Lettre anonyme imaginaire, trouvée au fond d’un tiroir secret, au détour d’un faux dossier déposé malencontreusement sur une pile de papiers cachés par un dictionnaire de savoir-vivre.
« Te voir boire du blanc est une extase en soi. Je me rappelle le premier verre que je t’ai réellement regardé boire. La soirée avait débuté simplement, nous étions tous réunis dans un bar sans prétention, au milieu du bruit d’un jeudi soir. Rien n’aurait laissé présager ce qui allait arriver. Comme une explosion, un feu d’artifices de plaisirs combinés. Art visuel, saillie olfactive, percée auditive, tout s’est mélangé en un Tout dont la description m’est difficile.
Tu étais là, sans avoir encore commandé et je te regardais. Tes yeux m’ont paru si brillants à cet instant ! Tu savais ce que tu voulais : un verre de Viognier. Tu savais ce que tu voulais et, je ne sais pourquoi, cela m’a séduit. Tu m’as séduit par la force de caractère qui a émané de toi à cet instant précis en choisissant un verre de blanc ! D’alcooliques anonymes nous nous sommes alors présentés et peu à peu révélés. Quelle fine âme j’ai découvert alors ! Tu m’as plu. Et enivrée, ô combien désirable ! Les vapeurs de ces verres enchaînés m’ont libéré : je t’ai proposé un dernier verre. De blanc. Dans un café. Tu as accepté. En en trois baisers m’a fait chuter. Depuis lors je parcours les abysses insondables de tes charmes.
Ma fièvre ne peut en rien retomber. Lorsque je te vois, se distille un philtre à 12° qui en paraît 28°. Le nectar de nos salives m’estourbis, j’ai l’impression de flotter. Vaporeux après que tu me plonges dans les méandres de tes courbes.
Désormais je ne veux que boire avec toi. Je ne peux que boire avec toi. C’est toi ou toi. Le vin blanc n’a aucune saveur si tu n’es pas à mes côtés pour le partager. Le breuvage est fade si tu n’es pas là pour le déguster. C’est comme ne pas aimer les huîtres et se faire inviter dans un restaurant de fruits de mer qui n’a plus rien d’autre. C’est un outrage. Une ignominie. Et je ne peux plus souffrir ces œnologues qui se croient supérieurs dans leur connaissance des cépages et des terroirs, alors que la réponse est là, simple : tout verre bu avec toi est divin. Blanc. Paradoxe de la feuille de vigne car tu colores ma vie. Un arc-en-ciel je te dis ! »
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Amphithéâtres de leurs découvertes mutuelles, galeries d’instants volés à la pudeur, ils ont exploré nombre de vérandas ou autres plate-formes, tantôt public de paradis, de poulailler, tantôt princesse et prince de conte de fées postés sur leur mâchicoulis tirant de leurs désirs des flèches enflammées – ou encore sultan et sultane des mille et une nuits, camouflés derrière des moucharabiehs laissant transparaître effluves et ombres chinoises désarticulées.
De mezzanines minimes en loggia aménagées, de minces miradors en munificentes ménianes, dissimulés derrière de simples colonnes ou escamotés par de larges avancées, leurs subites montées d’adrénaline ont fait succomber même la plus résistante des jardinières ou la plus cossue des balconnières. Collés contre un accoudoir ou arc-boutés à une console, adossés à un bow-window ou enfermés dans une loge, ils ont souvent su trouver de quelle manière se recréer un espace à eux, une justesse de moments d’étreintes sans contrainte, où s’enlacer s’est révélé aussi naturel que nécessaire.
L’aphrodisiaque attraction les a d’abord conduit à apprivoiser leurs langues étrangères. Alors, tombés en extase, déboussolés sans pourtant perdre le nord, ils s’y sont caressé, mordillé, pourléché à l’idée de longuement s’embrasser. Ils ne vouaient ces instants qu’à l’assouvissement de leurs passions, débarrassés des minces oripeaux de prudence encore arrimés à leur Raison qui cédait peu à peu à l’ivresse de l’urgence. Et, alors dégagés de toute réserve, ils se dévoilaient en préliminaires enlevés.
De seins devinés en saillies irraisonnées, ils n’ont pas ménagé ces lieux, victimes consentantes, théâtres de leurs ébats. La jouissive pénombre des corbeilles, la permissive sombreur de recoins confinés, n’ont fait qu’accroître leur appétit de s’affranchir des règles absconses de la bienséance. C’est là, emportés par leur ardeur, qu’ils en sont venus aux mains et gravi le mont de Vénus, façonné des ityphalles, conquis la lune ou franchi le rubicon en d’extatiques parenthèses.
Par tous temps, sous les cieux complices, ils ont immanquablement été attirés par cet extérieur prometteur qui n’a eu de cesse de les revigorer. Car l’amour se vit aussi au grand air.