Depuis quand le NOUS n'existe plus ?

Notes de l’auteur : Attention, scène "épicée".

Le soir, après ma journée, c’est lui qui s’est occupé d’aller chercher Lola et de rester avec elle, pendant que de mon côté, je passe récupérer le drive. Nous nous retrouvons à trois.

Quand Lola se couche, c’est lui qui s’occupe de l’histoire. Je les regarde, tous deux depuis l’embrasure de la porte. Ludovic est un père aimant. Aimant mais souvent absent ces derniers temps.

Je ne sais plus comment le définir en tant que mari. Il ne me parle pas vraiment, nos conversations ressemblent plus à des interviews qu’à de réels échanges. De plus, cela fait maintenant un certain temps que nous ne faisons plus l’Amour. Je fais bien la distinction entre ce moment de communion des corps, ce moment de plaisir donné et partagé et la baise occasionnelle, habituelle, sans fantaisie et à la va-vite. Pour cette dernière, il nous arrive bien-sûr de craquer.

J’ai cru un temps, qu’il avait quelqu’un d’autre. Mais la physique est une compagne exigeante et il semblerait bien qu’au final, ce soit moi, l’autre. Je suis celle qui, en fin de semaine, perturbe l’harmonie de leur couple parfait.

 

Je file sous la douche. Je commence à me savonner quand j’entends la porte s’ouvrir. Ludo arrive, nu. Comme si l’eau qui ruisselle sur mon corps me donnait un intérêt soudain, il s’approche de moi, me serre contre lui et ouvre le robinet afin que l’eau me rince. Il m’embrasse dans le cou. C’est agréable mais sans plus. Dans ma tête, je sais exactement ce qui va se passer. D’abord, une main dans mon dos. En haut, puis il descend et arrive sur cette zone entre les reins et les fesses, celle qui me chatouille et me fait glousser. Comme d’habitude, prenant ce son pour une invitation, il va m’embrasser.

Ce baiser est agréable. Je pose mes mains autour de son cou. L’excitation que je ressens est mécanique. Pas émotionnelle. Cette fois-ci, c’est bien plus perceptible que les autres. Je satisfais un besoin, ça n’est en aucun cas une communion. Ce sentiment chez moi naît, comme le reflet de celui que mon mari ne prend même pas la peine de me dissimuler. Il est en train de baiser, parce qu’il en a envie. Cela pourrait être une autre, ou juste sa main. Cette idée me traverse à peine une seconde. Une partie de moi aurait envie de tout arrêter. L’autre en revanche en a besoin et fera fi de son manque d’intérêt, au moins pour cette fois. Je me laisse aller et profite de l’instant.

Ainsi, sous la douche, deux étrangers mariés s’adonnent au plaisir de la chair. L’homme râle tandis qu’il la baise en levrette, la femme gémit dans un souffle saccadé au rythme des secousses. Ce fugace moment d’exaltation éclipse temporairement, tout ce qui ne va pas entre nous. Je refuse d’imaginer à quoi il peut bien penser tandis qu’il me prend violemment. J’aurai tout le temps d’y penser après. Pour le moment, je m’imagine désirable, aimée, sensuelle et c’est très bien ainsi. J’étais sur le point de jouir, le voici qui s’est arrêté d’un coup. Je suis frustrée mais je tâche de faire bonne figure. Il me serre fort dans ses bras, puis comme pour me féliciter, me remercier ou que sais-je, il tapote l'une de mes fesses avant de s’en aller, en silence.

Je reprends ma douche où elle s’était arrêtée tandis que nous reprenons notre vie, de même.

Je transpire la frustration par tous mes pores. Fâchée, déçue, triste, je n’arrive pas à savoir ce que je ressens vis à vis de ce qu’il vient de se passer. Ça n’est pas une question de consentement, loin de là. Je me dis que voici un homme, mon mari, que je n’ai pas vu de la semaine, et qui vient de me baiser comme un vague plan cul. Quand j’avais 20 ans, ce genre de partie de jambes en l’air avait ce côté excitant que j’adorais. Et aussi insatisfaisant que cela fut, cela avait au moins l’avantage de faire une superbe histoire à raconter aux copines. Passés 40 ans, j’ai presque honte. Je me sens utilisée. S’il était là plus souvent, s’il m’accordait un quelconque intérêt, si nous faisions l’amour plus souvent, ma réaction serait sans doute toute autre.

 

Nous nous couchons vers 23h00. Ludovic s’endort assez vite. je ne sais pas comment il fait. Dans notre appartement, il règne une chaleur infernale. Chaque été c’est pareil. Et nous ne sommes pas encore au mois de juillet ! Je me tourne et me retourne dans le lit, pensant au vide de ma vie, m’interrogeant sur les raisons de tout cela. Et je sue. Mon front est trempé de sueur. Je me redresse et constate que Ludo dort à poings fermés. Comme je l’envie. Là, j’ai surtout envie d’une douche fraîche et je crois que je ne vais pas me gêner. Je sors du lit sans faire de bruit. Dans la salle de bain, je quitte rapidement mon short et mon débardeur et me glisse sous la douche.

L’eau fraîche. Il parait que c’est contreproductif de se rincer à l’eau froide quand on a chaud. L’énergie usée par le corps pour garder la température élèverait encore plus la nôtre. J’ai lu ça, il n’y a pas longtemps. À moins que ça ne soit Ludo qui me l’ait dit. Mais qu’importe, ça fait du bien et c’est tout ce dont j’ai besoin. Ces pensées pragmatiques contrastent avec mes gestes. Je caresse doucement ma peau, faisant virevolter ma main entre mes deux épaules, en passant sous mon cou.

Je suis tellement bien à cette température, je crois que je vais dormir ici.

Soudain, j’entends le bruit de la porte de la salle de bain. De l’eau plein les yeux, je sens une présence dans mon dos.

—Encore une minute s’il te plait, Ludo, j’ai trop chaud, murmuré-je.

Sa tête s’approche de la mienne, je sens son torse tiède contre mes épaules et son souffle au creux de mon oreille. Sa langue attrape mon lobe dans une respiration haletante tandis que son bras entoure ma taille. Je frémis. Ma peau m’offre un frisson délicieux. Sa main descend sur mon intimité, bientôt, elle prend place et me caresse. Ma respiration s’accélère, mon corps se tend, je sens monter de douces sensations. Excitée, je me tourne pour lui faire face et suis stupéfaite. Cet homme, c'est Edouard. Nu, magnifique, sculpté.

Que fait-il là ?

C'est drôle, mais mon premier réflexe est de dissimuler mes parties intimes derrière mes mains.

—Crois-tu que cacher ton corps va m’empêcher de te désirer ? me lance-t-il, le regard brûlant.

 

Je prends une immense inspiration, et me redresse dans mon lit. Ce n’était qu’un rêve. Encore groguie par ce que je viens de vivre, même si ça n’était que dans ma tête, je tâche d’être discrète et de calmer ma respiration. Je regarde mon mari, encore endormi et bientôt, l’excitation est remplacée par une culpabilité étouffante.

 

Le samedi matin, impossible de rester au lit. J’aurais bien dormi encore des heures mais Lola n’est pas de cet avis. Je me lève, Ludo ne se réveille pas. Je prépare un petit déjeuner, en repensant à mon rêve. Si réel, des sensations si fortes, même si elles ne furent que dans mon esprit. Je ressens encore des émois que je ne peux expliquer. Une chaleur, une tension dans le bas ventre, une envie…

J’essaye d’être là pour mon enfant, mais c’est comme un dédoublement de personnalité. Une partie rit avec ma fille et fait des projets pour la journée, l’autre, fait sursauter ma poitrine, glisse sous mes yeux des images à en faire rougir plus d’une et baigne mon imagination dans le stupre. Ludovic nous rejoint au bout de 40 minutes. C’est idiot, mais j’avais comme oublié sa présence à la maison.

Je tente de lui parler de notre idée pour la journée, aller à l’accrobranche, puis manger des glaces. Il fait la grimace, il critique notre choix.

—Vous n’en avez pas d’autres, des idées débiles ? Tu veux que Lola crève de chaleur ? Tu fais vraiment n'importe quoi, ma pauvre, m’invective-t-il avec véhémence.

—On apporte de l’eau et des chapeaux et on sera sous les arbres, réponds-je, faisant une moue complice à fille.

Ludovic soupire.

J’essaye de rester positive, pour sauver les apparences, mais ma voix chancelle. Je vois que je l’ennuie, ou peut-être pire, je l’indiffère. Les mots qu’il a employés sont durs et ce qui l’est encore plus c’est que je sais qu’il ne s’en excusera pas.

Non, Monsieur le docteur en physique, ne s’excuse jamais.

Alors que je passe mon temps à le faire. C’est étrange, cette joute silencieuse, insidieuse qui se joue entre nous. Je tente un pas vers lui, il me repousse et je crois que je fais la même chose, la plupart du temps. Cette désynchronisation est aussi violente que discrète. Elle détisse jours après jours les fibres de notre lien amoureux.

 

 

Il alterne les regards vers sa fille et vers son café, jamais dans ma direction. Il me snobe, c'est clair. Il ne m’a pas demandé si j’avais bien dormi par exemple, ou même juste si j’allais bien. Pas un mot. Je ne me rappelle même pas s’il m’a fait un bisou ce matin. Il ne passe que deux jours avec moi, et cela semble être une corvée pour lui.

Lundi, une semaine redémarre, la dernière de l’année scolaire pour ma petite Lola. Le « c’est quand qu’on va à l’école » est devenu le « c’est quand que je vais chez mamie ? » Elle me le répète jusque dans la voiture.

Ce matin, mon mari est avec nous, il ne part que dans l'après-midi. Pour Londres, cette fois-ci.

Devant l’école, sa bonne humeur et sa capacité à bavarder avec les parents d’élèves tranche beaucoup avec le Ludovic que je connais. Devant ces gens, le voici, bavard, avenant, drôle. Un vrai rayon de soleil. Jamais il ne parle ou rit ainsi avec moi. Je le regarde faire, sans prendre part au sujet. Je suis intriguée par ce Ludovic que j’ai en face de moi. C’est lui que j’avais épousé il y a 7 ans, et le voir ainsi me ramène à toutes sortes de bons souvenirs nous concernant. Cela m’amène aussi à un vil constat: cet homme là n’existe plus que dans les interactions sociales, ça n’est plus que la belle façade qu’il offre au monde. Celle qui souvent d’ailleurs, me fait passer pour cette femme chiante qui ne saurait pas profiter de la relation exceptionnelle dans laquelle elle se trouve.

Nous rejoignons notre voiture. Aujourd’hui, exceptionnellement, Ludo doit me déposer à l’église de Surmil-en-Vauclair vers 9h30, car je vais assister aux funérailles de Raymond Brétignant. Il gère la voiture et ce soir je rentrerai en bus. Durant le trajet, il retrouve son silence habituel.

—Pourquoi tu ne ris plus avec moi, comme tu l'as fait avec les parents de l’école ? osé-je. Je crois que ça me manque, cette relation que nous avions avant.

—Moi je suis bien comme ça, répond-t-il, froidement.

—Je m’en doute, mais moi, je commence à en souffrir. J’ai l’impression d’être là, à l’intendance pour toi. Je tiens la maison, je m’occupe de notre fille et…

—J’ai pas envie de parler de ça, Laëtitia ! me coupe-t-il.

—Et bien moi, si ! Parfois j’ai l’impression que moi ou une autre ça serait pareil pour toi, je ne me sens plus unique à tes yeux. Vendredi, quand on a fait l’amour, t’étais même pas avec moi. Je veux retrouver l’excitation comme avant ! Je m’éteins, il nous faut du changement Ludo !

—Ecoute, j’ai pas d’énergie à mettre dans ces conneries, au travail nous sommes sur le point de faire une découverte importante…

—Mais tu passes ton temps à « être sur le point de faire une découverte importante », t’es théoricien ! Donc ma vie ça va être ça ? Tout le temps ? m’insurgé-je, dépitée.

—Notre vie me convient comme elle est. Vendredi, c’était très bien. C’est toi qui a un problème, pas moi. Tu sais quoi ? annonce-t-il froidement en coupant le contact et se tournant vers moi.

Son regard est neutre, sans expression. Il me fixe tandis qu’il prononce ces mots.

—Si tu as besoin de piment dans ta vie, pourquoi tu ne profites pas d’être seule en juillet pour voir si c’est mieux ailleurs ?

—Pourquoi ? Parce que c’est ce que tu fais, toi ? réponds-je, d’un ton immature.

Il ne dit rien et tourne sa tête du côté de sa vitre.

—Ah non, m’écrié-je, tu vas me répondre ! Ça ne se fait pas de balancer des trucs comme ça et de me laisser mariner !

—Non, je ne fais rien.

D’un côté je me sens soulagée qu’il soit fidèle à nos engagements, mais d’un autre, cela met en relief la santé fragile et précaire de notre couple, et ça me plonge dans le désarroi.

—Je pense que nous devrions utiliser ces trois semaines loin l’un de l’autre pour réfléchir à ce qu’on veut, enfin… Surtout toi, parce que encore une fois, moi j’ai pas de problème avec notre couple, conclut-il, les yeux dans le vague.

Cette phrase me touche et me déstabilise. Penser à la séparation, dans l’intimité de mes pensées est une chose, sentir la possible fin en est une autre. J’ai toujours pensé qu’un problème trouvait une solution quand tous les concernés y travaillent. Réfléchir de son côté, qu’est-ce que cela va nous apporter ?

Par dépit et sans doute pour montrer à Ludo combien je suis peinée, je sors de la voiture de façon théâtrale. En silence, sans un regard, ne prenant pas la peine de dissimuler mon mal être, je ferme la portière dans un grand fracas.

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