollissent ton style, ce n'est que mon avis, qui gagnerait à être enrichi par un vocabulaire plus élaboré.
Je te donne un exemple.
"Dès son réveil, il sentait le vent l’appeler. Il sortait de sa chambre en courant, sautant sur l’aurore à pied joint sur le sol. Il engloutissait un peu de pain et, son sac de la journée sur le dos, il partait en courant sur les montagnes. Chez lui, l’herbe était toujours verte et le sol toujours meuble."
• J'adore ces phrases grâce auxquelles tu nous embarques en quelques mots à peine.
"Ici, les collines avaient beau être ce qu’elles étaient, elles semblaient avoir été domestiquées. Peu d’arbres les recouvraient ; la plupart étaient surtout faites d’herbes et de buissons, de bruyère sauvage."
• Là, je reste sur ma faim. Fais-nous rêver avec ces (ses) collines. C'est le monde d'Acacio et il nous y emmène.
Une fois que tu nous as dévoilé qui est l'homme au chapeau noir, j'ai regretté que tu le décrives encore avec les mêmes mots :
"Le cœur lourd, son regard fixa quelques instant encore l’homme au chapeau noir, avant de se tourner vers la tâche qu’on lui avait confié."
• Ici, j'aurais posé la figure paternelle, le menhir, le dolmen, le colosse de Rhodes peut-être ? Que l'on sente plus le poids de ce repère impressionnant autant que rassurant et inspirant (si c'est le cas).
"– Ne perdS pas ton temps en de longues phrases et metS toi au travail ! » ;)
Tu pourrais également retravailler l'élocution d'Acacio, car on pourrait te reprocher qu'elle soit "fausse" à lire malgré que l'on comprenne bien ton intention.
En la lisant, je me suis dit que tu connaissais peut-être une personne bègue et que tu avais voulu retranscrire quelque chose de très réaliste.
Il y a peut-être un équilibre à trouver entre cette volonté et la manière de l'écrire.
A toi de voir, bien sûr.
L'échange avec le couple gagnerait à être enrichi par du récit.
Le fait de ne laisser que du dialogue ne permet pas de percevoir correctement l'incompréhension de cette dame et le dégoût qu'éprouve son mari.
Tu pourrais développer cette partie de manière significative, car nous sommes au cœur de ce qui provoque le complexe d'Acacio.
De la même manière, sa journée de travail pourrait être plus détaillée avec des passages dans lesquels tu mettrais le garçon en relation avec les employés de son père.
Cela renforcerait le poids de son handicap, mais aussi l'attitude du père. S'il semble sévère, on sent qu'il pourrait être bienveillant et du genre à vouloir endurcir son fils pour en faire un homme qui saura se protéger des autres.
Tu as un fond très intéressant dans ce chapitre et je suis persuadé que tu as matière à le développer. Peut-être avant de continuer tes autres chapitres ?
Je lirai la suite avec plaisir, car l'idée du caméléon qui donne des leçons me plaît beaucoup.
J'avoue que je connaissais pas Antidote, mais je vais vraiment m'y intéresser parce que ça a l'air pas mal ! Je suis pas très bon en relecture et la plupart de mes textes sont des premiers jets ; j'écris très vite et je suis obligé de repasser parce que des fois, j'ai des mots qui sautent, des répétitions, fin bref, faut repeaufiner derrière et c'est un travail que j'ai du mal à faire.
En fait, je ne connais pas de personnes bègues a proprement parler, mais j'ai moi-même des difficultés à parler à l'oral, j'ai du beaucoup le travailler pour que mes phrases soient plus fluide, que ça représente mieux ce que je veux dire. Lors de ma "première version" j'avais demandé à quelqu'un ce qu'il pensait de la façon dont parlait Acacio et il trouvait qu'il était trop "facile" de comprendre ce qu'il disait, et que donc il avait du mal à comprendre pourquoi les personnes autour de lui le voyait d'une façon aussi "violente". C'est pour ça que j'ai choisi de tordre les mots, pour qu'on comprenne mieux sa difficulté, c'était ce qui importait le plus pour moi.
Merci beaucoup, en tout cas, pour ce retour très détaillé !
Me voilà pour lire ton histoire ! Et les contraintes imposées, wow, je dois dire que tu t'es vachement bien débrouillé haha, rien ne lie "Palpitations, Mongtolfière, Caméléon, Phonétique" entre eux et pourtant ce début forme un chouette début de nouvelle !
Le personnage principal est vraiment attachant, à cause de ses deux handicaps. Et j'ai trouvé chouette aussi l'opposition entre son incapacité à parler et le fait qu'il aime s'entendre penser, parce que ses pensées sont fluides et bourrées d'imagination. En somme bon début super original, la présentation de ton personnage en tout cas m'a touchée ^^
Petites coquilles que j'ai relevées:
--> "– Ne perd pas ton temps en de longues phrases et metS toi au travail !"
--> " Le cœur lourd, son regard fixa quelques instant encore l’homme au chapeau noir, avant de se tourner vers la tâche qu’on lui avait confiéE."
--> "Mais il savait que se comporter comme un sauvage en présence de clients pouvait poser bien plus de problèmeS"