— Je suis certaine d'avoir pris la bonne décision : je veux divorcer de ce chameau qui m'a quitté sans prévenir pour un troupeau de chèvres !
— Pour un troupeau de chèvres ? Quel mufle...
— S'il avait opté pour une horde de poissons rouges, j'aurais pu le retenir... Mais un troupeau de chèvres ! La chèvre est un animal si difficile à domestiquer, si vous saviez, maître...
— Je me doute, Madame. Je me doute...
— Au fond, je pense qu'il cherchait juste un prétexte pour me quitter. Peut-être qu'il ne me supportait plus... Ou sans doute que je l'étouffais. Vous savez, être en ménage avec une psy ne doit pas être facile au quotidien.
— Être en ménage avec un avocat n'est pas une mince affaire, croyez-moi sur parole !
— Ah bon ? Pourquoi donc ?
— On veut porter plainte pour un rien, ramener le moindre conflit au tribunal. Sans parler des longues tirades sur la différence entre le bien et le mal, le juste et l'injuste...
— Des discours assommants, si je comprends bien. Sans vouloir vous offenser...
— C'est ce qu'on me dit bien souvent, vous ne me vexez en aucun cas...
— Bref, revenons-en à mes moutons ! Mon mari et ses chèvres ! On est d'accord que je suis en droit de demander le divorce ?
— Êtes-vous sûre qu'il a bel et bien quitté le domicile conjugal ?
— Il est parti en laissant un mot, il me semble... Une lettre sur la table de la cuisine... Ou un mail... Un SMS, peut-être, je ne sais plus...
— Vous ne savez plus ?
— Quand votre mari vous quitte pour partir à l'étranger faire de l'élevage de chèvres, vous oubliez ce genre de détails.
— Je me doute... Et vous n'avez plus eu de nouvelles de lui depuis ?
— Mis à part qu'il me parle dans mon sommeil... Non, aucune nouvelle !
— Votre mari vous parle dans votre sommeil ?
— Il m'insulte dans mes rêves, il me répète sans cesse que je ne suis qu'une vile castratrice, que ma psychologie à deux francs lui tuait les neurones à petits feux et que même notre chat ne me supportait plus.
— Vous avez un chat ?
— Oui ! Est-ce important ?
— Pas vraiment, c'était juste un peu de curiosité.
— Le chat cherche à se suicider depuis qu'il m'a quittée. Je ne sais pas si ça peut justifier une demande de divorce mais je vous le dis. J'ai peur pour le chat, vous savez...
— Votre... Votre chat cherche à se suicider ?
— Il grignote des prises électriques, il fonce tête baissée sur la télévision dans l'espoir de passer à travers, il tente de s'étouffer en avalant ses moustaches, il a voulu se pendre en attachant une pelote de laine à un dossier de chaise... Je ne peux pas le surveiller constamment et je crains de constater un jour qu'il a réussi son coup...
— On ne m'enlèvera pas de l'idée que cet animal a de la suite dans les idées. Mais ce n'est pas le propos. Votre chat m'inquiète... Vous devriez consulter un psychiatre pour animaux. C'est très fréquent ! J'ai un ami qui s'est lancé dans ce business récemment. Je lui ai envoyé mon voisin dont le perroquet avait un grave trouble de la personnalité : il se prenait pour Christophe Maé tous les jours, de midi à quatorze heures. Alors, j'ai dit à mon voisin de ne pas chercher midi à quatorze heures et d'aller consulter ce psychiatre...
— Et le perroquet est guéri ?
— Je l'ignore. Ils ont déménagé la semaine qui a suivi sans dire au revoir à personne.
— Pour en revenir à mon mari et à son élevage qui me rend chèvre...
— Oui ? Autre chose à rajouter ?
— Vous pensez qu'il m'aurait menti ?
— À quel sujet ?
— Pour ses chèvres. Peut-être qu'il est parti avec une maîtresse et qu'il a trouvé ce prétexte pour m'épargner.
— Si votre mari cherchait un prétexte, croyez-moi qu'il n'aurait jamais inventé cette histoire de chèvres. Un récit pareil, ça ne peut pas s'inventer !
— Vous êtes sûr ?
— Affirmatif ! J'ai entendu tellement d'histoires que celle-là me paraît trop invraissemblable pour être fausse.
— J'ai quand même quelques doutes...
— Vous m'avez dit qu'il s'était envolé pour la Birmanie, c'est bien ça ?
— C'est exact.
— Vous avez la possibilité d'aller vérifier sur place ? Cela aiderait notre affaire...
— Vraiment ?
— Oh que oui ! Je vous rédige les papiers du divorce, vous les remettez en main propre à votre mari éleveur de chèvres birmanes et l'affaire est réglée.
— Et si je ne le retrouve pas ?
— Les papiers feront le tour de la Birmanie et sur un malentendu ils atterriront chez votre mari.
— Cette option me semble raisonnable. Après tout, la Birmanie est un petit pays, non ?
— C'est possible... Vous savez, je suis pas très doué en géographie. J'ai toujours eu un faible pour les affaires pénales, par contre. Je suis à deux doigts de m'en voir confier une ! Ma première affaire pénale ! Une querelle de voisinage qui a mal tourné à coups de découpage d'orteils à la hache. Je ne sais pas comment défendre un tel acte mais cela me semble passionnant...
— Ah ! D'accord...
— Nous sommes trois avocats en lice pour dénicher cette affaire d'après les bruits qui circulent. Je fais tout pour être l'heureux élu ! D'ailleurs, ça me fait penser que dans vingt minutes, je déjeune avec un procureur général et un juge pour m'assurer d'être dans leurs petits papiers.
— Vous avez déjà consulté un psy auparavant ?
— Non. Pourquoi ?
— Comme ça, simple curiosité...
— Je doute que cela ne soit que de la curiosité...
— Et sinon, si on en revenait à mon divorce ? On les rédige ces papiers ? Ils ne vont pas s'envoyer tout seul en Birmanie !