Le point presse va bientôt démarrer. Dehors, le printemps est bien là. À l’intérieur, la chaleur est anormalement élevée, les mouches se ruent sur les fenêtres ouvertes. L’air climatisé a été suspendu, pour éviter la diffusion des odeurs malignes qu’exhale chaque constipé. Jean Duplomb, grand ponte du ministère des affaires hygiéniques, ancien cadre exécutif de Moltonel, arrive comme chaque soir à l’heure précise indiquée aux journalistes. Les caméras se mettent à le filmer. Heureusement, le gros plan n’est pas utilisé en télévision. On verrait sinon qu’il transpire abondamment. « On dirait qu’il est gras comme une bonne andouillette » note mentalement un journaliste de Brut. Ça ne sent pas bon, pense-t-il, en contractant les fesses par réflexe. Il est dix-neuf heures quand le ministre prend la parole, d’une voix qui se veut lourde de sens :
- Mesdames et Messieurs, bonsoir. Comme chaque jour, nous ferons ensemble le point sur la crise sanitaire que notre pays traverse et je vous communiquerai le bilan journalier de la situation hygiénique en France. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite rappeler aux Français qui nous regardent, que les sacrifices qu’ils font aujourd’hui ne seront pas vains et que la situation finira par se débloquer, cette annus horribilis, mes chers compatriotes, nous la mettrons derrière nous. Le jour viendra où le papier toilette refleurira, soyez en certain, nos mains aujourd’hui spoliées retrouveront la joie de saisir des feuilles de ouate par dizaine. Le jour viendra où les rayons de nos supermarchés seront à nouveau chargés de nos rouleaux préférés. Le jour viendra où nous pourrons à nouveau choisir la couleur, le parfum, l’épaisseur, la texture et même la provenance de nos papiers hygiéniques. Le jour viendra où nous n’aurons plus à nous préoccuper du degré de remplissage de nos côlons. Le jour viendra enfin où nous pourrons nous essuyer l’anus sans penser au lendemain. Oui, nous chierons dans l’allégresse et la volupté la plus totale, je m’y engage personnellement.
Dans la salle, chacun se regarde sans trop y croire. Néanmoins, ce moment d’exaltation est fatale à une journaliste de Paris-Match qui tombe soudainement en se tenant le bas du ventre. Deux membres de la sécurité se précipitent, déversant sur elle le contenu de deux grande bombes anti-odeur de la marque Boldair. Le ministre reprend sans tarder :
- Cependant, il est de mon devoir de rappeler également aux Français l’importance du respect des règles de constipation et de l’application des gestes bouchon en vue de lutter contre la pénurie de papier toilette qui frappe notre pays. Comme le président l’a rappelé aujourd’hui en Conseil des ministres, cette guerre intestine ne sera transitoire que si chacun joue le jeu. Les réserves nationales ne doivent pas être prises pour des suppositoires, elles ne sont pas destinées à fondre. Je souhaite donc rappeler à tous les règles que chacun doit faire siennes durant cette noire période.
Premièrement : n’utiliser qu’une feuille de papier toilette par personne et par jour. Si la feuille n’a été utilisée que sur une seule face, nous vous recommandons de la laisser à la disposition du prochain usager des toilettes, qu’elles soient privées ou publiques.
Deuxièmement et c’est la mesure centrale du plan de Constipation générale : privilégier en toutes circonstances les aliments constipants pour freiner la fréquence des selles et assurer la fabrication d’étrons durs et secs qui nécessitent peu de papier : la viande rouge, le riz blanc, les pommes de terre, les pâtisseries, le coca-cola et les carottes cuites doivent être préférés à tout autre aliment. Rappelez-vous qu’un Français qui va à la selle une fois par semaine est un excellent Français, un citoyen qui défèque tous les jours est un traître à la nation. C’est pourquoi, face à la progression rapide de la pénurie, nous avons décidé dans le cadre de l’État d’urgence hygiénique de suspendre la vente des légumineuses : lentilles et pois chiche et de tous les légumes riches en fibres comme les épinards, le fenouil, le céleri, la betterave ainsi que les céréales complètes.
Je vais passer à présent au bilan comptable. Au trente-deuxième jour de la pénurie, la balance française est toujours largement déficitaire. En langage clair, nous consommons beaucoup plus de papier que nous n’en produisons. Je vous rappelle que la production nécessaire pour couvrir l’ensemble des besoins de la nation a été évalué à 1200 tonnes de par jour. Sur la journée du mardi 27 avril, la consommation totale a dépassé pour le dix-huitième jour consécutif la barre des 3000 tonnes, pour se porter à 3146 tonnes. Cependant, la consommation poursuit sa baisse. D’après les données en notre possession – principalement les informations collectées à partir des WC connectés – la consommation moyenne de chaque citoyen est en-dessous de vingt-cinq grammes par personne, contre vingt-six grammes le jour d’avant. Le déficit est néanmoins loin d’être absorbé et l’indépendance hygiénique ne sera pas atteinte avant plusieurs mois. Voilà pourquoi l’objectif de référence reste de 17 grammes de papier par jour et par personne et tant que cet objectif n’aura pas été atteint, preuve d’une consommation maitrisée, la phase de déconstipation ne saurait être envisagée. Mesdames et messieurs, c’est avec gravité que j’insiste sur ce point : n’allez aux toilettes que si c’est absolument nécessaire, nous sanctionnerons de manière ferme ceux qui contourneront les règles. Avant de clore l’information du jour, je voudrais redire aussi aux Français de ne pas encourager le marché noir qui fait le jeu des organisations criminelles. Seuls les dépôts officiels sont habilités à faire commerce du papier. Et dans cette lutte sans merci , je tiens à souligner le travail remarquable nos forces de polices qui sont en première ligne pour lutter contre ce fléau. Je me félicite de l’arrestation de dangereux trafiquants hier en Alsace, responsables du vol de deux tonnes de papiers en provenance de Chine. C’est sur cette bonne nouvelle que je terminerai l’ensemble des rouleaux a été retrouvé et reversé au stock national. Je vous donne rendez-vous demain pour un nouveau point quotidien. Mesdames, messieurs, tout ira bien, retenez-vous et tout ira bien ».
Quelques coquilles à ajouter à celles déjà relevés :
- beaucoup de plus de papier que nous n’en produisons : un "de" de trop
- l’ensemble des besoins de la nation a été évaluée : évalué
Très drôle par moments (ah, ce '"nous chierons dans l'allégresse...").
Quelques coquilles ça et là :
- le côlon dont vous parler possède un chapeau (sinon c'est quelqu'un qui va occuper un terre qui n'est pas la sienne à l'origine),
- "traître" prend aussi un chapeau,
- le Français, quand il désigne un personne, prend une majuscule.
Bon, j'ai déjà vu bien pire.
- annus horribilis (deux "r").
Toute ressemblance avec des faits réels est bien évidemment fortuite, etc., etc., etc., n'est-ce pas ?
Péter dans la soie est autorisé, attention toutefois à sa provenance. Il est important de protéger l'économie française, il convient donc de péter dans une soie de Limoges ou du Gard.