Douceurs Ensoleillées (Jaune)

Par Jupsy

Assise sur mon rehausseur, je regarde le paysage défiler sous mes yeux à la même vitesse que mes pensées dans ma tête. Elles vont très vite à cause des nombreuses questions que je n’arrête pas de me poser depuis que ma mère m’a fait monter dans sa voiture. Quand je lui ai demandé où on allait, elle n’a rien voulu me dire. J’ai essayé d’insister mais mon attitude ne lui a pas plu. Elle a commencé à s’énerver un peu avant de faire semblant d’être très calme pour me dire que c’était une surprise. J’ai hoché la tête en silence mais j’avais bien envie de lui poser une autre question. Maintenant, cette question n’arrête pas de me tourmenter…encore plus que cette envie de faire pipi…

 

Pour penser à autre chose, je décide de contempler le soleil à travers la vitre. Normalement, il ne faut pas mais je n’ai pas envie d’obéir pour une fois. Avant de faire cette bêtise, je tourne la tête vers ma mère pour vérifier qu’elle n’est pas en train de m’observer. Depuis qu’ils m’ont retrouvée dans la baignoire, ils n’arrêtent pas de me surveiller comme si j’étais une méchante extra-terrestre. Je ne peux rien faire sans croiser le regard de ma mère, de mon beau-père…et même de ma maîtresse à l’école. Je déteste ça mais je ne peux rien dire…les adultes ont toujours raison même quand ils ont tort. Cette règle est stupide mais il faut la respecter…c’est une question de survie.

 

« Katarina ! »

 

La voix de ma mère me fait sursauter m’obligeant à sortir de cette contemplation interdite. Mes yeux viennent chercher les siens avec une certaines appréhension. Au moment où la rencontre doit avoir lieu, les siens se sont déjà retournés vers la route. Sans perdre une seconde, je me replonge dans mon observation du soleil. J’adore ça même si tout est sombre lorsqu’on cesse de le regarder. En plus, quand on le fixe bien, les rayons disparaissent pour laisser la place à un rond blanc où un point noir tourne. Il m’hypnotise…me faisant totalement oublié mon inquiétude sur ce voyage…et mon envie de faire pipi.

 

« Katarina ! »

 

Un soupir s’échappe de mes lèvres en entendant la voix de ma mère briser cet instant magique.

 

« Si tu continues à regarder le soleil, tu vas devenir aveugle. »

 

Au lieu d’hocher la tête, je lève les yeux au ciel, regrettant aussitôt mon geste.

 

« Katarina, si jamais tu me manques encore une fois de respect, tu peux dire adieu à toutes tes barbies. »

 

Dans ma tête, je me vois lui tirer la langue…mais dans la réalité, je murmure un tout petit oui. Elle me sourit avant de se concentrer de nouveau sur sa route. Je la regarde faire sans un mot avant de me sentir un peu fatigué. Ma tête devient un peu trop lourde pour moi. Je la laisse se poser contre la vitre contemplant de nouveau le paysage. Le soleil m’éblouit un peu mais je l’oublis bien vite au moment où mes yeux se ferment laissant la fatigue m’emporter loin de mes soucis…et de cette envie de faire pipi…

 

***

 

Au milieu de nulle part, je suis allongée sur un sol dur. Mon dos ne l’aime pas du tout mais je ne peux pas lui faire plaisir. J’ai essayé de bouger mais mon corps refuse de m’obéir. Je ne peux rien faire à part attendre dans le noir. Ce dernier m’entoure mais je n’ai plus peur de lui. Avant, j’aurais fermé les yeux pour me protéger mais aujourd’hui, je suis une fille très courageuse. Plus rien ne peut m’effrayer…

 

« Katarina ? »

 

Cette voix, je la connais mais je ne me rappelle plus à qui elle appartient. Je sais juste qu’elle m’a bercée dans mon enfance comme l’aurait fait celle d'une mère…mais ce n’est pas ma maman.

 

« Papa ?! »

 

Je me lève d’un seul coup sortant de mon immobilité forcée. Mon regard part à sa recherche mais je suis totalement aveugle face à cet obscur noir. Des larmes commencent à brûler mes yeux à l’idée de le voir disparaître avant même d’avoir eu le temps de courir dans ses bras. Je ne veux pas, je dois le trouver…

 

« Papa, où es-tu ? »

 

Je fais un pas avant de me figer sur place. Quelque chose est en train de caresser ma joue. Je voudrais bouger ma main mais je n’ose pas faire le moindre geste. Encore une fois, ce n’est plus la peur qui me guide mais un autre sentiment…inconnu…

 

« Qui est là ? »

 

J’esquisse de légers mouvements de la tête à la recherche d’une réponse. Après quelques secondes sans trouver, je finis par prendre conscience du changement de décor. Le noir a disparu laissant juste quelques ombres subsister dans certains recoins de cet endroit. La lumière lui a volé sa place mais je ne vois aucun objet, aucun mur…

 

Ici, tout est vide…mais pas complètement. Devant moi, un mystérieux soleil me fait face mais sa lumière ne m’éblouit pas, elle m’apporte un peu de paix intérieure. Je me sens aussi bien qu’avant…quand mon père était encore présent à la maison.

 

« Katarina ? »

 

Sa voix, il est là, près de moi. Je m’agite un peu pour le chercher des yeux mais je ne le vois toujours pas. Pourtant je sens sa présence…il n’est pas loin, j’en suis sûre…

 

« Papa ? »

 

Comme les fois précédentes, je n’obtiens aucune réponse de sa part. Il ne semble pas m’entendre ou alors quelqu’un s’amuse à se moquer de moi…peut-être Elle. Non, ce n’est pas son genre, Elle n’est pas méchante, Elle me protège comme mon père…

 

« Ma princesse, je suis là…juste derrière toi… »

 

Le soleil…

 

Je me retourne vers lui pour le contempler sous un jour nouveau. Ses rayons s’amusent à danser autour de moi, me frôlant parfois le visage dans une douce caresse. Un sourire se dessine sur mes lèvres…

 

« Papa…mon papa… »

 

Des larmes se mettent à couler sur mon visage. Je n’ose pas y croire mais sa silhouette se dessine lentement sous mes yeux. Je voudrais m’avancer vers lui mais le souvenir d’un de mes cauchemars me cloue sur le sol. La peur est de nouveau présente. Je ne veux pas être face à un nouveau mensonge, à une nouvelle illusion dont le but est juste de me faire souffrir à travers l’image de mon père adoré.

 

Un filet de lumière vient essuyer mes larmes sur ma joue. Un autre m’entoure m’invitant doucement à avancer vers mon père. Je lui résiste un peu mais je finis par céder. Je fais un pas en avant puis un deuxième et je m’arrête brusquement. Mon regard se détourne de lui pour venir jeter un coup d’œil en arrière…

 

Elle…

 

Même si son visage n’existe pas, je crois voir l’ombre d’un sourire apparaître. Elle n’est pas là pour me protéger mais plutôt pour m’observer sans avoir à intervenir pour une fois. Sa présence me rassure totalement même si j’aurais aimé comprendre enfin qui elle est…

 

…mon ange gardien peut-être…

 

La lumière me frôle m’invitant à détacher mon regard d’Elle. Je lui obéis me retrouvant alors à quelques centimètres de mon père. Je n’arrive pas à déceler les traits de son visage mais il est heureux. Je peux sentir son regard plein d’amour posé sur mon moi. Un sourire se dessine alors sur mes lèvres…

 

Il se baisse légèrement tendant ses bras vers moi. J’hésite quelques secondes, ma méfiance est toujours là. Ce n’est pas normal…une petite fille de 7 ans n’a pas agir de la sorte…si c’était le cas, ma mère, mon beau-père me regarderaient différemment. Même s’ils ne sont pas à mes côtés, je sens leur inquiétude envahir mon esprit…

 

« Tu n’es pas réel… »

 

Je recule légèrement sentant son regard peiné se poser sur moi. Je l’ai blessé. Il me contemple en silence avant de commencer à se relever. Sans réfléchir une seconde, je chasse l’inquiétude maternelle pour courir me réfugier dans ses bras. Je ne veux pas le voir partir même s’il n’est pas réel. Je veux qu’il reste à mes côtés pour toujours…comme il me l’avait un jour promis quand je suis tombée malade…

 

« Papa… »

 

Il me serre dans ses bras, contre son cœur. Ma tête se pose sur son épaule, sa main caresse mes cheveux…comme autrefois. Il est là, je ne veux plus le quitter…j’ai tant besoin de lui et de son amour…

 

« …ne me laisse pas. »

 

Mes craintes se sont exprimées dans ce murmure. Je me sens si seule sans lui. Ma mère est peut-être là mais je n’existe plus vraiment à ses yeux. Mon beau-père ne m’adresse pas la parole sauf pour me hurler dessus quand je fais des bêtises. Personne ne s’intéresse plus à moi…sauf mon père…et Elle.

 

« Tu n’es pas folle…mon petit ange. »

 

Je me dégage légèrement, surprise d’entendre ses mots de sa bouche. Je cherche ses yeux pour lire leur expression. Au moment où je les croise enfin, des rayons de lumière viennent nous entourer brusquement. Ils essaient de pousser mon père à rejoindre le soleil mais je ne veux pas…non je ne veux pas.

 

Je resserre mon étreinte afin d’emprisonner mon papa dans mes bras. Au début, il ne cherche pas à résister, conscient de la souffrance que va provoquer cette nouvelle séparation pour moi…et pour lui. Il essaie de me rassurer en murmurant quelques mots à mon oreille mais je ne les entends pas…mon regard est braqué sur le soleil…

 

…ne me prend pas mon papa…laisse-moi s’il te plait…je vais le protéger…je serais sage…mais laisse-le rester…ou alors emmène-moi…

 

Les minutes s’écoulent lentement laissant les rayons continuer à essayer de pousser mon père à me quitter avec douceur. Ils ne me veulent aucun mal…je le sais…mais je ne peux pas m’empêcher de les détester maintenant. Ils m’ont peut-être permis de revoir mon papa mais maintenant ils viennent me le reprendre. Je ne peux pas l’accepter, je ne veux pas…

 

Mon père me repose doucement sur le sol. J’essais de me débattre mais mes efforts ne servent à rien. Il dépose un baiser sur ma joue avant de retourner vers le soleil. Je le regarde faire sans un mot avant de me mettre à hurler…

 

« Papa ! »

 

Il se fige sur place. Pendant quelques secondes, j’espère le voir revenir à moi mais non…il se contente juste de se retourner me dévisageant avec un air grave. Les rayons de lumière continuent à danser autour de lui, de moi…certains viennent frôler mon visage pour essuyer les larmes qui y coulent…

 

« Tu n’es pas folle, ma Katarina. »

 

Sans ajouter un seul mot de plus, il se retourne vers le soleil brisant mes espoirs de retrouvailles éternelles. Les larmes se mettent à inonder mon visage sans que les caresses des filaments de lumières suffisent à les faire disparaître totalement. Je me sens vide…privée d’amour…incapable d’aimer…

 

Sans bruit, Elle s’approche de moi, me recouvre de sa protection cherchant à me consoler à sa manière. Je la laisse faire sans un mot…sans comprendre son dévouement à mon égard. Sur le coup, je m’en moque totalement…au moins Elle est là…près de moi quand j’ai besoin d’être entourée. Elle comble le manque d’amour de ma mère…de mon beau-père…et de ma petite sœur…

 

La fatigue s’empare doucement de moi. Je la laisse m’envahir sans lutter contre elle. Mes yeux finissent par se fermer au moment où mon père disparaît à l’intérieur du soleil…

 

….dans ma tête…j’entend encore sa voix me répéter cette phrase…dont la signification m’échappe totalement…

 

***

 

Lorsque mes yeux s’ouvrent enfin, je rencontre ceux de ma mère. Elle est penchée sur moi, me contemplant dans mon sommeil avec un sourire légèrement triste. Je ne comprends pas son attitude mais je ne lui pose pas de questions. A 7 ans, les adultes passent leur temps à vous mentir, sous prétexte que vous n’êtes toujours pas en âge de comprendre. Pour eux, vous n’avez conscience de rien, vous ne faites pas attention aux évènements qui vous entourent…à l’injustice de la vie…mais ils se trompent. Les enfants comprennent souvent mieux qu’eux. Seulement en s’obstinant à vouloir nous protéger…ils finissent toujours par briser notre douce innocente au lieu de la préserver…

 

Ma mère détache ma ceinture afin de me permettre de sortir de la voiture. Elle ne me prend pas dans ses bras préférant me laisser sauter sur le trottoir. A peine mes pieds l’ont-ils touché que j’entends la portière claquer avec violence.

 

« Ce n’est pas une Renault…mais une Citroën…pas besoin de claquer la portière pour la fermer sauf pour la casser. »

 

Ma réplique n’a rien de drôle mais elle fait pourtant rire ma mère. Elle se permet même de m’ébouriffer les cheveux avant de laisser quelques mots s’échapper de sa bouche, sur un ton enjoué, trop rare depuis la mort de mon père.

 

« On dirait ton père…aussi matérialiste que lui. »

 

Elle esquisse un petit sourire devant mon air fier avant de me prendre la main pour me conduire vers un bâtiment tout blanc. Je la suis sans un mot cherchant un indice sur les murs histoire de savoir où l’on va. J’aperçois des plaques comme celles que l’on voit avant d’aller chez un médecin ou un dentiste…mais au moment où mes yeux tentent de les déchiffrer, ma mère ouvre la porte et me pousse à l’intérieur de l’immeuble…

 

« On va chez le médecin ? »

 

Ma mère ne répond pas tout de suite préférant courir vers l’ascenseur dont les portes s’apprêtent à se fermer. Pour aller plus vite, elle m’a prise dans ses bras de manière brusque. Pendant quelques secondes, j’ai même eu le tournis mais maintenant ça va mieux. Elle m’a enfin reposée par terre quand nous sommes entrés à l’intérieur de la cabine. Un sourire s’est même dessiné sur ses lèvres quand elle a vu mon expression un peu effarée…

 

« Ne fais pas cette tête-là, nous avons gagné la course… »

 

Je hoche la tête en silence tout en me disant que parfois les adultes sont de gros bébés.

 

« Oui, on va chez le médecin. »

 

Je lève la tête vers elle, un peu surprise de l’entendre me répondre avec autant de retard. Pendant un instant, j’ai cru que sa course lui avait fait oublier ma question. Je lui souris pour la remercier avant de m’inquiéter un peu. Pourquoi m’emmène-t-elle chez le médecin ? Je vais très bien…enfin je n’ai mal nulle part…et je n’ai pas besoin de piqûre…le médecin m’a promis qu’on se reverrait dans très très longtemps pour la prochaine…or il n’est pas très très longtemps.

 

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent enfin nous permettant de quitter cet ascenseur. Ma mère a repris ma main et m’entraîne dans un long couloir. Après une courte marche, elle finit par s’arrêter devant l’une d’elle. Elle sonne à la porte me laissant un léger répit pour déchiffrer le nom sur la plaque…

 

…pédo…pédosychiatre…pédopsychiatre…

 

…mais qu’est-ce que c’est ? Au moment où la porte s’ouvre enfin, mon sang se fige brusquement. La femme m’adresse un sourire rassurant tandis que ma mère m’invite doucement à entrer. Pendant quelques secondes je pense leur obéir pour faire plaisir quand soudain…mes lèvres s’entrouvrent pour laisser un cri s’échapper…

 

« Je ne suis pas folle ! »

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Liné
Posté le 21/06/2022
Je poursuis mon exploration !

Je commençais justement à réaliser que le père était beaucoup plus présent que je ne pensais dans les peurs et les cauchemars de la narratrice, et à me dire qu'il y avait sans doute une histoire de deuil (c'était peut-être déjà dans le premier chapitre ?). C'est posé là de manière très simple, au milieu de tous les autres "détails", comme une petite bombe subtile.

D'ailleurs, en parlant de subtilité, il y a plein de petites choses propres aux rêves qui apportent beaucoup de véracité - le fait de comprendre qu'une parole importante a été dite en rêve, par exemple, mais être incapable de se souvenir laquelle.

Le jeu des couleurs, aussi, fonctionne très bien ! Tu n'as pas besoin de faire des descriptions à rallonge ni même précises, ici on sait qu'on baigne dans le jaune.

A très vite :-)
Jupsy
Posté le 06/11/2022
Merci Liné pour ce commentaire !

Pour l'anecdote, je fais des rêves lucides que je peux modifier en général sauf quand je suis très fatiguée. Là, je subis. D'ailleurs les cauchemars, je peux les modifier mais ça empire quand j'agis de la sorte.

Je ne pense pas que je parle directement du deuil paternel, et je t'avoue que relire cette histoire après la mort de mon père, m'a fait grandement réfléchir sur mon rapport à ce dernier.

Encore merci pour ton commentaire ! <3
Alice_Lath
Posté le 31/03/2020
J'avoue que je commençais moi aussi à m'interroger sur la santé mentale de la petite huhu, parce que la pauvre choupette, avoir des visions pareilles à 7 ans, ça doit être éprouvant au quotidien pour sa vie courante. En tout cas, tu croques très bien les caractéristiques de chacun des personnages et leur environnement, en quelques phrases, on se représente le tout parfaitement, c'est vraiment super agréable!
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Merci pour ton commentaire <3
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 20/03/2020
Un peu de répit avec ce chapitre, merci ! :D
Ton histoire est très bien rythmée jusqu'ici. Tu es vraiment au top niveau côté narration et style. J'aime beaucoup les personnages avec un profil psychologique difficile si je puis dire, donc je suis très fan de ce que tu présentes ici. Merci d'avoir republié cette histoire, j'adore !
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Merci Petra, ça me fait vraiment plaisir de lire ça car je ne suis pas forcément tendre avec mon écriture. <3
Cocochoup
Posté le 16/03/2020
Ah au moins il fait moins peur ce chapitre, mais que va-t-il lui arriver ?
Je m'interroge sur l'apparition de ce papa et de "elle"
2 sortes de super anges gardiens, mais comment vont ils pouvoir l'aider ?
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Mais oui comment ? Sachant que j'avais écrit une autre partie qui proposait une interprétation. Par contre, elle n'est pas sur PA.

Merci pour ton commentaire !
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