Chapitre 5 : Des étoiles plein les yeux et des maux plein le cœur.
Forteresse Alpine, ailes des recrues, 2 minutes plus tard.
« It’s a cruel, cruel world to face on your own. A heavy cross to carry along. The lights are on but everyone’s gone and it’s cruel. » Gossip
Dans des circonstances normales elle aurait pu le faire sans aucun problème. Mais en ce moment, ses jambes pesaient des tonnes et sa vue était brouillée par les larmes et le chagrin.
Cependant, l’entrainement militaire qui commençait à faire partie d’elle lui répétait de continuer à avancer. On n’arrivait pas en retard lorsqu’un supérieur nous faisait demander. Elle traina donc son corps et son cœur meurtri jusqu’à leur chambre… Sa chambre désormais. A peine entrée, elle sentit sa gorge se serrer. L’entièreté de la chambre avait été nettoyée… Aucune odeur, même plus aucune de ses affaires… Presque comme si Reiss n’avait jamais existé. Pas de blague une fois entrée dans la douche, juste le bruit de l’eau qui coule pour accompagner sa solitude.
Une fois sortie, elle se positionna devant l’évier et fixa le miroir. Ses yeux étaient rouges. Son visage affichait une détresse et un chagrin palpables. Veronica jeta un coup d’œil à l’horloge. Il lui restait 11 minutes. Elle en utilisa deux pour tenter d’effacer les rougeurs. Cinq pour retrouver un air impassible qui serait convenable lorsqu’on allait voir son supérieur. Une pour s’habiller avec sa tenue réglementaire et trois pour rejoindre le bureau de Wicht. Elle toqua à la porte et cette dernière s’ouvrit à la volée. La jeune fille y entra en faisant tout pour rester impassible.
-Recrue au rapport, vous m’avez demandée caporal ?
Wicht était assis derrière son bureau et fixait des documents. Il leva la tête vers Veronica et son expression sérieuse laissa transparaitre une légère bienveillance presque paternelle. La pièce était sobre. Un petit canapé muni d’une table. Quelques meubles de rangement. Un coffre fermé sur l’un d’entre eux et deux portes de chaque côté en plus de celle d’entrée. Pas de fenêtre mais le bureau derrière lequel était assis le caporal semblait être fait d’un bois étrange. Il ne venait pas des Alpes et pour la jeune fille, c’était tout un autre monde. Elle fixa les nœuds du bois pendant quelques instants, presque hypnotisée, oubliant tout durant ces quelques secondes tout en rêvant.
-Je ne suis pas en service pour l’instant. Asseyez-vous. Je peux vous offrir un verre… Plutôt, j’insiste pour vous offrir un verre.
Wicht semblait parfaitement serein. Veronica, prise au dépourvu autant par la soudaine demande que son réveil, alla se poser sur le siège devant le bureau indiqué par le caporal. Ce dernier se leva et récupéra deux verres ainsi qu’une bouteille couleur ambre légèrement gelée. La jeune hellvétique saisit timidement son verre une fois ce dernier rempli et en huma le parfum. C’était fort, épicé et certainement la chose la plus exotique qu’elle avait jamais eu l’occasion de gouter depuis le début de son existence. Excitée et un peu crispée, elle semblait attendre que le caporal commence à boire pour y goûter.
-Comme je l’ai dit, je ne suis pas en service. Cette réunion est totalement informelle mais vous concerne vous et votre avenir. Tout ce qui sera dit ici ne devra pas quitter cette pièce cependant. Ce n’est pas un ordre militaire… Mais une demande personnelle.
Wicht porta alors le verre à ses lèvres et en avala une gorgée. Son visage se détendit légèrement et il afficha alors une mine satisfaite jusqu’à lors inconnue chez ce dernier avant de fixer Veronica comme s’il attendait sa réaction à elle. Cette dernière qui dévisageait son supérieur, enchainant les découvertes en ce moment, porta alors son attention sur le liquide. Le verre arriva au contact des lèvres fines de la demoiselle et le liquide glissa dans sa bouche. Une sensation étrange de chaleur ainsi qu’un goût d’épices exotiques envahi son palais. Un monde de saveurs inconnues, voilà ce qu’elle découvrait. Mais au fond d’elle, elle savait pertinemment que ce n’était qu’un infime fragment de ce que le futur pouvait lui offrir.
Elle savoura donc quelques secondes ce goût avant d’avaler l’alcool… Et de manquer de s’étouffer. C’était la première fois qu’elle buvait une telle boisson et commencer avec cette dernière, c’était comme apprendre à un nouveau-né à courir avant de ramper. Alors qu’elle toussait pour se remettre, elle entendit Wicht qui essayait de contenir son rire. Ce dernier, le sourire jusqu’aux oreilles, la fixait tout en tressautant comme parcouru d’un hoquet. La jeune fille sentit ses joues s’empourprer encore davantage et pas à cause de l’alcool cette fois.
-C’est une bonne réaction. J’ai déjà vu de nombreuses recrues avouer leur penchant pour la boisson ici. Mais pas avec cette bouteille.
Le fringuant jeune homme saisit la bouteille et la fixa pendant quelques secondes. Il semblait se remémorer quelque chose ou peut-être simplement lire la vieille étiquette abimée qui était collée contre celle-ci.
-Je l’ai reçue de la part d’un Simba. Un Fléau africain. Il porte ce titre en tant que meilleur guerrier de sa meute. C’est à lui que revient l’honneur d’affronter le meilleur adversaire et de le vaincre en combat singulier.
Il savoura alors une nouvelle gorgée, laissant l’alcool lui brûler la gorge. Il semblait avoir une bien meilleure résistance que la jeune soldate en face de lui.
-Ce qui nous maintient debout, c’est un objectif. Quel qu’il soit. Une cible à abattre. Une ville à protéger. Un endroit à atteindre… Pour moi, cet endroit serait un havre de paix comme il n’en existe plus en ce monde. Plus depuis la chute…
Le caporal se leva subitement. Veronica fut tentée de faire de même mais d’un geste de main, ce dernier lui fit comprendre qu’elle pouvait rester assise. Elle n’en était pas moins crispée… Il fit quelques pas jusqu’à son bureau et récupéra une feuille.
-Hellvetika a connu des jours meilleurs. Entre les aberrants, les clans de sauvage, les tentatives d’incursion des chroniqueurs, les désertions qui se multiplient… C’est à se demander à quoi servent nos efforts. Les soldats sont de plus en plus fatigués. Certains en arrivent à se droguer pour rester debout… Comme Skatler.
Rien qu’à entendre ce nom, la jeune fille sentit sa gorge se serrer et ses poils se hérisser. Elle avait relativement compris que ce dernier ne devait pas être dans son état normal durant le trajet mais…
-La vie est dure, des hommes et des femmes bien plus talentueux que nous ont été brisés par cette dernière. Pour éviter que cela continue, je vais vous demander quelque chose d’horrible. Au nom d’Hellvetika certes. Mais cela ne change rien.
Veronica déglutit ostensiblement. Elle savait depuis le début que quelque chose clochait et que la situation n’allait pas s’arranger. Mais au fond d’elle, elle espérait toujours un peu de lumière après toutes ces phases de ténèbres.
-Quel genre de chose… ?
La voix, l’attitude corporelle et le regard de la jeune fille transpiraient l’hésitation. Elle avait déjà toute la peine du monde à conserver en elle les sanglots qu’elle voulait expulser. Sa voix rauque avait du mal à sortir de sa gorge asséchée par l’alcool. Mais elle tenait bon pour l’instant. C’était une réunion informelle, elle pouvait se laisser aller un peu plus. Mais son instinct lui disait que si elle craquait maintenant, elle ne serait certainement pas capable de supporter la suite. Elle repensa un instant à Strauss et son petit jeu de dupe. S’il n’avait pas fait cela… Et s’il ne l’avait pas prévenue… C’était ici qu’elle aurait explosé après tout.
« Alors ? Tu laisses tomber ou tu continues à te battre ? Parce que ton chagrin ici, ce n’est rien comparé à ce qui t’attend. »
Jusqu’où savait-il ce qui allait se passer… ? Veronica laissa cette question en suspens. Elle avait autre chose sur quoi se concentrer.
-Plus haut, il a été décidé de vous nommer caporal. Et de vous accorder un titre honorifique pour bravoure au combat. Une sorte d’icone, une héroïne hellvétique pour tous ceux qui ont besoin d’un peu de lumière.
Veronica avait le cœur en morceaux… Et on piétinait déjà ces derniers ? Sa voix était en train de mourir alors qu’elle tentait de répondre.
-Mais… Ce n’est pas…
Mais Wicht ne lui laissa pas le temps.
-Je sais. J’ai lu votre rapport. Le rapport de tous les survivants. Et celui du médecin légiste. L’autopsie avait révélé d’importantes traces de Brûlure dans son organisme et une grande présence de spores au niveau de ses poumons. Il aurait abusé de « Gloire » et pour une raison inconnue, avait pris une dose « d’Unité » avant de partir. C’est ce qui était le plus probable compte tenu des descriptions des survivants et des faits survenus. Par conséquent, il allait être démis de son grade à titre posthume. La nouvelle d’une défaite cuisante hellvétique va enhardir les bandits et pousser plus de recrues à la désertion. Des gens vont mourir et nous allons perdre bien plus que ce que nous pouvons nous permettre.
Le caporal acheva son verre d’un trait et fit signe à la jeune fille de faire de même avant de revenir s’asseoir en face d’elle.
-C’est pour ça que nous devons réagir. Faire front et lancer l’assaut. Ne pas partir sur un massacre. Mais sur la victoire d’une jeune fille acculée. Ses alliés morts et mourant, elle se dresse seule et remporte le combat.
Il la fixa droit dans les yeux, son regard perçant était animé de quelque chose de brûlant. Le patriotisme ? La volonté de vivre sans rien regretter ? Veronica n’en avait aucune idée. Elle n’arrivait pas à suivre. Elle était juste hypnotisée par ces yeux et les épices inconnues qui brûlaient son palais.
-C’est lui qui m’a sauvée. C’est à lui que reviennent tous ces honneurs… Je n’ai aucun mérite…
-Les héros morts ne font pas de très bon héros. Vous avez l’occasion d’éviter bien d’autres sacrifices. De faire honneur à sa mémoire en vous battant. Faites de la vie qu’il a sauvé un étendard pour tous ceux qui luttent.
Les larmes montèrent aux yeux de la jeune fille. Elles coulaient désormais sans retenue sur ses joues. Mais étrangement, elle était calme. Son cœur, trop meurtri, s’était enfoui. Wicht posa une feuille devant la jeune fille qui pleurait.
-C’est la fiche sur laquelle est inscrite votre promotion. Votre solde et vos nouvelles prérogatives. Vous aurez même la possibilité de former une petite équipe et de choisir vos missions. Ce n’est pas ainsi que l’on souhaite monter en grade. Mais c’est ce dont les Hellvétiques ont besoin. Je ne voudrais pour rien au monde vous demander de faire ceci. Mais ce qui reste de notre planète est soit condamné, soit en passe de l’être. Nous avons besoin de reprendre le contrôle. Soyez notre fer de lance.
Il s’arrêta un instant pour offrir un mouchoir à Veronica. Cette dernière le fixa quelques secondes avant de le saisir. Ses joues la brûlaient mais la douceur du tissu apaisait un peu cette douleur. Les paroles du caporal apaisaient son âme.
-Vous êtes douée, je vous ai vue à l’entrainement. Ce titre, ce n’est qu’une façon pour les gradés de parader. On ne gagne le respect des autres qu’en leur montrant ce qu’on vaut sur le terrain. Et avec ce monde en perdition, vous aurez bientôt de nombreuses opportunités de le gagner réellement. Je vous demande de briller pour les autres, d’être un phare, une lumière dans les ténèbres.
La jeune fille arriva enfin à se calmer. Elle fixa la feuille de papier puis le caporal en face d’elle. Était-ce vraiment la chose à faire ? Elle n’en avait aucune idée. Elle n’avait plus de repère. Et face à tout ce qui l’assaillait. Face à ses doutes et ses angoisses. Le caporal lui offrait une chose à laquelle croire. Un but auquel se raccrocher. C’est pourquoi, avec ce qu’il lui restait de voix et une lueur nouvelle dans le regard, elle répondit.
-Je le ferai. Mais j’ai besoin d’un peu de temps et surtout… J’ai des conditions.
Wicht haussa un sourcil.
-Je vous écoute ?
Veronica sentait ses jambes flageoler mais elle se leva tout de même.
-J’aurai besoin d’équipement, d’une formation médicale et d’une liberté totale en ce qui concerne mon équipe !
Le caporal fixa la jeune fille. Il était très satisfait. Ce sentiment débordait légèrement sur une certaine fierté. Elle pourrait changer bien des choses. Ils voulaient se servir d’elle, elle comptait se servir d’eux. Maline et dure comme un roc. Aucun doute, elle serait parfaite pour ce rôle.
-Accordé caporal.
Il se leva à son tour et lui tendit la main. Il sentit la poigne presque désespérée de la jeune fille. Elle croyait en lui autant qu’en sa patrie visiblement. Il ferait tout pour être à la hauteur des espérances de cette dernière. Mais il avait une dernière tâche à accomplir pour aujourd’hui. Il relâcha la main de Veronica et se dirigea vers son bureau pour ouvrir un tiroir.
-Nous avons réglé ce pourquoi vous deviez venir. Considérez donc ce qui va suivre comme le simple devoir d’un soldat envers un autre.
Il en sortit une simple boite qu’il vint tendre à la jeune fille. Cette dernière fixa Wicht d’un air intrigué et la saisit.
-Les dernières volontés de votre ami.
À ces mots, la jeune fille se raidit. Elle fixa à nouveau le carton d’un air indécis, puis l’homme en face d’elle. D’un signe de tête, il l’invita à l’ouvrir. Ce qu’elle fit.
La boite ne contenait pas grand-chose. Tout soldat hellvétique avait fait vœu d’austérité. Ce qui n’empêchait pas de posséder quelques objets personnels. Mais ces derniers avaient d’autant plus de valeur.
Il y avait une lettre scellée, un livre, un pan de tissu et un morceau de métal. Elle observa les trois sans arriver à saisir la lettre. Le livre lui était familier. Reiss le lisait souvent. On ne distinguait plus le titre mais elle savait que ce dernier était rempli de légendes sur l’ancien monde. C’était probablement ce qui avait le plus de valeur aux yeux du jeune homme dans ses possessions matérielles. Les souvenirs, remontaient alors que son moral s’effondrait. La jeune fille qui avait essayé de donner le change un peu plus tôt semblait plus fragile que jamais. Le pan de tissu était un tour de cou d’où émanait encore une légère odeur de savon réglementaire masculin, celle de son ami. Cela lui arracha un sanglot que toute sa volonté n’aurait pu réprimer.
Wicht se déplaça légèrement pour venir se placer à côté de la jeune fille, pour la soutenir en cas de besoin. Car le pire restait à venir. Tout soldat hellvétique prenait soin de son harnais. Cette armure était la plupart du temps ce qui vous sauvait les miches quand les choses commençaient à mal tourner. C’est pourquoi, il savait pertinemment comment la jeune fille allait réagir.
Elle récupéra le morceau de métal et l’observa entre ses doigts. C’était une plaque d’armure. De celle de Reiss. Mais pas n’importe lequel. Celui qui se place contre la poitrine, au niveau du cœur. Et derrière celui-ci, gravé au couteau, on pouvait lire.
« Etoile et toi. Et toi et moi. Tu es mon univers. »
Les dernières résistances de la jeune fille s’effondrèrent et elle se laissa tomber. Wicht fit un pas de côté et la réceptionna. Il posa sa main sur ses cheveux et les caressa doucement alors qu’elle sanglotait de tout son être, sa tête blottie contre son torse.
Elle évacuait enfin ce torrent de sentiments qu’elle ne cessait d’endiguer. Pleurant et gémissant comme une gamine. Demain, tout irait mieux. Demain, elle serait ce qu’on attendait d’elle. Mais pour l’instant, elle avait le droit de faillir. Pour l’instant, elle n’était qu’une jeune fille qui n’avait même pas encore 16 ans et à laquelle la vie venait de lui prendre ce qu’elle avait de plus cher.