Ronds avec le doigt

Par Samjack

Le sac encore en bandoulière, son manteau bleu toujours sur les épaules, les baskets bouillonnant de sa course depuis la bouche de métro et les cheveux ébouriffés par le vent tournoyant, elle apparaît dans l’encadrement de la porte et, lançant un regard électrique, sort de ses gonds.

La vision qui se dessine, d’abord incroyable et surprenante lorsqu’elle happe à brûle-pourpoint le spectateur peu averti, n’en se veut pas moins captivante. Elle définit avec force fougue la façon dont elle forme ses récits, surtout ceux défrichant les folies des fanfarons frimeurs qui nous entourent. Elle n’a pas son pareil pour faire frissonner, rire, hurler ou blâmer nos pairs dont les bassesses sont infinies.

Elle explose en un fourmillement de postures et de gestes millimétrés dont la quintessence reste, à mes yeux, « les ronds avec le doigt ». Sans même s’en rendre compte, elle transporte la parole sous d’autres cieux et nous entraîne dans son récit imagé. Sa manière d’aborder ses péripéties est une ode à la pantomime. Elle sait nous régaler de mimiques qui fleurent bon le vécu. Elle parvient à saisir l’essence des petitesses, à épingler la médiocrité et à dénoncer les turpitudes, en de merveilleuses gestuelles auxquelles nos lèvres sont suspendues. Les arabesques formées par ses mains, ses grimaces fugaces, ses pas mesurés mais équivoques, sont autant de parfaites saltations que son public sait apprécier.

Aujourd’hui, je sais. La connaître me fait même apprécier et attendre, avec une certaine fébrilité teintée du plaisir de l’observateur toujours conquis, ces moments où l’artiste déborde du cadre et nous dépeint son impatience. Lorsqu’elle image sa vie de cette façon, elle est en un sens adorable. Lorsqu’elle franchit le cap et gratifie ses pairs de sa « tête de connasse », une partie de son charme transparaît sous le vernis de contenance qu’elle donne à sa susceptibilité.

Paradoxe étonnant ; se mettre en avant est une affliction qu’elle a du mal à ajuster. La représentation pourtant vissée au coeur, à la fois appétence, inclination et compétence, n’est pas naturelle. C’est là peut-être son plus bel atout dans ce tourbillon de virtuosités qu’elle possède sans même le savoir. Rehausser la réalité presque en n’y touchant pas, juste en la sculptant du bout de ses doigts.

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