Le père installé sur un canapé en lin, un verre de Bordeaux à la main, a les yeux qui s’assombrissent. Sa fille s’adonne à son nouveau passe-temps favori. Depuis le confinement, elle mime chaque soir avec force détails les scènes des dessins animés qu’elle regarde en cascade sur Netflix. Dans cette drôle de période, Edgar a lâché du lest sur les écrans. Onze euros quatre-vingt dix-neuf l'abonnement. Acheter la paix sociale à ce prix-là, c'était tentant il est vrai. Et de cette manière, il pouvait continuer à produire et à toucher son salaire intégralement.
Au début, il adorait voir sa fille mimer. La voir se mettre pratiquement en transe pour essayer de lui faire deviner un truc introuvable, ça le faisait craquer. Et rapidement, les mises en scène de Loïs étaient devenues le rendez-vous incontournable de l’apéro. D’abord les casseroles au fenêtre, et puis le spectacle de sa fille. C’était génial, jusqu’à ce que ça dégénère. Comment en était-on arrivé là ? Hier, on signait les accords de Munich, et tout semblait sous contrôle. Et maintenant, le drapeau nazi flottait au-dessus de l’Opéra Garnier. Évidemment, sa fille n’avait rien d’un soldat SS. Sauf peut-être lorsqu'elle piquait une grosse colère. Même Bobbie la mainate apprivoisée n'en menait pas large quand cela arrivait. Elle, qui aimait bavarder du soir au matin dans un flot ininterrompu d’imitations de l'ex femme d'Edgar, se réfugiait alors dans un silence religieux. Après s’être resservi un verre de cet excellent Baron de Lestac, il reprit le fil des événements. Le rendez-vous journalier s’était d’abord rallongé. Quelques minutes ici et là. Et puis, c’était devenu la principale attraction des soirées. De principale on avait ensuite glissé à unique, de sorte, que les mimes étaient depuis deux ou trois semaines l’unique attraction de leurs soirées. Voilà pour les soirées se dit-il en se frottant les yeux. Mais comment avait-elle ajouté également des mimes au petit-déjeuner et puis deux autres dans la matinée, tout ça manquait de clarté pour son esprit fatigué. Elle avait du poser les questions au réveil quand il était encore à moitié endormi et lui, avait du répondre un bête "oui" sans se méfier. Mais si elle avait procédé ainsi pour le matin, comment avait-elle fait pour l’après- midi ? Comment avait-elle pu instaurer cinq sessions supplémentaires entre le déjeuner et l'apéro. ? En définitive, il n'avait eu d'autres choix que d'accepter la proposition de son patron et à présent, il travaillait à mi-temps.
Tant que l’État jouerait son rôle sur le chômage partiel, la situation serait précaire mais tenable. Pour les mimes, c'était moins sur. DIX-HUIT MIMES CHAQUE JOUR. Il était dans le dur. Si on en restait là jusqu’au onze mai, peut-être tiendrait-il, en serrant les dents. Mais si le confinement durait plus longtemps.. Ne pas penser au pire, respirer, être indulgent avec soi-même, se répétait-il comme un mantra de fortune. Le truc important c’est qu’il devait absolument réduire sa consommation d’alcool car ça lui jouait des tours. Il perdait sa concentration. Et alors, il applaudissait trop tôt ou trop tard, ou pas assez longtemps, et si elle s’en apercevait, elle reprenait le mime de zéro. Revenir au point de départ du marathon, alors qu’il était sur la ligne d’arrivée, ça l’achevait. D’autant qu’après, elle surveillait chacune de ses réactions pour s’assurer qu’il la regardait avec son entière attention. C’était mignon pourtant au début. Encore aujourd'hui, quand il atteignait un certain degré d'ivresse, il était submergé par un élan d’amour. « La prochaine fois pensait-il, il faudrait que je la filme, pour le groupe familial WhatsApp . Si je lui demande gentiment, elle me prêtera peut-être mon téléphone cette fois. Ça vaut le coup d’essayer. Courage Edgar! »
MDR
Juste une coquille :
- il repris le fil des événements : il reprit
A bientôt
"Acheter la paix social à ce prix là" --> Acheter la paix sociale à ce prix-là
Pour le moment, on ne voit pas trop où cela mène... Lisons le deuxième chapitre... J'imagine que tout rapport avec une actualité très récente n'est pas complètement fortuit...
Ça m'apprendra, tiens !
Ça nous mène déjà jusqu'au 11 mai et au-delà je pense, car chaque jour amène son lot d'interrogations, et me donne envie d'écrire.
* pouvoir éditer les commentaires seraient pratiques :-)