Nous avions tous entre 20 et 22 ans. Cette année-là, comme depuis plusieurs années déjà, nous partions en expédition du sud de la France jusqu’au château de Selles-sur-Cher, nous entassant à quatre dans une petite voiture avec nos tentes et nos affaires. Nous nous en allions pour le premier week-end de juin, comme chaque année, pour le meilleur festival de France : Les Geeks Faëries nous ouvraient les bras, à six cents kilomètres au-delà de l’horizon de nos maisons.
Nous étions quatre à nous engager dans l’aventure, cette année-là ; deux amis, ma sœur et moi-même. Nous avions préparé nos affaires la veille et nous étions tous rassemblés pour le grand départ dans ma petite twingo, prévu pour le lendemain matin. Nous avions entassé tout ce que nous pouvions : nos valises, nos tentes, mais aussi des déguisements d’elfes, de nains, une robe de l’époque victorienne, des épées en mousse et des armures de cuir. Tous ensemble dans la maison de mes parents, nous profitions des douces soirées de fin de printemps pour discuter de nos attentes lors de notre intrépide voyage. Pendant qu’ils préparaient les dernières tâches de notre quête, j’élaborai une liste de chansons à mettre pour les longues heures de route. Et cette immense liste, durant bien le double du trajet prévu, commençait par une Musique Capsule qui, à cette période, venait tout juste de sortir : Diggy Diggy Hole, repris par Wind Rose.
Nous étions tous et toutes des personnes bien différentes, jusque dans les goûts musicaux. Si ma sœur et moi avions des préférences assez éclectiques, pouvant facilement jongler entre divers genres, c’était moins le cas de nos deux compagnons. L’un était un amoureux de la langue française, admirant les vieilles chansons du temps que les moins de vingt ans ne pouvaient pas connaître, ainsi que, comme tout bon fan de science-fiction qui se respecte, les sons créés et gérés par des ordinateurs et des voix robotiques. L’autre était un digne métalleux à l’ancienne, amateur de hard rock jusqu’au heavy metal. Ainsi, il n’était pas si évident de nous trouver des œuvres que nous affectionnons tous fervemment. Les morceaux trop puissants et trop violents agaçaient notre puriste, là où les chansons trop françaises n’arrivaient pas à enflammer notre métalleux.
Mais Diggy Diggy Hole est différente. Au départ, une adaptation musicale d’un délire de Youtubers sur Minecraft, la reprise sérieuse par Wind Rose transmettait la force et les cris de ralliement sur un univers de fantasy qui était le but même de notre voyage. Ainsi, nous écoutions tous les quatre cette chanson et avions appris des bouts de paroles avant d’entrer dans la voiture. Ce fut donc sans surprise qu’elle fut la première d’une longue liste à résonner dans l’habitacle. « To dig and dig makes us free : Come on brothers sing with me ! »
On entendait même plus les instruments jouer. Nous chantions tous les quatre au petit matin de ce début de juin, avec force et enthousiasme. Le voyage avait commencé, nous étions partis, nous étions libres, nous étions pour le temps d’un week-end devenu des aventuriers en déroute. Sans nous soucier de la justesse, de notre accent anglais misérable, de la hauteur des notes, nous chantions. Nous réunissant en un seul sentiment de bonheur et d’indépendance purs.
« I am a dwarf and I’m digging a hole. Diggy, diggy hole, diggy, diggy hole ! » Les paroles profondément simplistes laissaient la possibilité même aux moins assurés de chanter comme les autres. C’était le but, finalement : nous étions rassemblés, par le voyage, par la petite taille de la voiture, mais surtout par nos délires et nos rêves qui faisaient de nous un véritable groupe d'aventuriers, et d’authentiques amis. Ainsi, c’est le cœur léger qu’on remit la chanson, une fois, puis encore une. Sur la durée d’un week-end, nous avions le temps d’affermir nos liens et nous sentir inséparables, attachés par des chaînes de mythril, puissantes et invisibles.
Comme chaque année, les Geeks Faëries furent une réussite. Malgré la tempête, malgré des inondations, malgré un ouragan, l’événement tenait bon. Tous rassemblés au même endroit, sans nous connaître entre visiteurs de la convention, nous avions tous l’impression d’être des amis les uns aux autres. Car c’est la force de ce festival : nous réunir sur nos goûts et sur les facettes de nos êtres les plus étranges, pour qu’ainsi, chacun trouve une place. Et quand nous repartîmes, tous ensemble, sur la route du retour, Diggy Diggy Hole résonna à nouveau dans la twingo bleue. Bien que nous étions plus épuisés, et le cœur plus lourd qu’au départ de cet aventureux voyage, nous poursuivîmes notre chant. Comme pour continuer de vivre et ne jamais oublier cet événement qui nous donnait l’occasion d’être entiers.