La cérémonie funéraire des dryades constitue un rite transitoire. Pour symboliser la renaissance, le défunt dénudé est mis en position fœtale. Le maintien de la posture est assuré par des liens fait d’algues et de lierre en référence à la mer et à la terre.
La dépouille est escortée dans un grand cortège dans les lieux qui ont compté dans sa vie. Puis le mort est emmené par sept shardanes, suivis de la famille jusqu’à une huître géante dans laquelle le corps est déposé pour être transformé en perle. Ainsi, le défunt retournera à la nature et respectera le dogme de Génoas-Khal, « Ne faire qu’un avec la nature ».
Le rite funéraire des dryades
Traité sur les sociétés du bouclier-monde
du maître architecte Vinci
Depuis la prise de pouvoir, Epiphone s’appliquait à établir un régime nouveau. Elle savait que le développement des préceptes de Génoas-Khal sur l’ensemble du bouclier-monde serait impossible par la démocratie. Les orcs, les elfes et les nains ne comprenaient que la force ! Pour que chacun respecte enfin la nature, l’unique voie possible était la dictature écologique. Et pour l’imposer au bouclier-monde, il fallait dans un premier temps l’établir sur les peuples élémentaires.
Pour réaliser cette tâche, la grande potentat avait réparti les tâches entre ses fidèles alliés. Elle-même se chargeait de la partie diplomatique, certainement la plus difficile à accomplir. Heureusement son sens politique s’aiguisait chaque jour un peu plus sur l’enseignement et les conseils du vénérable Bivot. Ce n’était pas une mince affaire dans le même temps de ménager la susceptibilité des shardanes, contrôler des marlins jusque-boutistes et négocier avec les nations étrangères.
Le prince Hector montrait des capacités de leader évident. La princesse d’Anulune la meurtrie était fière de son fils. Qu’il avait mûri durant ses années d’apprentissage à Zulla ! A présent, il se chargeait de structurer l’armée et en formait les premiers officiers. La capitaine Antigone se chargeait de l’entraînement des shardanes. Les meilleurs guerriers-pasteurs dispensaient une instruction aux soldats marlins. Enfin, Iphigénie sillonnait les sept royaumes de la mer avec le triple objectif de diffuser la propagande, d’organiser le renseignement et de recruter de nouveaux soldats. La dévouée servante constituait le ciment de l’organisation. L’avenir des peuples de la mer se trouvait entre de bonnes mains.
La réception d’une missive de Diodore estomaqua Epiphone. Le satyre lui annonçait une terrible nouvelle. Iphigénie venait d’être tuée dans une obscure attaque militaire ! Toutes affaires cessantes, elle partit sur le dos de Jason, le chef des hippogriffes pour rejoindre son ami de la confrérie. La princesse d’Anulune la meurtrie était sonnée. Heureusement qu’elle chevauchait une monture. Jamais ses jambes ne l’auraient portée. Sa fidèle suivante, à la fois sa servante et sa confidente n’était plus ! Elle ressentait un immense vide, comme face à un précipice qui l’attirait irrésistiblement. Le vol de Jason au plus haut des cieux accentuait ce trouble. Le vent qui fouettait son visage emmenait ses larmes. Face à cette vive impression de vertige insondable, la grande potentat faillit choir de l’hippogriffe.
Non ! C’était impossible ! Les congénères de Diodore l’avaient abusé. Les satyres se trompaient sur l’identité de la dryade tombée au combat ! Iphigénie n’avait aucune raison de se rendre dans la forêt sacrée du Connacht ! Epiphone ne pouvait le croire. Pas tant qu’elle n’avait pas vu de ses propres yeux la dépouille de sa fidèle suivante. Lorsque Jason atterrit près du tumulus de Télésphore, la guide des peuples de la mer demeurait incrédule. Les yeux rougis, Diodore l’attendait au milieu d’un groupe de soldats qui creusaient des tombes pour les satyres morts au combat. Dès qu’elle fut assez proche, son ami lui tomba dans les bras.
« Tlès gland dlame qui allive à notle conflélie ! Plévenue toi dès que j’ai su. »
« Je te remercie de m’avoir prévenu si vite Diodore ! Je peux la voir. »
« Bien sul ! Suis-moi ! »
Les deux membres de la confrérie se dirigèrent vers un petit cabanon caché derrière le tumulus. A l’intérieur, dans une modeste pièce, le corps d’Iphigénie gisait sur une table improvisée en autel. Une colère sourde emplit le cœur de la dryade. Face à la profonde injustice de cet assassinat abject, les questions fusaient dans son esprit. Pourquoi ? Comment ? Qui ? Oui ! C’était ça la vraie question.
« Qui as fait ça ? Tu as une idée Diodore ? »
« Iphigénie est venue ici pour un prisonnier orc louge. Poultant, ça lessemble à une attaque elfe ! »
« Comment ça ? Des elfes ! Tu en es sûr ? Mais l’orc ! Pourquoi un orc ? »
« Oui. Les orcs se selaient achalnés sur leurs victimes. Pas une tête décapitée ! Pas un cœur allaché! Des flèches et une dague elfes ! Et sultout deux molts elfes. Des elfes devaient poursuivre l’orc rouge. Le bluit coult qu’ils le poulchassaient pour lécupéler un des sept présents des Sept. »
Les sept présents des Sept ! Fébrilement, la grande potentat inspecta les bras de la gisante. Elle ne portait plus le bracelet amphibie accorder par la déesse ! La bannière de Batum-Khal était en quête des artefacts offerts par les Sept ! Une forêt de flèches s’alignaient sur le sol comme les arbres abattus lors du saccage de la baie d’Anulune. Une dague ensanglantée gisait aux pieds d’Iphigénie. Une dague elfe ! Une dague qu’Epiphone planterait dans le cœur du roi Roll ! Elle les exterminerait tous ! Ces monstres aux oreilles pointues ne respectaient rien ! Epiphone ramassa l’arme meurtrière et la nettoya avec sa manche gauche, au niveau du biceps. Le sang dessina une large bande rouge. La princesse jura à la déesse de garder cette marque jusqu’à avoir vengé sa fidèle suivante. Elle voulait hurler sa colère mais elle s’y refusa. Elle décida qu’elle garderait ses cris pour la fureur des combats. Pour exhorter toute sa haine, elle piétina les flèches. Pas une seule ne se brisa sous son pied. Son projet de tuer le roi Roll était-il vain ?
Une vague de désespoir la submergea. C’était trop injuste. Pourquoi ces elfes avaient assassiné Iphigénie ? Comment pourrait-elle continuer à vivre sans son amie de toujours ? Ses oreilles bourdonnèrent. Un voile sombre troubla sa vision. Ses jambes flagellèrent. A bout de force, Epiphone s’effondra sous le poids de l’émotion qui déferlait dans son cœur. Diodore la rattrapa de justesse avant que la grande potentat ne s’affala. La dryade sanglota de longues minutes dans les bras du satyre. Il pleura avec elle.
« Nous allons t’aider à lapatliller Iphigénie. Un chaliot est en loute. »
« Sniff ! Merci mon bon Diodore. Sniff ! Nous lui ferons des funérailles nationales à la hauteur de l’abnégation qu’Iphigénie avait pour son peuple ! Sniff ! »
La princesse se répandit à nouveau sur l’épaule du druide. Celui-ci tenta de trouver les mots pour la réconforter.
« Le Lugnasad vliendla l’honnoler ! Et Bivot ! Et Flamèche ! Et Pelsuic ! »
Diodore envoya des missives aux quatre coins des royaumes de la bordure et s’activa pour préparer les obsèques des gardes satyres morts dans le massacre du sanctuaire sacré de Télésphore. Epiphone resta quant à elle aux côtés de sa bonne Iphigénie. Elle n’avait plus le goût à rien. A quoi bon lutter ? Il ne restait que vide de l’absence. La princesse meurtrie d’Anulune venait de perdre la seule personne qui savait ce qu’elle avait enduré sur l’île d’Abath-Khal car elles avaient subit ensemble les tortures abjectes des orcs zébrés de bleu. C’était sa suivante qui pansait ses plaies et qui la réconfortait dans l’obscurité suintante de leur cellule. C’était la rassurante dryade qui l’avait accompagnée dans son périple pour revenir à la civilisation. C’était l’indéfectible amie qui soutenait depuis l’origine le projet de la confrérie des élémentaires. Epiphone venait de perdre plus qu’une compagne de lutte ; elle venait de perdre une sœur. A présent, plus rien n’avait d’importance.
En attendant la venue des délégations, la princesse meurtrie d’Anulune demeura hagarde, le regard absent. La nourriture qu’elle mangeait avait perdu toute saveur. Le vent dans ses cheveux avait perdu toute senteur. Lorsqu’elle sortait dehors, abandonnant quelques instants sa veillée funèbre, elle ne sentait même pas la pluie sur son visage. Les représentants des peuples de la bordure arrivèrent promptement. La grande potentat leur afficha un sourire de façade. Même à Bivot. Même à Flamèche et Persuic. Et même à son fils Hector. Elle ne pleura pas quand le prince se pressa pour la réconforter. Elle n’en avait plus la force. Elle ne remarqua même pas la peine inconsolable du jeune hybride et la tristesse des membres de la confrérie. Heureusement le vénérable Bivot trouva les mots pour réchauffer tous leurs cœurs excepté celui d’Epiphone.
Diodore organisa des obsèques exemplaires dans la plus pure tradition druidique. Les tombes furent creusées tout autour du tumulus, à l’endroit exact où les morts montaient jusqu’alors la garde. On les mit en terre dans de simples linceuls en lin sur lequel on avait brodé leur nom. Gnomes, fées et dryades versèrent une poignée du sable de leurs propres royaumes au moment de l’ensevelissement des soldats tombés au combat. Puis les druides dressèrent des dolmens au son des cornemuses. Un soldat prit place devant chaque sépulture. Ainsi, désormais, le tumulus sacré de Télésphore serait surveillé autant par les vivants que par les morts.
Epiphone restait passive, incapable de surmonter sa souffrance. Le prince Hector assura donc procession dédiée à Iphigénie. Il noua les membres de la défunte dryade en pleurant à chaudes larmes. Impuissante, les mains tremblantes, sa mère demeura simple spectatrice. Tout juste déposa-t-elle un baiser sur le front de son amie pour suivre le geste des membres de la confrérie. Le cadavre commençait à se décomposer et le temps était compté. Le parcours initiatique se résuma donc à un passage au cromlech de la confédération des élémentaires avant d’effectuer la cérémonie funéraire sur la plage de Neptnas.
Dans ce village où Epiphone s’était réfugiée avec sa suivante. Dans ce lieu où Abath-Khal les avait enlevées. La grande potentat accepta enfin la réalité. Le bouclier-monde continuerait à avancer malgré la disparition d’Iphigénie. La seule chose que la princesse pouvait faire, c’était de participer dignement aux obsèques de sa confidente. Les sept plus puissants shardanes escortèrent la martyre vers sa dernière demeure. Seule, Epiphone forma une bulle suffisamment grande pour accompagner l’ensemble des délégations dans les profondeurs. Cette démonstration de puissance impressionna tous le monde, et plus encore les guerriers pasteurs. Les marlins suivaient cet immense construction hydrokinésique dans leur propre protection. Ils pleuraient la disparition de leur cheffe bien aimée. La procession s’enfonça au plus loin des profondeurs et trouva la plus gigantesque des huîtres pour le repos éternel d’Iphigénie.
A présent, il fallait combler le vide laisser par cette tragédie. Une fois de retour sur la plage de Neptnas, Epiphone profita de la présence des hauts dignitaires des quatre peuples élémentaires pour faire un discours offensif.
« Peuples des bordures ! Iphigénie était la dryade la plus dévouée à la déesse ! Et elle a été froidement tuée par un escadron elfe ! Les satyres avaient caché dans la sacrée forêt du Connacht le tumulus du mythique Télésphore ! Et les guerriers du roi Roll l’ont souillé et ont exterminé les gardes placés ici par le Lugnasad ! Allons-nous laisser ces crimes impunis ? Peuples des bordures ! Il est temps de se révolter ! L’impérialisme elfe a assez duré ! Unissons-nous sous la même bannière ! Nommez mon fils, le prince Hector, également descendant du druide Nicéphore au titre commandeur suprême ! Il nous guidera vers la victoire, comme Télésphore en son temps ! Soyez-en certains ! »
L’assemblée acclama la déclaration. La présence des shardanes et des innombrables marlins influençait forcément l’opinion publique. Pousser par cette ambiance exacerbée, le Lugnasad satyre, le sabbath féérique et le conseil gnome intronisèrent Hector au rang de grand commandeur. Le décès d’Iphigénie n’était finalement pas vain ! L’émotion qu’il avait procurée permettait à la confrérie des élémentaires d’avancer dans son projet.
A partir de ce jour, Epiphone laisserait la diplomatie à son fils. Elle se recentrerait sur les tâches jusqu’alors assumées par sa suivante. Le drame de ces derniers jours alimenterait la propagande. Ainsi, la princesse, à la tête des marlins écraserait l’opposition et mènerait la révolte à Anulune. Le temps de la rébellion était venu !
J'aime bien cette idée de faire d'Epiphone une dicatrice écologiste 🙂
"grande potentat"
> Tu n'avais pas changé ce terme entre temps ?
"On les mit en terre dans de simples linceuls en lin"
> Au début du chapitre tu dis que les dryades sont mises en terre (ou en mer ?) dans des coquillages géants. Pourquoi de simples linceuls en lin ici ?
Ce chapitre est celui que j'ai le plus structuré du livre, en mode architecte. En fait, j'ai essayé de suivre les étapes du deuil ( le choc, le déni, la colère, le marchandage, la résignation, l'acceptation, la reconstruction). Sur le coup, j'étais hyper fier de ce que j'avais fait. C'est vraiment dommage si ça ne colle pas avec le reste du récit et que ça casse le rythme!
En même temps, j'ai beaucoup lu et entendu qu'il fallait se méfier de nos envolées lyriques et des moments où on avait conscience d'essayer d'avoir du style. Donc chapitre à revoir!