À la fin des recherches en coulisses, et quand Charly obtint enfin du policier qu’il lui partage les informations qu’il avait sur le suspect pour qu’elle puisse l’aider au mieux, ils avaient un profil imprécis mais plus déjà plus tangible. Des empreintes de pas montraient que la personne avait une pointure classique et des chaussures aux talons plats au moment des faits, la hauteur des écritures et leur inclinaison livrait aussi une taille, moyenne en l’occurrence. Quant au contenu du dit texte et la hargne avec laquelle le crochet avait été utilisé contre le scénographe, ils indiquaient de manière assez claire que le tueur en avait contre Arnfried tout en ne le connaissant pas assez pour écrire son prénom correctement et, bien que cela ne donnait pas tant d’informations, permettrait d’orienter les hypothèses quant au mobile plus tard. Pour ce qui était de Mademoiselle Rosenthal, étant petite de taille elle ne correspondait pas au profil. La possibilité d’un délit de fuite fut écartée au profit d’un deuxième meurtre.
Ainsi quand tous deux quittèrent les coulisses puis la salle, ce fut avec la ferme intention de trouver les suspects les plus banalement dans la moyenne pour à peu près tout. Ils s’apprêtaient à monter à l’étage pour interroger les clients quand Hans déboula dans le hall.
- Du nouveau ? demanda le policier en remarquant son visage inquiet.
Il hocha nerveusement la tête puis déclara d’une traite, comme si il ne pouvait le dire plus lentement sous peine de ne pas être capable de finir sa phrase :
- Monsieur Deladoey a prit soin de prévenir le jeune Strauss du sort de sa belle et il a pour ainsi dire voulut subir le même, heureusement la neige a amorti sa chute et il s’en est sorti, mal en point mais il est encore parmi nous. En revanche… la grand-mère Wicht n’a pas eu la même chance…
- Elle a sauté aussi ?
- Non mais elle est morte monsieur.
Charly et M.Dumont déglutirent en même temps.
- Le confinement n’aurait rien pu y faire, vu comme elle blanche on a de bonnes raisons de penser qu’elle est sans vie depuis un bon moment. La famille pensait qu’elle dormait encore et ne l’a signalé qu’il y peu, je vous conseille d’attendre que le premier choc soit passé avant de les interroger. D’autant qu’on ne sait pas encore si c’est de cause naturelle ou si c’est lié au reste.
- Nous allons commencer par le personnel dans ce cas.
Dans la salle commune il y avait en tout dix-neuf personnes, les six comédiens et comédiennes, les trois cuisiniers, la cuisinière, sept employés réguliers, le responsable de gestion du personnel Charles Duroux, comme il n’y avait que rarement besoin des trois ayant le poste, il n’y en avait qu’un pour rester l’hiver, et cette fois-ci c’était M.Duroux une fois que Greta Paccot eut quitté l’hôtel au milieu de novembre; et pour finir M.Deladoey fils qui accueilli le policier dès qu’il entra dans la pièce. Charly resta avec Eugène et Hans près de la porte pendant que M.Dumont demanda à ce que l’on isole les comédiens et le personnel du théâtre afin de leur parler en priorité. Avec son petit carnet il recueilli ce qu’ils et elles avaient à dire, des paroles parfois inaudibles depuis la porte selon qui les prononçaient. Rose, Michelle et Charles se montrèrent très exubérant dans leur vision des choses tandis que Gontran parla tout bas, Jochim à peine et Frieda encore moins. Pour les employés ce fut plus courts puisque tous avaient des alibis vérifiables de présence à tel ou tel endroit pour chacun d’entre eux, même Joaquim qui travaillait souvent seul à l’entretien de la machinerie. Il en allait de même pour les cuisiniers et bientôt M.Dumont relit ses notes et murmura quelques mots à M.Deladoey avant de quitter la pièce d’un pas pressant, Charly sur les talons, en direction des premières chambres à l’étage.
- Charly une question..
- Oui Monsieur ?
- Comment le contact peut être repris avec le village quand votre funiculaire est cassé ?
- Un technicien vérifie régulièrement s’il est en panne en bas, et met une nouvelle cabine s’il voit qu’elle ne redescend pas du tout pendant ses heures de fonctionnement malgré les sonneries de la cloche monsieur.
- Fort bien. Et quand savez-vous qu’il y a un nouveau funiculaire ?
- En allant voir s’il y a une nouvelle cabine monsieur. Pourquoi vous en inquiétez-vous maintenant ?
- J’aimerais autant que lorsque l’on aura confirmé le, la ou les suspects nous puissions l’éloigner de l’hôtel le plus rapidement possible. Dites moi avez vous remarquez quoique ce soit d’étrange en ce qui concerne Mademoiselle Degrange ?
- Michelle ? Et bien… elle faisait partie des trois qui sont venus me prévenir avec Rose et Charles. Si mes souvenirs sont corrects elle m’a dit que quelque chose de très grave était arrivé cette nuit avant de me confier que c’était un meurtre.
M.Dumont hocha lentement la tête en observant ses notes puis s’arrêta devant la porte de la chambre quatre après être passé devant les une, deux et trois où logeaient normalement les Dubois. Charly toqua doucement à la porte. Pas de réponse.
- Monsieur et Madame Bauer c’est Charly et un policier vous n’avez pas à vous inquiétez. Si vous avez le moindre doute munissez vous de votre carafe pour vous défendre.
Elle recula d’un pas, attendant que l’un des deux ne lui ouvre. Pas de réponse. Monsieur Dumont mis la main sur la poignée, l’autre sur l’arme à sa ceinture, et ouvrit prudemment la porte.
Dans la chambre il n’y avait que Mme. Bauer allongée sur son lit. Et quelque chose clochait. Charly s’approcha d’elle tandis que le policier commençait à chercher le mari dans la salle de bain. Elle ne respirait pas. Et sur le blanc des draps, une tâche pourpre de mort au niveau de son abdomen. Charly retint son souffle.
- Monsieur… Monsieur… souffla-t-elle
Le policier se retourna vers le lit et eut un mouvement de recul. « Merde, merde, merde, merde... » répéta-t-il comme si sur le moment c’était le seul mot dont il se souvenait. Puis il y eut un cri, en bas, un long cri que rejoignirent d’autres voix.
- Vérifiez comment vont les autres familles et dites leur de n’ouvrir à personne quoiqu’il arrive si ce n’est vous, et veillez à ce que toutes les portes et fenêtres soient fermées. Je vais en bas. Faites bien attention à vous surtout, débita M.Dumont très rapidement avant de dévaler les escaliers en courant.
Charly hocha la tête et courut à l’étage du dessus où étaient les Wicht et les Chevalier. Elle toqua à chacune des chambres occupées en leur criant depuis la porte de n’ouvrir à personne et de ne pas sortir tout en leur demandant de ne pas s’affoler. Une fois que cela fut fait et qu’elle eut des réponses de tous; elle se rua au rez-de-chaussée pour rejoindre la salle commune. Là l’attendait un bien étrange spectacle. C’était comme si elle était arrivée quelques secondes après l’action et que son entrée avait figé le temps. La plupart du personnel était terré contre le mur du fond, tous protégés par une barrière de tables de fortune qu’ils avaient dû dresser au plus vite, et tous leurs regards se tournèrent vers Charly quand elle apparut essoufflée dans l’encadrement de la porte. Au milieu de la pièce M.Dumont était debout, les jambes arquées, le pistolet pointé sur Michelle qui tremblait tant qu’elle semblait avoir du mal à tenir sur ses pieds, et devant elle M.Deladoey sur les genoux se tenait le ventre. Au sol un corps gisait. Charly n’osa bouger. Il y eut un long silence puis soudain c’était comme si tout l’air que tout un chacun retenait dans ses poumons s’échappait d’un coup d’un seul. Les gens s’effondrèrent sur des chaises à leur portée et Nicole enjamba une table pour porter assistance à M.Deladoey qui avait l’air particulièrement mal en point. Charly la rejoignit et vit ainsi plus près qu’elle ne l’aurait voulut le visage tordu par la haine de Monsieur Bauer, couteau en main, seulement arrêté par la balle qu’il avait prit dans la poitrine avant d’atteindre Michelle, et par M.Deladoey qui s’était mis en barrage entre la lame et son employée.
Après s’être assuré que Michelle ne bougerait pas, M.Dumont baissa son arme et demanda à ses collègues comédiens de l’attacher à l’une des tables. Ils s’exécutèrent perplexes, puis retournèrent se planquer derrière les meubles comme si la tempête n’était pas tout à fait passée. Le flanc de M.Deladoey continuait de saigner mais ça commençait à être déjà moins abondant, ce qui était bon signe. Le policier l’aida à se relever et l’assit sur une chaise pour que Nicole puisse lui appliquer un bandage avec ce qu’Eugène venait de ramener de la pharmacie de l’hôtel. Michelle pleurait. « Je suis désolée, tellement désolée... » sanglota-t-elle a l’intention de M. Deladoey qui n’avait encore pas prononcé un seul mot. « Ne vous en faites pas Mademoiselle Degrange ce n’est pas si grave » finit-il par articuler avant de tousser violemment.
Aussitôt M.Dumont envoya Charly vérifier si le funiculaire était toujours hors de service, et si ce n’était pas le cas de descendre chercher des ambulanciers pour M.Strauss et M. Deladoey en priorité, puis faire monter des policiers pour emmener Michelle Degrange au commissariat. Il s’agirait ensuite de faire monter ceux qui s’occuperaient de descendre les corps et les faire voyager jusqu’en bas un par un, en finissant par celui de Mme. Wicht qui avait succombé de son âge avancé. Une nouvelle cabine avait été montée et Charly fit cela dans l’ordre demandé, alternant entre les moments de panique et les pauses étranges sur les rails où le temps semblait flotter, comme si rien n’existait au-delà des barreaux des vitres, sinon les montagnes et le ciel où défilaient tranquilles des nuages cotonneux.
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L’affaire fit grand bruit dans les journaux. Les environs y apprirent que derrière cette sordide journée se cachait une rancœur vieille de plusieurs années entre Heinrich Bauer et Arnfried Krauss au milieu de laquelle se serait retrouvée Michelle Degrange. Témoin du meurtre de M.Krauss, elle aurait marchandé son silence contre la mort de Mlle. Rosenthal, comédienne elle aussi, qui lui avait « volé » un grand rôle quelques années auparavant. M.Bauer aurait ensuite perdu la raison avec le début de l’enquête et attaqué plus de personnes que de raisons, dont sa femme qui voulait témoigner à son encontre.
Après cela l’hôtel fut déserté par son ancienne clientèle. Les familles qui d’ordinaire prenaient le relais ne vinrent pas et le théâtre dû fermer faute de repreneur. M.Deladoey revint en montagne une fois soigné à la mi janvier pour reprendre ses quartiers dans un château vide où ne restaient que le personnel d’entretien. Avec le retour de Greta Paccot tous les employés dont le travail était devenu superflu furent invités à prendre congé tant que les choses n’étaient pas rentrées dans l’ordre, et ne restèrent que Maria, Eugène et Hans pour le ménage des lieux ainsi que Joaquim qui maintenait en état des machines qui ne servait plus guère. Des trois chaudières ne tourna plus qu’une et uniquement l’éclairage du rez-de-chaussée fut conservé. Puis il y avait Charly du Wiltshire, qui ne savait toujours pas bien ce qu’elle faisait là mais qui, malgré l’absence de clients, montait et descendait le funiculaire de temps à autres, attendant le doux son de la cloche lui indiquant que quelqu’un souhaitait monter. Mais il n’y avait personne. Alors elle actionnait les manettes pour elle même, pour observer derrière les grilles les montagnes enneigées et les brumes du soirs qui enveloppaient la vallée et le ciel d’un doux écrin bleuté.
À plus tard pour les remarques sur la forme.
Concernant l'histoire dans son ensemble, je l'ai beaucoup aimé. Elle est bien menée. Un peu courte peut-être.
Bonne continuation.
Ravi que l'histoire t'ai plu en tout cas! Et merci beaucoup pour tes commentaires