Les jours défilèrent ainsi, et Acacio pouvait constater avec le peu de mots qu’il échangeait avec son père qu’il s’améliorait, petit à petit, quand bien même celui-ci ne le remarquait pas. Ceci lui suffisait : pour la première fois de sa vie, il avait véritablement l’impression d’avancer. Les cours du caméléon était plaisant malgré sa façon rude de lui parler et lui donnait l’impression d’être capable, un jour, de parler avec quelqu’un d’autre qu’un animal. Bien que les exercices devenaient de plus en plus complexes a exercer, demandant un travail plus profond et moins visible sur son corps, il y mettait toute son énergie, bien plus que dans la couture des toiles de montgolfières.
« Bon, je crois que tu as bien saisi comment faire des voyelles, désormais. On peut passer au corps !
– Au corps ?
– Tu ne retiens donc jamais rien ? Les consonnes, gamin, les consonnes ! Et c’est plus compliqué, alors tu as intérêt à suivre, je ne t’attendrais pas !
– Oui, bien sûr. Donc ?
– Donc. Tout comme il y a pleins de corps différents, il y a pleins de type de consonne. Et on les différencie parce qu’elles ne se produisent totalement différent. Alors, à ton avis, comment tu fais des consonnes ?
– Comment ça, comment j’en fais ? J’en fais pas moi ! Répliqua Acacio qui sembla presque paniquer.
– Et tu me parles comment, là ? Allez, sois pas plus bête que tu ne l’es. Qu’est-ce que tu utilises pour couper l’air ? »
Le jeune garçon n’osa pas répondre de suite, se sentant stupide.
« Ma bouche ? »
Le caméléon sembla se vider de ton air en un soupir de consternation.
« Oui, bon, c’est un début. Mais c’est quoi, ta bouche, gamin ? Est-ce que tu fais des consonnes avec tes joues ? Tes lèvres ? Tes mâchoires ? Tes dents ?
– Mes dents, ce serait stupide, laissa échapper Acacio, perdu.
– C’est toi qui est stupide, petit ignorant, répliqua le caméléon. Réfléchis au lieu de me répondre bêtement.
– Mais à quoi veux-tu que je réfléchisse ? Je n’en sais rien, moi !
– Et bien essaie ! Tu sais me parler, utilise ce pouvoir pour autre chose que dire des inepties ? Quelles sont les consonnes que tu connais ? Dis les moi ! »
Acacio hésita un peu avant de répondre, mais essaya de reprendre pied dans sa réponse :
« Et bien, M, N … »
Le caméléon claqua de la langue pour le couper.
« Non, là tu me récites des lettres, gamin. Je veux entendre des consonnes. Donne moi des consonnes.
– Là comme ça ? Sans mots ?
– Oui, donne moi des corps, juste des corps. Allez, on avance ! »
Le jeune garçon obtempéra. Il lui fallu du temps pour trouver toutes les consonnes possibles, et d’autant plus pour trouver par quel moyen il les produisait. Mais lentement, guidé par un caméléon qui sembla presque donner de sa patience dans l’exercice, il trouva les sons coupés par les lèvres, la langue, le palais et les dents. Le travail des consonnes fut plus long que celui des voyelles, car il fallait du temps à Acacio pour comprendre toutes les subtilités et les pièges que formaient cet ensemble de son.
« On peut encore différencier les consonnes autrement, continuait le caméléon après plusieurs jours. Imite-moi une grenouille.
– Quoi ? »
Bien qu’Acacio commençait à comprendre comment le caméléon illustrait ses exemples, sa façon très brusque de demander le prenait encore de court.
« Ne discute pas, et imite-moi le cri d’une grenouille ! »
Surpris, il obtempéra. L’œil mouvant du caméléon eut presque l’air satisfait.
« Très bien. Maintenant, imite-moi un serpent. Un serpent à sonnette qui siffle sans sourciller... »
Le jeune garçon obtempéra à nouveau, se demandant si il allait devoir faire tout le bestiaire. La queue du caméléon se déplia pour mettre fin à l’exercice.
« Alors, est-ce que tu as compris la différence ?
– Ce n’est pas le même animal ? »
La tête du caméléon frappa presque le sol de désespoir.
« Dans le son, bougre d’andouille, dans le son ! Tu ne m’as pas demandé des cours de langage animal, que je sache ! Est-ce que tu as trouvé une différence dans la façon de produire les sons ?
– Comment dire, hésita le jeune garçon aux joues rougies. Il y en avait un où il y avait des voyelles et l’autre non ?
– Et bien voilà, quand tu veux ! Il y a des consonnes où ta gorge vibre et d’autres non. C’est comme si il y avait des voyelles dans les consonnes !
– Attends… Ça veut dire qu’il y a des morceau d’âmes dans des corps qui créent un corps à un mot qui a déjà une âme à part entière ?
– Tu sais, gamin, tu ne devrais pas prendre tout ce que je dis au pied de la lettre. Je ne suis qu’un caméléon. »
Le jeune garçon manqua de s’étouffer alors que l’animal continua sa leçon sans sourciller. Mais il ne s’insurgea pas. Le temps qu’il perdait en dispute était du temps de perdu sur la recherche des résonances de son corps.
Les "imite-moi" ont un tiret:
"Imite moi une grenouille"
"et imite moi le cri d’une grenouille !" et il y avait "imite-moi un serpent" aussi je crois.
Et sinon petite remarque formelle:
"Comment ça, comment j’en fais ? J’en fais pas moi ! répliqua Acacio qui sembla presque paniquer." Le "r" de Répliqua est minuscule parce que c'est une incise, ça vaut pour toutes les incises des autres dialogues et ce malgré le point de ponctuation forte.
Merci, je vais voir ça quand je peux !