À la hâte, Anne, la préposée aux bénéficiaires de la maison de retraite, se dirigea vers l’un de ses patients.
- Monsieur Gérard, vous avez reçu une lettre.
Assis sur le fauteuil berçant près de la fenêtre, monsieur Gérard ne l’entendit pas. Il était concentré. Il regardait les enfants de l’école d’en face jouer au ballon. C’était l’un de ses passe-temps préférés, car durant les temps qui couraient, il ne pouvait pas faire grand-chose que d’être dans sa chambre ou jouer à des jeux de société avec les autres patients.
— Monsieur Gérard ? reprit-elle.
La bénéficiaire vit qu’il ne l’entendait toujours pas. Elle s’approcha donc de lui et le tapota l’épaule. Ce dernier fit un saut. Surpris, il se retourna pour tomber sur Anne. C’est alors qu’il prit l’appareil auditif qui se retrouvait sur la table de chevet. Doucement, il le porta à son oreille.
— Qu’avez-vous dit, mademoiselle ?
- Oh, déclara-t-elle. C’est pour vous.
Elle lui transmit délicatement la lettre qui lui était destinée. Gérard ne comprenait pas. C’était extrêmement rare qu’il en reçoive.
— Savez-vous de qui elle peut provenir ?
— Je n’ai strictement aucune idée. Il y a uniquement votre nom et l’adresse inscrite dessus. Regardez.
Elle prit soin de lui montrer le dessus de l’enveloppe et effectivement aucun destinateur n’était identifié. Comme c’était étrange. Habituellement, Gérard recevait uniquement les lettres de la fille de son unique fils, Samie. Pourtant elle prenait toujours soin de marquer ses informations dessus. Pourquoi pas cette fois-ci ?
- Vous avez sûrement un admirateur secret, qui sait.
Évidemment, Anne disait ça en plaisantant. Elle savait que dans les maisons de retraite, les personnes âgées qui s’y retrouvaient étaient pour la plupart, laissées à eux-mêmes, loin de leur famille. Gérard était l’une des rares personnes à encore recevoir des courriers. Même encore, cela arrivait une fois par mois.
Curieux, Gérard se dit qu’il en apprendrait plus sur la lettre une fois ouverte. Il se leva pour se diriger vers son petit bureau qui se retrouvait juste en face de la fenêtre. Il ouvrit le tiroir pour en ressortir un coupe-papier. Avec la plus grande des délicatesses, il souleva le rabat de l’enveloppe pour en découvrir le contenu. Lorsqu’il le découvrit, il eut un choc. Calmement, il se rassit sur son fauteuil berçant sans quitter l’objet des yeux. Il se mit à pleurer, doucement.
— Oh ! déclara Anne. Mais pourquoi pleurez-vous ?
— Ne vous souciez pas de cela, mademoiselle. Ce sont des pleurs de joie. Voyez-vous, cette lettre m’a rappelé ma jeunesse et…
À nouveau, il se mit à sangloter tranquillement avant de reprendre.
— Et… de ma chère Edna.
C’est alors qu’il tendit la lettre à la préposée. Cette dernière prit la lettre et comprit aussitôt la réaction de monsieur Gérard. C’était une photo de Gérard et d’Edna. Ils étaient dans la trentaine. Langoureusement, ils s’embrasaient.
Il y avait de quoi à être bouleversé. La chère madame Edna était décédée d’une crise cardiaque, il y a maintenant un an de cela.
Il n’y avait pas une journée qu’il ne pensait pas à elle. Il avait même une photo d’elle sur sa table de chevet. À chaque fois, il prenait le cadre entre ses mains et il s’endormait avec cette image rassurante de sa femme décédée. Cela lui procurait un sentiment de réconfort divin, le temps que lui à son tour la retrouve.
— Vous ne savez vraiment pas d’où provient cette lettre ? déclara-t-il cette fois-ci, réconforté.
— Non, monsieur Gérard. Mais si vous voulez, je peux faire une enquête et tenter de le découvrir ?
Avec un grand sourire, il hocha la tête.
— Parfait.
Sur ce, elle quitta la pièce, laissant ainsi monsieur Gérard en pleine réflexion.
***
C’était une journée ensoleillée, pas comme les autres. Assis sur le banc de parc, monsieur Gérard pouvait entendre les gazouillis des oiseaux qui étaient proches de la fontaine. À cette heure matinale, quelques joggeurs passaient à la va-vite sur le magnifique terrain qui entourait le parc, sinon monsieur Gérard était le seul qui s’y retrouvait.
Sur le sol il y avait plusieurs images de son passé révolu, ainsi que de son présent incertain. Il décida de se lever du banc et accosta son bâton. Délicatement, il ramassa une photo qui était non loin de lui.
C’est alors qu’il la vit. Edna. Au premier coup d’œil, il crut devenir fou. Pourtant il ne se trompait pas. C’était bien elle. Il se souvenait de la fois où il avait pris cette auto portait. Ils avaient passé la journée dans le chalet proche du lac et Edna lui avait annoncé la plus belle des nouvelles. Elle était enceinte. Pour mémoriser ce souvenir, il avait donc sorti e son appareil photo et ainsi gardé à jamais en image l’unique femme qui faisait chavirer son cœur.
Étrangement, il vit que la photo était un peu plus épaisse que ceux qu’il avait à l’origine. Donc, il la retourna pour tomber sur une carte au trésor. D’un automatisme des plus surprenant, monsieur Gérard reprit son bâton pour suivre le chemin de la carte. Il en reconnut automatiquement l’emplacement. Arriver dans la forêt, durant sa longue marche, il ne remarquait même plus les milliers de souvenirs en photo qui tombèrent du ciel et qui se retrouvaient sur le sol. Il était trop concentré sur la carte pour se laisser distraire. De manière instinctive, durant sa marche, il retournait la photo pour tomber sur le splendide portrait de la belle Edna. Aussitôt, il la retournait pour suivre le chemin de la carte. Il fut peu de temps avant que monsieur Gérard ne trouve enfin son chemin.
***
D’un bond, monsieur Gérard qui était toujours sur son fauteuil berçant se réveilla. Il ne pouvait pas croire que tout ça n’était qu’un simple rêve. Soudainement, avec la rapidité que son corps lui permettait, il se dirigera vers la photo qu’il avait reçue plus tôt durant la journée. Il la retournait pour voir ce qu’elle pouvait contenir d’autre. Il fut surpris de voir qu’il n’y avait pas de carte attachée à elle.
Cette fois-ci, il entendit des cognements derrière la porte, car il possédait toujours son appareil auditif à l’oreille. Il fut étonné de voir à nouveau Anne entrée.
— J’ai une bonne et mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que j’ai contacté votre fils et il me confirme que ce n’est ni lui ni votre petite fille qui vous a envoyé cette lettre.
Elle prit un temps d’arrêt, avant de poursuivre.
— La bonne nouvelle c’est que la photo était en fait jointe à une seconde lettre et cette fois-ci on a le destinateur. Regardez.
Tendrement, elle s’approcha de monsieur Gérard qui s’était rassis sur son fauteuil favori. Elle lui tendit la lettre. Il le prit avec méfiance avant de se rendre compte de sa provenance. Elle ne venait de nulle autre que d’Edna. À nouveau, il posa les mêmes actions qu’il avait faites lorsqu’il avait ouvert la première lettre. Enfin, il put en découvrir son contenu.
« Mon cher et tendre amour,
Si vous recevez cette lettre, c’est parce que je suis décédée et que je ne suis plus en mesure de vous le dire de vive voix : joyeux anniversaire de mariage.
Je vous aime et j’espère que cette photo vous remémorera les magnifiques moments que nous avons passés ensemble.
Où que je sois, sachez que je pense toujours à vous.
Baiser d’amour, Edna »
Quelque temps après, on lui annonça que sa défunte femme lui avait envoyé ce message avant son décès pour s’assurer qu’il le reçoive le jour de leur anniversaire de mariage. Pour monsieur Gérard, c’était le cadeau le plus inestimable qu’il avait reçu de sa chère et tendre Edna. Il avait hâte de pouvoir bientôt la rejoindre et l’embrasser langoureusement, tel que sur l’image de la photo. Elle était sa moitié, et à jamais son unique flamme.
Ah, c'est cool les textes en maison de retraite ! J'avoue avoir un petit faible pour ces derniers, les vieux personnages sont toujours les plus intéressants.
J'ai beaucoup aimé cette petite nouvelle, même si je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'on en arrive à cette fin. Avec le rêve, je trouve que ça rend les choses un peu confus et qu'on s'éloigne du thème principal du texte. En revanche, j'ai vraiment beaucoup aimé la chute avec Edna qui envoie son texte depuis le passé. C'est une excellente idée !
J'ai pas grand chose à dire sur la forme sur cette nouvelle, c'est super chouette ! J'aime beaucoup ton style d'écriture, on peut y lire des schémas qui se rejoignent, c'est rigolo.
Bisouilles !
En fait, je me suis inspirée d’une carte « Dixit » pour la rédaction de cette nouvelle ! Ça n’a pas été facile, mais ça m’avait fait penser à un rêve.
Sinon, merci beaucoup de ton commentaire ! J’apprécie. <3
Très jolie histoire, bien écrite et fluide. On s’attend un peu a la chute mais ce genre d’histoire je les trouve tellement mignonne. Pour une nouvelle la fonction est remplis ça nous fait voyager le temps d’une page.
Bravo jolie plume
j'ai du retard, mais je rattrape !
Elle est toute choute et toute douce, cette Nouvelle ! Pas forcément très originale dans le traitement mais ça n'en reste pas moins une Nouvelle de qualité, bien écrite, bien menée et qui suscite une belle émotion !
Les histoires de papy et de mamy séparés c'est toujours très émouvant je trouve ;_;
Comme Slibb, ça m'a fait penser à la douceur poignante de Là-haut *_*
Tu te focalise bien sur les pensées de Gérard, et toute ses souvenirs d'Edna. C'est très agréable, et bien écrit.
J'ai bien aimé également les piques un peu rudes (mais hélas vraies) sur la solitude des personnes en maison de retraites. Cela rend le début un peu triste, un peu amer, mais par contraste n'en fait que ressortir la beauté, l'attention, et l'amour du geste dévoilée à la fin.
Très beau récit, très humains. Merci de nous le partager
Merci beaucoup pour le retour ! <3
Je n’ai malheureusement jamais regardé ce film, mais ça doit être intéressant. merci beaucoup de ce commentaire adorable :) <3
Je suis très contente de découvrir ta plume grâce à ce défi !
C'est une nouvelle très émouvante, que tu nous livres là ! J'ai beaucoup aimé ses passages oniriques et sa chute qui sent la nostalgie et l'amour. Ta plume est agréable à lire aussi, on ne voit pas le temps passer lorsqu'on te lit :)
Juste une petite chose mais rien de bien méchant : il m'a semblé voir quelques virgules que je n'aurais pas forcément mises au milieu des phrases (par exemple dans "Il regardait les enfants de l’école d’en face, jouer au ballon."), je trouve qu'elles ont tendance à casser la cadence que tu instaures, mais c'est une affaire de goûts.
Je suis contente d'avoir pu découvrir ta plume avec cette jolie histoire, j'espère en lire plus prochainement ! Merci pour ce joli moment de lecture :)
De plus, merci beaucoup pour le commentaire constructif ! je suis contente que tu aies apprécié <3
Ohh c'est super touchant !! C'est une nouvelle toute douce et triste !
Tu as une jolie plume, c'est très agréable à lire !
Bravo pour cette petite nouvelle très émouvante <3