« Des mots, des mots, des mots. »
Alors que je relève l’élastique vert d’eau et que les feuilles s’envolent dans un bruissement agréable, je respire à nouveau l’odeur du mirage. Sur ce papier beige, vieilli, mes émotions son retranscrites : un lien de sentiments, tous plus forts, les uns que les autres. Peut-être est ce le vent qui joue avec mes cheveux, ou peut-être le stylo bleu, qui tache le papier, parce que j’écris trop vite, dépassée par mon cœur battant la chamade, par mes souvenirs agréables, mais la mélancolie enveloppe mon âme d’un manteau aux couleurs chaudes. L’idée que l’encre gravera pour toujours cet instant, m’effleure et je souris.
Je relève la tête, autour de moi, tout n’est que flore verdoyante, déploiement de beauté florale : rose, jasmin, pommier du japon, olivier…Pendant une seconde, dans mon esprit, en filigrane, se dessine « Grimoire », un délicieux cocon qui hante mes rêves. Une esquisse, comme un dessin de Cristal et sa propre maison flotte dans mon esprit : une pluie battante, presque diluvienne, un village perdu, l’odeur de l’herbe mouillée, une maison aux briques anciennes et aux airs d’abris pour écrivain en quête d’aventures palpitantes. Peut-être que finalement, la maitresse de cette demeure, serait un mécène, dans ce cas, demain, je partirais la rejoindre, écrire nuit et jour.
Je reprends le journal à la couverture bordeaux, stylisée. Elle n’aurait pas pu trouver mieux, lorsque je le regarde, j’ai l’impression d’y voir un bout de ma personnalité, un recoin de mon être encore inexploré. Dans une attitude concentrée, je feuillette les pages, jusqu’à arriver à celles qui sont encore vierges et me lance dans la rédaction, essayant de raconter le plus fidèlement possible, une sensation déconcertante, un moment magique:
Peut-être est-ce parce que je m’imaginais que ce samedi 13 serait différent. Qu’il serait ma journée, celle où le monde serait remodelé à ma façon, pour être parfait, mais ce matin-là, le réveille fut plus doux. Mon imagination se décuplait pour prendre le pas sur la réalité. Ainsi, je devenais Alice au pays des merveilles et changeait au gré de mes envies l’univers dans lequel j’évoluais : mon lit se transforma en énorme lit à baldaquin drapé de velours lourd et sombre, mon petit déjeuner frugal prenait des airs de repas de la haute gastronomie, ma maison se transformait en un manoir sombre d’Irlande et mon jardin en une forêt aux arbres aux couleurs automnales. Cette journée ne pouvait qu’être extra-ordinaire. J’écris ce mot en deux parties, pour lui donner plus de valeur, pour appuyer sur le fait, qu’aujourd’hui quelque chose, d’une manière inattendue, me transformerait. Devenir l’héroïne de sa propre histoire, d’une histoire singulière, voilà, je réalisais un rêve…
Le soleil avait beau frappé sur Cannes, il ne m’atteignait pas. Alors que je marchais sur cette allée pavée, j’étais bien loin de lui. Ma vision devenait floue, les fleurs décoratives se flétrissaient, les arbres perdaient leurs feuilles, le sol était couvert d’un manteau brun et mon tee-shirt disparaissait sous une montagne de manteau et d’écharpe. Etions-nous véritablement en été ? Je ne parvenais plus à faire la part entre le songe et la réalité, mais qu’importe, grâce à Cristal, je passerais le miroir, à mon tour…
Inquiétude ? Un peu, mais pas celle qui aurait du m’habiter. Je ne craignais pas Cristal, j’avais l’impression de la connaître déjà par cœur. J’étais anxieuse à propos d’une seule chose, d’un seul point qui toujours, tabou, revenait me hanter : m’aimerait-elle ? Aimerait-elle, non pas Arabella mais Alicia ?
Raphael m’avait accompagnée. Je lui avais menti mais qu’à moitié. Lui croyait que je voulais qu’il me protège au cas où derrière Cristal se cacherait une terrible créature, moi, je voulais que cette dernière rencontre mon rayon de soleil. C’était idiot, mais, lorsque cette idée s’était encrée dans mon crane, je n’avais pas pu l’y délogée. Alors, en chevalier servant, mon frère m’avait emmenée jusque dans l’antre de Cristal. Nous ne nous étions pas perdus, Raphael avait bien fait les choses, l’adresse, la recherche du plan, son orientation digne des forestiers…Tout ce à quoi je n’avais pas réfléchi une seconde, obnubilée par cette rencontre.
Je présentais que ce moment ne serait pas commun. Je bouillonnais, je me sentais nerveuse, comme si tout mon corps réagissait à cette rencontre. Je pressentais, ou j’espérais qu’il y aurait plus qu’un banal rendez-vous du net.
Alors qu’à mon approche, le temps changeait, que le ciel commençait à se charger, que les nuages devenaient sombres, je devins totalement calme. Je ne sais pas si ce fut Cristal ou Raphael, mais dès l’instant où j’arrivais devant la maison de ses parents, la tranquillité s’instaura. Je ne me contrôlais plus vraiment, possédée par Arabella, je me laissais guider. Un instant, l’idée que ce n’était pas la première fois que cette scène se déroulait me traversa l’esprit, mais dans le maelström de mes émotions, je n’y fis pas attention, trop attentive à se qui se passait autour de moi.
Me précipitant vers Cristal, une pâtisserie à la main et mon sac rempli de livre dans une autre, j’eus peur de l’effrayer, d’être trop « amicale », mais en même temps comment se retenir.
Cristal était si…Ophélie. Si le prénom de l’héroïne principale de son roman avait été un adjectif, il aurait très bien qualifié celle qui se trouvait en face de moi. Une aura particulière se dégageait autour d’elle et mon monde décoré aux teintes de l’automne devint, soudainement, plus hivernal. Je m’enroulais autour du cou une écharpe imaginaire et l’embrassait, déjà complices. Cristal emportait avec elle un petit bout de Belgique, un cocon rempli de mots ensorcelants, de chaleurs au coin du feu, de canapé moelleux, d’histoires lues sur un tapis et d’histoires à inventer dans un carnet au papier vieilli. Elle possédait une certaine grâce, un petit quelque chose de si particulier, mais si charmant, qu’elle me semblait tout droit sortie d’un songe. Je l’adoptais immédiatement. Nous étions, physiquement, des opposées et pourtant, je me retrouvais beaucoup en elle, surement, parce que nous avions les mêmes chimères au fond des yeux.
Rentrer dans l’antre de Cristal, c’est comme traverser un miroir, ça à l’air dur, mais très vite, on se rend compte que c’est aisé et on commence à prendre goût à cet ailleurs. J’avais renvoyé Raphael, le pauvre, sans m’en rendre compte, excitée, heureuse, et voulant partager un moment avec Cristal, seule à seule, d’écrivain à écrivain, d’amie à amie.
Cette maison est, pour moi, une sorte de caverne aux merveilles et comme Alibaba, je m’y glisse à l’intérieur, étonnée devant pareil ravissement. Leur demeure, grande, est remplie de bric à brac : des meubles anciens côtoyaient des instruments de musique, des lampes aux intensités différentes, des bibelots venus de pays lointains, exotiques, peut-être avait-elle-même dans cette caverne aux merveilles quelques billes d’enfants perdus. Je ne m’en serais guère étonnée. J’évoluais ici-haut pour arriver dans la pièce principale : le salon.
C’était une pièce chaleureuse, joliment décorée, mes souvenirs, flous essayent de la dessiner à nouveau dans mon esprit, mais seules les images de la harpe et du piano frôlent mes souvenirs, me narguant de leurs promesses musicales. Une seconde j’envie les « deux jeunes filles au piano » de Renoir, combien de fois m’étais-je arrêtée sur cette peinture, imaginant être à leur place. Depuis toute petite, le piano me fascine et je me souviens avoir jeté de fréquent coup d’œil du côté de l’instrument pendant cette après-midi-là: j’imaginais les notes s’envoler dans les airs, dans une ronde tantôt folle, tantôt mélancolique.
A ses côtés, imposante, majestueuse, presque….gracieuse, la harpe trônait, maîtresse des lieux. Il s’y dégageait une force et une puissance intimidante. C’était la première fois que j’en voyais une de ma vie et j’avoue regretter de ne pas m’être approchée de plus près. En même temps, j’étais si maladroite, que je serais parvenue à la faire tomber…Le piano et la harpe avaient une histoire et je ne rêvais que de les toucher, pour apprendre à la connaître et peut-être, un jour, la raconter.
Devant moi, papotait sa famille, assise tranquillement autour d’une table. Je sentis le changement se faire au creux de mon ventre, presque…Palpable. Aucune timidité, où diable s’était-elle envolée ? Je m’assis à leurs côtés et alors qu’ils me parlaient comme si je faisais déjà partie des leurs, j’eus l’impression de me scindé en deux.
Une partie de moi, scrutait Cristal, tout en essayant de faire la part entre Ophélie et celle qui se dissimulait derrière le personnage, rencontrait CET, dont Thorn était l’ombre, puis ses parents, son frère et son ami. Je découvrais un autre monde, fait de littérature, de musique, de rêve et de poésie. Bien que ma mère aime lire, ce n’est pas un sujet de discussion habituel, tandis qu’avec eux, je pressentais que je plongeais dans cet univers. Parler de ce que j’aimais était naturel, je me sentais…A ma place.
L’autre partie, témoin caché mémorisait cette scène. Ce témoin extérieur que j’étais, visualisait ce tableau : tout était si…spontané, si…agréable, j’avais l’impression de déjà vue, comme si tous les après-midis, je prenais le café avec cette famille, je me sentais si bien !
Après quelques temps, tous partirent, nous laissant Cristal, CET et moi. J’aurais pu être effarouchée, mais encore une fois, pour moi, je ne faisais que rendre visite à une amie de longue date. On aurait dit deux vieilles copines avec leurs habitudes, nous parlions, parlions et nous parlions. Tellement que nous avions surement soulé CET.
D’habitude, j’ai énormément de mal à parler, les mots m’encombrent, ils s’enchainent, je bute, j’angoisse, je suis désordonnée, jusqu’à tomber dans le ridicule. Mais cette fois je ne pouvais m’arrêter, mais qu’importe, Cristal est un peu comme moi et puis nous accordons peu d’importance à cela, nos paroles se dispersaient dans le vent, futiles parce qu’à l’orale, nous hésitons à deux. Un comble, dire que nous jouions avec les mots toutes la journée, sur le papier, agiles, douées.
PA restait notre sujet préféré. Deux rêveuses qui se racontaient des rencontres futurs, des manigances pour que la prochaine fois Clo soit de la partie, des histoires cachées dans les recoins de PA, de Carnot, le lycée que nous avions toutes les deux tant aimés, du futur, celui qui serait, pour l’une comme pour l’autre, à présent différent, parce que nos avenirs s’étaient rejoint. Ce qui me brisa le cœur, fut la promesse de nous revoir, parce qu’elle annonçait que nous serions séparées pendant un bon bout de temps. Avec Cristal, la Belgique m’ouvrait aussi grand ses bras, mais c’était si loin, et il était si dur d’organiser pareil voyage…
Comment tout raconter ? Je m’égare, j’oublie, mais qu’importe, j’aurais d’autres occasions ! Alors même si le souvenir est précieux, l’avenir l’est plus.
Et puis Cristal m’avait offert ce journal. Grace à elle Shakespeare m’aide à écrire. Cette semaine j’ai retranscris tout ce qu’il y avait dans mon ancien carnet : mes émotions, mes idées, le résumé d’ « Innocence et Péchés »…Et dès que je l’ouvre, j’ai une pensée pour mon amie de Belgique…
Je lui avais offert monsieur Sourire, notre mascotte à tous, parce que depuis que je connais PA, je vois la vie en rose. J’ai l’impression que grâce à ce petite smiley, elle emmène avec elle un petit bout de la communauté et cette idée de me réconforte. Elle ne m’oubliera pas. Je n’ai pas la prétention de me dire grand écrivain, mais je lui avais écrit un petit texte, sur elle et Ophélie. Il n’était pas magnifique, il n’était pas très joli, mais pour moi il comptait beaucoup. Puis, vu qu’elle avait aimé mes textes sur l’île d’où je venais, je lui avais aussi donné ce coquillage, rare, que seul Raphael parvenait à trouver. Etant petite, j’en faisais un collier. Fascinée par ses teintes, j’espérais que Cristal en serait tout autant, bien que la mer ne soit pas sa tasse de thé.
Les heures filent et défilent et en un battement de cil, cendrillon doit retourner chez elle.
Je me souviens de ce nœud, qui au fils des heures, s’était resserrés, étreignant mon cœur, le broyant, jusqu’à ce que notre rencontre arrive presque à terme. J’avais un arrière goût amer, presque comme si c’était la dernière fois que nous nous voyions : ridicule !
J’étais ridicule ! Alors que j’embrassais sa famille et CET ; son père et elles me reconduisirent jusque chez moi. Une fois dans le carrosse, les mots se perdaient, comment parvenir à exprimer cette peine et cette mélancolie ? Comme si nous nous étions déjà quittées. Nous bavardions, pour combler le manque, pour faire comme si on se reverrait le lendemain. Alors que, mon cochet, son père, conduisait doucement dans les ruelles, une bête surgit de mon monde imaginaire : une faune ! Un faune ! La créature bondissait, traversant la route sans se préoccuper de ce qui l’entourait. Un instant, je tournais ma tête, surprise par cette chimère, m’attendant presque à ce qu’elle soit poursuivie par un poète ou une nymphe.
Ce faune, moderne, aux articulations mécaniques ne nous remarqua même pas et une fois la surprise passée, nous rîmes, Cristal, son père et moi, charmés par cette créature extraordinaire.
Décidément, cette journée était vraiment spéciale et j’étais la seule à pouvoir tirer les ficelles des rêves.
Le retour à la maison, fut difficile. J’étais heureuse que Cristal voie mon petit monde, mon cocon dans lequel je vivais et écrivais. Elle emporta encore des bouquins et je rigole encore en imaginant CET, qui devait rentrer tous ses pavés dans les valises ! Le pauvre !
Cristal devait repartir. Et alors que j’ouvrais le portail, l’envie de la prendre dans mes bras m’a prise. Je l’avais enlacée, m’imprégnant de sa douceur et gardant son souvenir ainsi que celui d’Ophélie. C’est un secret. Un lien intime. En l’enlaçant j’avais l’impression de devenir un personnage de son histoire, d’être une grande amie, d’être un peu Ophélie aussi et puis d’être, encore une fois, à ma place.
Alors que le portail se refermait doucement, que Cristal disparaissait lentement, une larme coula, mon écharpe s’envola, s’évanouissant avec le vent de novembre, tout comme le faune, le lit à baldaquin, le monde d’Alice au pays des merveilles. Les fleurs aux couleurs chatoyantes reprirent vigueurs et mon cœur se serra alors que le soleil éclairait de nouveau mon jardin.
Il ne me restait de ce magnifique rêve, qu’un journal, que je serrais contre moi, vestige de cette journée magique.
Quelques temps plus tard, alors que la nuit avait chassé le soleil, la pluie avait éclaté. Tonnerre pétaradant, pluie diluvienne, les éléments se déchainaient. Etait-ce le destin ? Comment ne pas y croire. Je me rappelle encore de cette soirée que j’avais passée, sur ma terrasse, à regarder tomber la pluie, mon journal, fermé, entre les mains, moi-même perturbée par cet élément qui scellait notre rencontre.
Mais où est le hasard ?
J’achevais mon histoire par cette dernière phrase. Relevant mon visage, je scrutais la nuit. Elle était tombée sans que je ne m’en sois rendu compte. Une fine pellicule d’eau recouvrait mes épaules, l’humidité s’était installée, elle aussi. Cristal était partie depuis une semaine. Déjà une semaine. Une semaine jour pour jour. Une semaine. Dans combien de temps nous reverrions ?
Sans s’en rendre compte, elle m’avait apporté bien plus qu’une rencontre. J’avais murie, je voyais le monde autour de moi différemment j’avais grandi. Le devinait-elle seulement ?
Refermant le journal d’un coup sec, je me relevais et rentrais, le rangeant dans mon bureau, à l’abri des regards indiscrets. A côté de ce tiroir, mon ordinateur diffusait une douce lumière. Sur la page internet ouverte, était écrit :
« Train Nice-Belgique, réservation. »
J'aime aussi l'aspect "deux visions différentes".
Bouhouhouhouhouuuuuh...
*encore drapée dans les jupes d'Honey*