Je vais devoir faire un truc, Billy… Un dernier truc… Je te reparlerai un peu plus tard… J'espère que tu seras réveillé, mon amour… Je t'embrasse très fort… Je t’aime… À tout à l'heure…
Mais merde, ne te juge pas, Rebecca !
Billy ne le saura pas. Il ne te voit pas. Qui lui dira ? Combien déjà ?
Treize !
Tu es sûre ?
Certaine ! Treize gouttes d'eau ! Et deux gouttes de jus de citron ! Ne tremble pas, Reb. Applique-toi !
Je ne tremble pas.
Si, un peu. On dirait que tu as peur ?
Non. Je t'assure.
J'aborde à présent la partie sensuelle, hypnotique du processus. Je m’émerveille comme une petite fille au pied de son premier manège. J’ai sept ans. Je suis bien.
Je chauffe délicatement. Je filtre à la toupie.
Je suis très excitée, mais je me contiens.
T’assure toujours Reb !
Merci frangine. C’est étonnant, ce soir je me sens en symbiose avec l'éther. D'oser parler à Billy m'a fait un bien fou. Ce soir, j'ai le cœur propre, les doigts souples, ce soir...
Ce soir, tu es méticuleuse.
Grâce à Perramus, j'ai beaucoup progressé. Il m’a donné une putain de seconde chance.
Et c’est comme ça que tu honores Perramus, vile connasse ?
Ce n'est rien ça. C'est juste un test de probité.
Tu te mens, comme toujours.
Je te jure.
Sur la tête de qui ? Tous tes amis sont morts.
Mais Billy n’est pas mort. Je jure sur sa tête que c’est le dernier voyage.
Je trouve ma bleue-veine sur le dessus de ma main.
Nom de Dieu, qu'elle est belle !
Allez, c'est parti. Plus un mot. Goûte l'instant à fond l’instant, Reby.
Ô beauté, flamme orangée ! Comme ton nimbe est beau. On dirait une danseuse de flamenco qui danse au rebord d'une nuit tiède.
Pas trop vite, injecte doucement. Ne pense pas à l'OD.
Je n'y pense pas.
Si, penses-y, mais juste ce qu'il faut. Voilà ! Stop ! Arrête-toi à la moitié, et attends quelques secondes pour voir si l'immaculée n'est pas trop forte.
T'inquiète, j'ai toujours respecté les consignes de sécurité. J'ai jamais débordé, grâce à Dieu. C'est mon côté bonne élève, cahier soigné, marge impeccable, sans bavure. J'avais une amie comme ça, archi- concentrée, toujours première de la classe, parce qu'elle avait la flemme de sortir son Typex de sa trousse. Les paupières closes, par contre, c'est ma petite superstition. La prière ! Je me la fais toujours courte. Je ne crois pas en Dieu. Mais sait-on jamais. À ce prix-là, je suis quand même un peu perplexe. Que vas-tu m’offrir, ma belle ? Je ne m'attends à rien, pour ne pas être déçue.
T’inquiète, ce sera le der des ders, je te le jure mon Billy.
Comme il ne se passe pas grand chose, je taquine encore un peu la fusée. Je provoque le sablier. L'espace d'une seconde, j'émets quand même un regret. Je me dis que malgré mon début de vie ratée, je suis peut-être déjà trop bien pour espérer aller mieux.
Quand soudain, sans crier gare… c'est l'onde de choc !
Ô putain, la salope !
T'en penses quoi ?
Reb ?
D'abord au loin, une nuée, une cavalcade de chevaux blancs opalescents qui devient de plus en plus précise, me submerge bientôt de sa traîne parfilée d'or, de pourpre et de topaze. Elle semble surgir du fond d’une vaste forêt noire. La voici qui grandit, terrasse, flambe tout sur son passage. Atomise mes craintes ultimes.
C'est le FLASH !
La sensation est soudaine, aiguë, fracassante. Elle m'irradie de chaleur, fait d’inouïs va-et-vient de mes orteils jusqu’au milieu de mon crâne.
BANG !... BANG !... BANG !...
Big bang en plein front. Les galaxies commencent à tourner. Elles tournent, tournent et tournent à perdre haleine. Novas, Voie lactée, millions d’étoiles qui scintillent. La lune à ma gauche a la rondeur d’une drôle de mamelle sèche. C'est tellement beau. Je retrouve tous mes horizons. Je suis enfin chez moi.
Oh, la putain de belle montée !
Mais c’est quoi ? C’est quoi ce vieux produit, putain ? Je me croirais à Angkor Wat. Je survole la fantasmagorie des temples khmers, et j’entends cette voix de cristal : ton image dans la glace, c’est mon plus beau poème, mais fais vite il s’efface, c’est mon dernier je t’aime !
Et maintenant, ça y est, je suis une libellule. Je déploie voluptueusement mes ailes au-dessus du fleuve aux cinq couleurs, je butine le Cano Cristales irisé d’or, de mousses et d’algues arc-en-ciel.
Ô le MERVEILLEUX et SUAVE FLASH !
Je m'étale sur le lit, bras en croix, à la vitesse d'un haricot qui pousse. Entre mes yeux, une hallucination sublime chasse l’autre. Je pense être maintenant blottie dans les entrailles veloutées de la déesse Isis. L’Égypte me tend ses bras de sable, ses secrets d'initiés. Je chevauche le Sphinx. Je marche sur le Nil. Je me téléporte sur la colline d’Ibshek, au Temple d’Abu Simbel, et je me fais l’amour seule sur le nez de Néfertari.
Et voici que mon plafond s'éloigne en douceur. Que mes murs reculent. Soudain, cette impression fabuleuse que les loupiotes de ma vie s'éteignent l'une après l'autre, telles des photons qui basculent en dominos en travers de mon front.
L'oppression dans mon thorax lentement se décrispe. Mes mâchoires se distendent. La lourdeur de mes membres s’estompent. Mes mains deviennent ouate. Toutes mes fibres exultent.
Voilà, c’est fait. Le miel est en moi. Il s'écoule à l'infini.
C’est prodigieux !
La chasse au dragon a commencé. Elle devrait durer entre quatre à six heures, m'a dit Melchior.
Ça a du goût ! Beaucoup de goût. Peut-être trop. Je ne me suis jamais envoyée un truc pareil. C'est dingue comme les prods actuels tabassent, mutent, se bonifient. Je ne sais pas qui remercier. Le paysan/chimiste ou mère Nature. Le monde change, le monde change tellement vite, c'est affolant comme il change. La Terre nourricière devient décomplexée, comme tous les salauds qui la foulent. Elle recrache dorénavant l'effroi comme le sublime. Cela aurait été vraiment con de rater un trip aussi puissant qui m'est tombé du ciel. Vertigineusement, mes pensées s'altèrent, s'ordonnent, se magnétisent, au gré d'un kaléidoscope anarchique qui semble enfanter tentacules sur tentacules.
Et puis, tout au bout du rayonnement, la voici. À travers la splendeur de plantes gigantesques, je découvre l'hydre. Toute l'ampleur de sa vénusté se fond en moi. Ses yeux d'émeraude. Sa bouche noire qui irradie une clarté aveuglante.
La PAIX enfin ! Ô seigneur, cette PAIX !
La PAIX virevolte autour de moi, se dépose tendrement sur chacune de mes cellules, comme des milliers d'infimes flocons aimants.
Goutte de pluie absorbée par l’Océan, je plonge dans la phase de quiétude totale que Melchior appelle le « plateau ». C'est la période de bien-être intense, de relaxation profonde. Je vagabonde comme un frais papillon à travers les bosquets roses de l'oubli. Mon existence à cet instant ne pèse absolument plus rien. Je ne suis plus qu'un rêve de balsa. Pourtant, je ressens ce trop-plein d'allégresse comme si j'avais le poids de l'Annapurna.
Le voyage se poursuit. Mais, semblant repu de la voyageuse, il s’aggrave peu à peu. Je passe maintenant des millions d'âmes sous la douchette de mon code-barre. Ce sont les nouveaux-nés du jour. Les bébés africains sont accueillis sous un soleil ardent par un essaim de mouches, des vaches mortes, des mères faméliques. Les bébés blancs du Texas sont accueillis par des hordes de latino-américains en révolte. Tout brûle autour d’eux. Tout sent la haine raciale. Les uns et les autres ne savent pas encore ce qui les attend : calamités, misère, cataclysmes, deuils. Et j’en pleure ! J’en pleure à chaudes larmes. J’inonde la Terre entière de ma tristesse, et je me dis : pauvres âmes !
C'est une vision du futur, Reb ?
Non, c’est la crainte qui vient de se répandre. Elle était embusquée dans les sombres replis de mon délice. Trop tard ! Elle vient d'ouvrir une fenêtre dans mon poitrail et fait entrer d'un coup la froidure.
Putain de maudit piège ! Je ne l'avais pas vu venir.
Pas de panique, Reb. Tout est sous contrôle. Fais comme moi, respire profondément.
Je respire profondément, fous-moi la paix.
Oh, un ton plus bas, s’il te plaît. Écoute-moi !… Écoute-moi…
Je t’écoute.
N'aie pas la frousse. La «Voix» ne te déglinguera pas cette fois-ci. Reste bien à l'écart, tapie dans l'ombre. Repais-toi jusqu’au bout du pollen de ce succulent sugar. Reb, tu m'entends ? Tu es loin, frangine.
C’est l’instant terrible ! Atroce !
L’heure où la princesse commence à ressentir le poison dans ses tripes, à chier dans sa crinoline.
Je commence à me tordre. Je me tord. Je vrille comme un long drap qu’on essore à la main.
J’ai si mal, mon Dieu !
NON !…
Il ne faut pas que je me gerbe dessus.
Il ne faut pas que je me gratte jusqu'au sang.
NON !…
Je ne veux pas que mon cœur saigne.
Il ne faut pas. Il ne faut pas.
Mais voici que, sans prévenir, les « demains » débarquent.
Demain, demain, demain, demain, demain, demain, demain…
Les demains me soûlent de demain.
Demain, il ne faut pas que mon cœur saigne.
Il ne faut pas.
Que mon cœur saigne.
Demain !
La prévention me revient comme un mantra infernal. Les «demains» envoient valdinguer mon esprit d'une tempe à l'autre. Je commence à flipper sévère. Je flirte avec l'intolérable. Je dois me forcer à me retenir au vide.
Pourquoi mon stylo d’écolière bave t-il sur mon cahier, se répand t-il aux pourtours de ma table ? Merde, j’ai de l’encre partout sur les cuisses. Des spirales, des arabesques, des cheveux torsadés sortent de mes pages quadrillées, entourent de chiendent mon écriture puérile. Mes pensées se déglinguent. Je ne contrôle plus rien. J'ai une sauvage envie de me dessiner dessus, de me contorsionner comme un modèle épileptique et de me peindre des Titans, des cyclopes et des nymphes sur tout le corps, à la queue de vache. Je hurle sans un son que je veux faire de moi une œuvre d’art, même éphémère. Ce hurlement, c'est ma frousse de devenir folle ou invisible aux yeux du monde. Je veux garder une trace du déchet, rendre un dernier hommage à mon destin de poussière. Je veux perpétuer par delà les siècles mon insignifiance, afin qu'elle s'imprime dans le cœur des fossiles.
Et pourtant, comme cette terreur au bord de la tombe est divine.
Alors tout doucement je me laisse glisser dans l’épouvante dont je suis devenue l’enfant.
Je jouis.
Mais j’ai très mal.
Ah mauvais, mauvais, mauvais !
Les voici qui déboulent à leur tour, arrogants et altiers : les monstres !
Je les connais tous par cœur ces PITOYABLES DÉBILES ! Leurs langues brûlantes, leurs caresses glaciales ne me terrorisent plus. Ce ne sont que de pauvres chimères qui s'ignorent : gobelins, pythons, furies, pataugeant dans un conte à dormir debout.
Je fais semblant d’acquiescer à leur sinistre terreur.
Hello, les trous-du-cul !
Entre deux rires moqueurs, je les provoque. Je danse au sommet de ma vie sur le fil de la mort. Je les toise droit dans les yeux, et je m'esclaffe : vous n’aurez pas ma peau, je vous encule tous jusqu’au dernier.
Que j’ai mal, mon Dieu !
Que j’ai mal !
Maman, papa, et toi mon frère aimé, par pitié ne jugez pas le piteux phénomène que je suis devenue. J'ai encore en moi la passion de vivre, des fleurs de beauté à offrir, je vous le jure. Je ne serai plus qu’amour et pénitence. Un monstre de pénitence !
C'est pour cela que demain, il ne faut pas que mon cœur saigne.
Oh, tu es venu toi aussi ? Tu finis toujours par arriver. Aide-moi, je t’en supplie, aide-moi. Tu as toujours été si bon avec moi.
Tu t’es foutue dans une sacrée merde, Rebecca chérie !
Oui, j’ai été très vilaine. Je suis encore si petite, si petite. Je n’arrive pas à grandir.
Écoute-moi, impératrice des idiotes !
Oui, je t’écoute, mais agis vite, je sens la sidération qui me dévore le cœur !
Si tu veux t'en sortir, contente-toi de répéter après moi...
Tout ce que tu voudras ! TOUT ! Je peux même te sucer la queue, les burnes et le cul !
Je n’ai nul besoin de ta luxure, petite salope. Ta souffrance est mon unique jouissance. Répète ceci : Maintenant, je suis prête à prier le diable et sa verge rutilante. À m'enduire les veines de son sang méphitique. À m'empaler sans fin sur sa herse mutilante. Pathétique humaine, je me sens prête aux pires accès des paludiques !
Putain, que ta voix est douce, Prince, brillante comme une aiguille !
Ne me flatte pas, pauvre raclure. Je n’ai que faire de tes éloges. Répète, je te dis...
Maintenant, je suis prête à prier le diable et sa verge rutilante. À m'enduire les veines de son sang méphitique. À m'empaler sans fin sur sa herse mutilante. Tragique humaine, je me sens prête aux pires accès des paludiques.
Et encore ceci, répète : Partout, je chanterai les proverbes de Satan comme bon me chante. Je vanterai tous les baisers/brasiers qui me déchiquettent au-dedans. J’instruirai les médiocres du feu de Thanatos comme bon me hante. En récompense, je ne veux pas que mon cœur saigne, car je ruisselle de vie au-dedans.
Oui, je comprends tout, soigner le feu par le feu ! Tu m’aspires, Prince ! Tu m'aspires. Je suis si faible. Je suis une pourriture. J'étais si mal cachée, mon Dieu, si mal cachée !
Maintenant, je vais me montrer à toi ! Je pue un peu, je te préviens. Je ne me suis pas lavé le fion depuis vingt apocalypses.
Et soudain, là dans l'horreur nocturne, je l’aperçois.
Lui, le Tentateur !
Je le vois. Sa face est terrifiante. Polymorphe, cette fois il a recouvert les traits d’une vieillarde en décomposition. Sous ses oripeaux verdâtres, il porte les cinq attributs reconnaissables entre tous : les cornes, le bouc, les sabots, les pattes velues et l’odeur pestilentielle.
IL PUE ! IL PUE VRAIMENT !
Il déroule alors au creux de mon lit un parchemin maculé de déjections où sont inscrits ses horaires en fuseau. Au bout de sa queue fourchue enroulée autour d'un pal d'acier, là, dans un crachat de fumée, sa torride tocante m'apparaît au museau. Et il me hurle, crachant sur moi son haleine méphitique :
Je te donne une heure pour recracher ta saloperie au bout de ta langue indocile. Passé cet élégant délai, je ferai de toi une corde effilochée de violoncelle, sur laquelle, pour l'éternité, je passerai l'archet, ou selon, mes couilles brûlantes ou ma faucille.
Oui, je la recrache pour toujours. Je te le jure, Prince des Ténèbres !
Es-tu certaine de vouloir signer cet affreux serment qui me fait la part belle ? N'est-ce pas moi qui ait inventé le saint malheur des accidentés de l’amour ? Es-tu certaine de vouloir humilier ton âme dans la lie des poubelles ? N'est-ce pas moi qui ait inventé le bonheur pour le foudroyer en retour ?
Oui, je le veux, Prince. Car demain, je ne veux pas, il ne faut pas que mon cœur saigne !
Jure le moi sur la tête de ce que tu as de plus cher au monde.
Je le jure sur la tête de Billy !
Alors le diable ne dit plus rien. Mais il rit à gorge déployée. D'un coup, son effroyable montre s'insinue au fond de mes yeux, et au-dedans je peux voir des couleurs de supplice qui n'existent pas encore sur la Terre.
Et puis, ces couleurs s'estompent lentement. Très lentement. Alentour, les odeurs de pourriture s’évaporent l'une après l'autre.
Peu à peu, le plafond se rapproche de moi et mes murs me reviennent.
Je suis de nouveau dans la chambre. Moi, Rebecca. Dans la chambre silencieuse. Je suis indemne. Je suis revenue indemne dans ce supportable tombeau des vivants.
Doucement, je reprends mes esprits.
Et je me souviens de toi. Et je suis bien. Simplement bien.
Il n'y a plus que toi qui compte, mon amour.
Plus que toi.
Demain, je verrai ta bonté sortir du paradis.
Demain, j’irai récupérer mon âme au vestiaire et je sauverai la tienne. Je te porterai sur mon dos jusqu'au bout du monde. Et je marcherai pour toi sans répit, à travers les déserts, les lacs, les montagnes.
- En attendant, est-ce que tu sens ma main qui caresse tendrement mon ventre ?... Réponds-moi, s'il te plaît !... Est-ce que tu entends ma voix la plus douce ?... Allons, donne un petit coup de pied dans le ventre de maman, Billy !... Juste un petit coup de pied... Pour me dire que tu m'as tout pardonné !
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