Deuxieme partie (1)

Je sors pour m'asseoir sur le petit perron de la cabane. De grosses gouttes de pluie tombent sur les aiguilles fines des arbres et se rassemblent sur les rameaux avant d'atteindre le sol. J'ai l'impression d'être protégé de l'eau par une immense toile de tente. C'est si apaisant que je ferme les yeux.

Les paupières closes, je médite. Doucement, je me mets en symbiose avec cette nature maudite. Maudite par je ne sais quel phénomène qui m'empêche de retrouver mon chemin. Et les secours ? Finiront-ils par venir me chercher, si je ne parvenais pas à rentrer ? Oui, je pense que oui. Mais cela leur prendrait du temps. Où que je sois, je suis isolée. Et avec l'arbre-tunnel qui s'est effondré, ils mettront sûrement plusieurs jours, voire des semaines, avant de pouvoir atteindre cet endroit.

Et si je trouve un refuge plus facile à repérer ? Non, impossible. Hier, j'ai déjà failli me perdre. Cette cabane garantit ma sécurité. Si je la quitte et que je ne la retrouve plus ensuite, ma vie pourrait être en danger. Non, le mieux c'est de rester ici et de survivre jusqu'à ce qu'un randonneur, un garde forestier ou un hélicoptère finissent par me repérer.

Une petite voix dans ma tête vient me mettre en garde :

Et si personne ne te trouve, et si personne ne te voit ?

Mais je ne l'écoute pas, car je n'ai pas d'autre espoir.

Et en attendant, il faut survivre.

J'ouvre les yeux et me lève pour retourner à l'intérieur. Je renverse tout, mets tout sens dessus dessous. Dans l'armoire, je trouve une écharpe rouge. Je la saisis et retourne dans l'immense arbre-tunnel. Ma voiture y est toujours. Je marche jusqu'à atteindre la zone d'effondrement. Franchement, il me faudrait des semaines avant de pouvoir créer un passage. Je peux toujours m'y mettre demain. Après tout, même si ça prend du temps, je suis certaine de pouvoir rejoindre la route. En attendant, je repère une toute petite ouverture. Avec difficulté, j'y glisse l'écharpe rouge pour qu'elle dépasse de l'autre côté. Une vingtaine de tentatives plus tard, je crois parvenir à mes fins. Si quelqu'un la trouve, j'ignore s'il comprendra, mais c'est mieux que rien.

De retour dans la clairière, je caresse le séquoia géant qui protège ma masure. Il réveille mon esprit de biologiste et me rassure. Tu connais cette forêt, tu connais la flore, alors tu parviendras à survivre. Pff ! Quelle idiote! Un arbre, ça ne sait pas parler, je me fais des films.

J'enfonce mes doigts dans la terre et l'examine avec minutie. Sans microscope, difficile de connaître ses composants, mais pas besoin d'instrument de laboratoire pour savoir que c'est du bon terreau. Si seulement il y avait des graines dans la cabane ! Mais ma seule chance de trouver quelque chose à planter, c'est de voir quelle nourriture je peux dénicher dans les environs.

M'équipant d'un vieux sac en bandoulière laissé à l'abandon par l'ancien locataire des lieux, je m'éloigne de mon repère et pars à la recherche de nourriture. La cueillette n'est pas difficile : il y a beaucoup de baies sauvages à Redwood. Seulement, il faut savoir reconnaître celles qui sont comestibles. Heureusement, je connais le sujet par cœur.

Ma besace est presque pleine quand je rentre au bercail. Ça sera suffisant pour le repas de ce soir. Avec, je mangerai le petit pain au sésame que j'ai laissé dans la voiture.

Bon. Je me débrouille, mais je vais très vite manquer, soyons honnêtes. À moins de rompre mes convictions, mon apport en protéine - mais aussi en féculent - sera insuffisant si je suis bloquée ici longtemps. Dans combien de temps ressentirais-je les effets de ces carences ? Je l'ai appris en cours magistral, mais pas moyen de me rappeler pour l'instant.

Je soupire en allant à la voiture. Tout cela me paraît infaisable.

Pitié, faites que l'on vienne me chercher bientôt...

 

Le soir tombe sur les troncs des séquoias. J'utilise un vieux tissu qui m'a l'air propre et enveloppe les baies récoltées pour les laver à la rivière. Une fois que c'est fait, je m'assois sur le perron et coupe quelques tranches de pain.

Alors que je m'apprête à mordre dedans, je me fige brusquement.

Clac ! Clac ! Clac !

On dirait le bruit d'une porte mal fermée.

Ça vient de derrière la cabane.

Je me lève et vais voir de quoi il retourne. En faisant le tour du bâtiment, en suivant la rivière, je découvre qu'il existe un passage entre le tronc de l'immense séquoia et la masure.

Mais cet espace est occupé.

Comment ai-je pu passer à côté ? Là, juste sous mes yeux, se trouve un petit débarras à peine plus grand qu'un placard à balais. Je saisis le loquet de la porte et comprends tout de suite pourquoi il claque : il a mal été poussé. Bizarre... Pourquoi ne l'ai-je pas entendu auparavant ?

Mais mes interrogations laissent bientôt place à l'émerveillement quand je découvre ce qu'il y a à l'intérieur. Des bocaux en verre, du matériel de pêche, mais surtout, tout un sac de graines potagères rangé dans une petite caisse en bois.

Je saisis les différents sachets pour lire les étiquettes : carottes, tomates, pomme de terre, poireaux, patate douce, potiron, haricot... Tout ce qu'il faut pour une alimentation correcte.

Je ne sais pas si ces graines sont encore utilisables, mais pas de doute, je vais pouvoir tenter ma chance !

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Emilie-Rose
Posté le 22/07/2023
Encore une fois, un texte très intéressant ! J'étais d'abord prête à découvrir un élément surnaturel, mais tu as réussi à me surprendre avec cette nouvelle direction (peut-être que plus tard, le grand séquoia aura un côté mystique, haha).

Tout au long du récit, je me suis posé de nombreuses questions : à qui appartenait la cabane, combien de temps y est-il resté avant d'être retrouvé ou mort, etc... En commençant l'histoire, je ne m'attendais pas du tout à cette tournure, et j'apprécie énormément ! Ta capacité à maintenir l'intérêt tout en créant des mystères est vraiment bien maîtrisée. D'autant plus que tu n'as qu'un personnage pour créer l'action, donc pas d'interactions, de dialogues, etc., mais juste ses pensées, qui sont très bien dosées !

Bravo !
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