— Tu es vraiment capable de différencier la vérité du mensonge ?
— C'est ce que me disait le pizzaïolo psychologue chez qui m'avaient envoyé mes parents lorsque ma dilemmite s'était déclenchée...
— C'est un don incroyable... Enfin... Si c'est vrai !
— Tu en doutes, Jane ?
— Je ne doute pas de toi... Non... Mais un pizzaïolo psychologue, ça ne m'a jamais inspiré. Depuis la première fois que tu m'as parlée de lui, j'ai l'impression qu'on ne peut pas lui faire confiance... Est-ce son côté psy ? Son côté pizzaïolo ? Je ne saurai dire... Mais le mélange des deux, il faut se méfier.
— Il n'était pas bon psychologue vu que j'ai toujours ma dilemmite. Et pour ce qui est de sa pizzeria, j'ai justement entendu qu'il l'avait fermée après qu'un client ait retrouvé des ongles de pied dans sa pizza quatre fromages.
— C'est... charmant, dis donc.
— De quoi dégoûter des pizzas à vie...
— Et du fromage aussi ! Quelle horreur !
— Et donc, d'après lui, je savais dire si un client mentait ou non.
— Comment tu t'y prenais au juste ?
— Quand il me demandait si le client disait vrai ou faux, je répondais au hasard... Et j'ai visé juste à chaque fois, il faut croire.
— Et les mensonges ? C'était de gros mensonges ?
— Beaucoup d'histoires de vol de pizzas. Les clients demandaient remboursement ou un renouvellement de commande sans payer de leur poche. Au début, le patron cédait mais il y avait vite eu de l'abus. Finalement, c'était bien pratique que je serve de détecteur de mensonge.
— Quelle histoire de fous !
— Tu peux le dire, c'est là-bas que j'ai rencontré les gens les plus fous que je connaisse. On en avait même un qui se prenait pour l'incarnation de la fée Clochette !
— L'incarnation de la fée Clochette ? Mais c'est quoi cette histoire encore ?
— Il se prenait tellement pour elle qu'il s'habillait tout en vert et se promenait tout le temps avec sa baguette magique d'une main, un sac de sable de l'autre.
— Un sac de sable ?
— Sa manière à lui de distribuer du bonheur en jetant du sable sur les gens. Dans une pizzeria, ça faisait désordre...
— J'imagine bien...
— Mais un jour, j'ai compris qu'il jouait la comédie. Il n'était pas plus fée Clochette que toi ou moi.
— Ah ?
— Il avait pour plan de se faire interner.
— Mais dans quel but, Adrien ? Pourquoi voudrait-on se faire interner ?
— Il nous avait avoué vouloir rejoindre sa fiancée, coincée de force dans une camisole.
— Ah oui ! Quand même... Et il l'a retrouvée cette fiancée ?
— Il me semble que oui.
— Et il y avait d'autres fous comme celui-là ?
— Pas dans la pizzeria... Du moins, pas autant que le Monsieur Fée Clochette.
— Tu en connais d'ailleurs ?
— Dans ma famille, il y en a plein...
— Ah...
— Je ne voudrais pas t'effrayer, Jane ! On peut changer de sujet si tu veux...
— Non, non. C'est bon, tout va bien.
— On n'a pas encore parlé de nos familles respectives... Surtout parce que toi, tu ne t'en souviens pas. Mais je ne voudrais pas brûler les étapes.
— Adrien, tu ne brûles rien du tout. Je te rassure de suite !
— Donc... je disais ? Ah oui ! Ma famille est cinglée ! Commençons par mes parents qui consultent régulièrement un prêtre kinésithérapeute !
— Un prêtre kiné ? Ça existe ?
— Il paraît que la kinésithérapie est une forme d'intervention divine.
— D'accord...
— Mais je suis très perplexe. À vrai dire, je me méfie de cet homme. J'ai peur qu'il soit dans une secte et qu'il cherche à embrigader mes parents...
— Oh...
— Et ce n'est pas le pire ! Ma tante est polygame ! Aux dernières nouvelles, elle a sept maris. Un pour chaque jour de la semaine.
— La polygamie, tu es pour, toi ?
— Absolument pas ! Je ne suis l'homme d'une seule femme, Jane !
— Ta tante a donc sept maris ?
— Et mon oncle se découvre des enfants cachés tel un enfant qui retrouve un œuf de Pâques caché au fond du jardin. Mais je ne suis pas dupe à chaque fois...
— Comment ça ?
— Tout le monde sait que mon oncle a retrouvé de sa progéniture à plusieurs reprises. Et je soupçonne certaines femmes d'en profiter pour lui soutirer une pension alimentaire. Jusque là, à chaque fois qu'une femme se manifestait, j'ai su dire si elle disait vrai ou si elle l'escroquait !
— Ce don de détecteur de mensonges que tu as est vraiment fabuleux !
— C'est à la fois un don et une malédiction, comme on dit...
— Une malédiction ?
— Avec un don pareil, il est impossible de me faire des surprises. Je sens l'entourloupe à des kilomètres à la ronde !
— Je vois...
— Et un petit mensonge innocent ? Mon radar anti-mensonges s'allume à pleins tubes !
— Entre le radar et la dilemmite, ta vie doit parfois être un enfer...
— Quand les deux se déclenchent en même temps, je dois t'avouer que je préfère rester au lit. Loin des gens et de leurs mensonges ! Loin du monde extérieur et de ses dilemmes !
— Je te comprends... Un peu comme moi quand je sais qu'on va m'interroger sur mon étrange amnésie à longueur de journée.
— Oui, c'est un peu la même chose...
— Avec un radar comme le tien, tu en viens à haïr le mensonge ou tu t'en fiches ?
— Comment ça ?
— Est-ce que tu es allergique au mensonge ? Ou, est-ce qu'au contraire, vu que tu détectes le mensonge, tu t'en fiches qu'on te dise du vrai ou du faux ?
— Tant qu'à faire, je préfère qu'on me dise la vérité !
— Tu préfères ou tu l'exiges, Adrien ?
— Un peu des deux, j'imagine. Pourquoi une telle interrogation, Jane ?
— Je...
— Jane ?
— Rien... Rien... Oublie. Ce n'est rien.
— Jane ?
— C'est rien, je t'assure.
— Tu me fais peur...
— Il n'y a pas à avoir peur.
— Je sens que quelque chose ne va pas. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien de grave... enfin, je crois... je ne sais pas... Non ! Non ! Rien de grave, je t'assure !
— Dis-moi ce que c'est si ce n'est pas si grave.
— Je ne voudrais pas t'embêter avec ça... Non mais vraiment, fais comme si je n'avais rien demandé...
— Il en est hors de question ! Tu trembles, tu transpires un peu, tu rougis en même temps. Je vois bien que ça ne va pas...
— C'est que...
— Oui ?
— C'est qu'il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit et j'ai peur que ton radar ne le détecte... Quelque chose de vraiment important, qui pourrait tout changer.