01 octobre 1990
Les événements que je vais maintenant relater datent de la semaine passée.
Lorsque je vis ces algues sur ma voiture, il n'était plus possible pour moi de douter. Ce que je vivais était bien réel. Mais pourquoi étais-je le seul à les voir ?
Je décidai donc d'en parler au Professeur M., le gestionnaire de collection du musée. J'allai le voir avant de commencer le travail. Son bureau était rempli d’œuvres d'art que nous n'avions pas encore exposées. Des caisses en bois à peine ouvertes renfermaient certainement des trésors. Il y en avait dans toute la pièce. Le professeur était penché sur un masque africain datant du dixième siècle, l'observant à la loupe. Je me grattai la gorge afin de lui faire part de ma présence.
« Ah tiens ! Howard ! Que puis-je faire pour vous aider ? » me demanda-t-il en souriant. C'était un homme très apprécié au musée. Toujours prêt à répondre aux questions de ses interlocuteurs.
Je respirai un grand coup et commençai à conter mon histoire. Il m'écouta avec grande attention. Plus le temps passait, et plus ses sourcils se fronçaient. Lorsque j'eus fini de raconter mes mésaventures, il me regarda avec effroi.
« Howard, dit-il. Écoutez moi bien. Ne prenez plus jamais ce chemin. Oubliez ce que vous avez vu, n'en parlez à personne d'autre. Il existe sur Terre un Mal qui doit rester ignoré. »
Je tentai d'en savoir plus mais il me fit promettre de ne plus jamais en parler. Et de ne plus revenir par Dunnyk. J'acceptai, même si je savais d'ors et déjà que si la première promesse était facile à respecter, la seconde le serait beaucoup moins.
Ce soir-là pourtant, je rentrai par un autre chemin.
02 octobre 1990
Je laissai passer deux nouvelles nuits, essayant d'éviter l'église mystérieuse.
Les mots du professeur revenaient souvent. De quel Mal pouvait-il parler ? Avait-il déjà eu des apparitions comme moi ?
J'aurais voulu lui poser la question, mais il m'avait parlé avec un tel sérieux que je savais qu'il refuserait de me répondre. Pourtant... S'il lui était arrivé la même chose qu'à moi et qu'il avait connaissance de ce Mal, c'est bien qu'il avait été jusqu'au bout lui. S'il l'avait fait, pourquoi n'en serais-je pas capable ? Je décidai donc d'y retourner.
Cette nuit là, un vent fort s'était levé. Nous étions en automne depuis quelques jours déjà et pourtant, un grand nombre de feuilles étaient déjà tombées. Elles s'avançaient sur la route à mon passage, embarquée par la vitesse de ma voiture. Parce que je roulais vite. Très vite. J'avais hâte de dépasser Dunnyk et de revoir ce lieu mystérieux.
J'avais peur, bien sûr. La dernière fois que j'y étais, les champs s'étaient transformés en mer et d'immenses vagues s'étaient abattues sur ma voiture. Mais j'avais survécu. Et je survivrai à nouveau. Au fond de moi, j'étais persuadé que cette chapelle me testait. J'avais fui face à la forme colossale, j'avais survécu aux vagues inexplicables. Je devais donc lui prouver à nouveau que j'étais en mesure de la rejoindre. Que j'étais digne de m'en approcher.
Je dépassai rapidement Dunnyk, toujours vide à cette heure avancée de la nuit. Les deux kilomètres qui me restaient à rouler me parurent dix fois plus longs. Je ralentis, afin de guetter toute nouvelle épreuve lorsque je vis une forme humanoïde sur le bord de la route. Qui donc pouvait se trouver ici, en pleine nuit ?
Le vent soufflait fort, des feuilles tournaient autour de ma voiture. J'avais mis les feux sur plein phare, afin d'avoir une meilleur visibilité. Plus je m'avançais et mieux je voyais cette forme.
C'était un homme, dans un long imperméable. Un immense chapeau cachait son visage qui était tourné vers le sol. Des frissons me parcoururent. Cette silhouette me dérangeait. L'endroit, l'heure, sa forme... Rien n'allait. Tout cela se passa très vite mais je pris la décision de ne pas m'arrêter. Je ne voulais pas relever cette troisième épreuve. Lorsque je la dépassais, la silhouette leva doucement la tête vers moi. Son visage entier était recouvert de bandages noircis. Je criai de peur.
03 octobre 1990
Je ne dormis pas cette nuit là. Je m'enfermai à double tours, fermai exceptionnellement tous mes volets et laissai les lampes allumées dans chaque pièce. Je tremblai comme une feuille jusqu'au matin.
Lorsque la nuit sombre fit place à la lumière du jour, une idée me vint. Et si c'était le Professeur ? La chapelle m'avait envoyé une forme dessus, avait transformé des champs en mer agitée. Toutes ces apparitions me visaient directement. Or, cette fois-ci, la silhouette attendait sagement sur le bord de la route. Peut-être le Professeur voulait me tester ? Voir si je suivais mes promesses !
Fou de rage, je ne décolérai pas de toute la journée. Lorsque j'allai au travail, je fonçai directement à son bureau. Mais celui-ci était fermé. J'appris alors que le Professeur était parti le matin même pour deux semaines. Il devait aller chercher des œuvres au nord du pays. La chance était avec lui. Parce que s'il avait été encore là...
En rentrant du travail, je vis avec horreur que la route pour Dunnyk était fermée ! Des travaux étaient en cours. J'essayai de contourner les panneaux mais des ouvriers m'arrêtèrent pour m'en empêcher. Lorsque je leur demandai s'ils avaient travaillé récemment sur la nationale, ils me répondirent par la négative. La chapelle m'avait donc bien appelée. Et on m'empêchait de la rejoindre.
04 octobre 1990
Hier, j'étais de repos. Le brouillard s'était levé dehors et un froid mordant était tombé sur les environs. Je profitai de cette journée pour partir à la recherche de la chapelle.
Je garai ma voiture à Dunnyk, près de la boulangerie. J'avais essayé de traverser les champs et cela ne mena jamais à rien. Peut-être qu'en partant du village, un chemin pourrait m'y emmener.
Je me dirigeai donc vers ce qui me semblait être la bonne direction. Je remontai le col de mon manteau et frissonnait. Il faisait vraiment froid. Je mis mes mains dans les poches afin de les réchauffer. J'aurais dû prendre une écharpe et un bonnet.
Je marchai longtemps. Très longtemps. Avec ce brouillard, je ne voyais pas à plus de cinq mètres. Je suivis un petit chemin qui menait à une forêt. Si mes calculs étaient bons, je devais la longer afin d'atteindre la chapelle. Étrangement, il n'y avait pas un bruit autour de moi. Je n'entendais ni oiseaux, ni voitures de l'autre côté des champs. Plus je m'enfonçais dans la campagne, moins je voyais devant moi. Les cinq mètres se réduisirent à deux mètres. Tout était blanc autour de moi. La luminosité due au brouillard me faisait mal aux yeux. Et puis je les entendis. Ces chuchotements. De chaque côté, devant et derrière moi. Des psalmodies d'un langage venu d'ailleurs. Mais non pas d'un pays. En moi, je savais qu'ils venaient d'une autre planète, d'une autre galaxie. Ils m'entouraient et devenaient de plus en plus forts. Je ne voyais personne mais pourtant, ils étaient bien là, autour de moi. Mon cœur se mit à battre, mon souffle devint rauque. J'essayai de tenir mais rien n'y fit. Je perdis connaissance.
04 octobre 1990, suite
Je me suis réveillé dans mon lit, encore une fois. Je n'ai aucun souvenir de mon retour. Lorsque je regarde par la fenêtre, ma voiture est garée à sa place habituelle.
Je n'en peux plus de ces moments de faiblesse. Je sais que la chapelle est là, près de Dunnyk. Et qu'elle m'attend.
Je ne pars pas travailler. J'écris à la hâte car c'est décidé. Je pars la retrouver. Elle peut bien m'envoyer des vagues, des formes colossales, des chuchotements... Je tiendrai bon. Cette chapelle renferme des secrets et je les percerai à jour.
Je ne sais pas combien de temps cela me prendra mais j'y arriverai. Et je relaterai au monde ce que j'ai appris. Et on ne me prendra plus jamais pour un fou.
Je pars.
Ce journal a été retrouvé dans la chambre d'Howard, dix jours après sa disparition. J'ai appris tout à fait par hasard qu'il ne venait plus au travail et j'ai su qu'il n'avait pas respecté ses promesses. J'ai écourté mon voyage et suis rentré au plus vite. Sa voiture est garée devant chez lui, sa porte était fermée à clé. Nous l'avons défoncée avec l'aide d'un ami.
Avant que la police n'arrive, j'ai pris le soin de récupérer son journal. Voilà des années que je garde le secret sur le Mal qui hante les environs. Je ne peux me permettre d'en dire trop, mais peut-être que ce récit permettra aux lecteurs de faire attention.
J'ai évidemment pris le soin de changer le nom des villages, ainsi que celui d'Howard. Peut-être que ce dernier était votre voisin ?
Je vous prie d'être vigilant. Si une nuit, sur la route, vous découvrez quelque chose d'inhabituel près de chez vous, ne vous arrêtez pas. Passez votre chemin. Il en va de notre vie, à tous.
Très bonne nouvelle, je trouve l'exercice extrêmement périlleux.
Tu t'en sors avec brio, on s'identifie complètement au héros et on devient fou avec lui.
Et le mystère qui reste entier à la fin, bravo.
ps; Les aulx sont dans mon panier amazon, je ne manquerais pas de te faire un retour :)
Et merci pour ton achat de Voyage de Caractères !! J'attends ton retour avec impatience !