Du bon air frais

Apparemment, c’était assez facile de faire remplacer un moteur quand on connaissait du monde. Dommage pour Félix qu’il ne connaissait personne. Et heureusement pour lui que ce n’était pas le cas de l’inconnue croisée au bar.

— Du coup, cinq cents unités, ça suffira ? demanda-t-il. C’est qu’on ne peut pas vraiment y mettre plus. Déjà, là, on a dû faire une cagnotte commune avec le reste de l’équipage et…

— Ca suffira.

Il plissa les yeux, tenta de distinguer quelque chose sous sa capuche. Mais il n’y avait rien à distinguer. Elle remonta son foulard, grogna et leur fit signe de la suivre.

— Il va aller s’occuper de changer le moteur, dit-elle en désignant le mécano. Nous, nous avons à faire.

— Comment ça, à faire ?

Félix jeta un rapide regard au capitaine qui essayait maintenant de se fondre dans un mur. Il n’était pas très porté sur l’aventure, le capitaine.

— L’accord, c’était vous me suivez et vous la fermez, grogna la femme.

— C’est juste que…

Félix hésita un peu. Il n’était pas sûr que sa demande serait bien reçue.

— Est-ce que le Cap’taine peut aller avec le mécano ? C’est qu’il n’aime pas trop qu’on touche à son Crapaud… enfin, à son vaisseau.

Le silence qui lui répondit fut très long.

— Bien, dit-elle. Mais si vous tentez de me planter, je vous couperai d’abord les oreilles et je vous les ferai manger. Puis, je m’occuperai des autres trucs qui dépassent.

Félix se racla la gorge, glissa un regard au capitaine. Puis, il hocha la tête.

֍

Kei n’aimait pas beaucoup les gens. Et ce n’était pas bien gênant en soi. Parce qu’en général, on la payait pour les éliminer, les gens. Elle ne les aimait pas, mais parfois, elle devait les supporter. Comme l’autre, là, qu’elle avait ramassé au bar.

— Je croyais que l’idée, c’était de quitter cette planète, dit-il comme ils longeaient les rues de plus en plus sombres de la ville.

Elle aurait largement préféré qu’il la suive en silence.

— Non ?

— L’idée, c’est tu la ramènes pas et tu fais ce qu’on te dit.

— Ca, ce n’était pas vraiment le marché.

Elle se tourna vers lui. Son ton poli lui tapait sérieusement sur les nerfs. Il l’observait avec curiosité, l’imbécile. Comme s’il passait un bon moment.

— J’ai une chose à faire avant de partir.

— Tuer quelqu’un ?

Bon, admettons qu’il pouvait aligner deux pensées. Elle reprit la route, il soupira et la suivit.

— Je veux juste que vous sachiez que je ne cautionne pas le meurtre.

— Dis, quelqu’un t’a demandé quelque chose ?

— Vous m’avez demandé de vous suivre. Je vous expose donc le fond de ma pensée. Je suis sûr que vous valez mieux que ça.

— T’es bien sûr de toi, tout d’un coup. Avec une langue en moins, ça sera toujours le cas ?

— Techniquement, oui. J’aurais juste un peu plus de mal à m’exprimer.

Ouais, il lui tapait bien sur les nerfs. Pendant une fraction de seconde, elle se demanda si elle ne devait pas le laisser à ses petites affaires et trouver un autre vaisseau. Et elle l’aurait sûrement fait, mais il connaissait ses plans.

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Félix se demanda s’il pouvait lui fausser compagnie. Parce que la vérité, c’était qu’il n’avait aucune envie d’assister à un bain de sang. Et il avait dans l’idée que la mercenaire, là, elle était bien portée sur l’hémoglobine qui gicle.

— Il se passerait quoi si vous ne tuiez pas votre cible ?

Un silence très éloquent lui répondit.

— Je veux dire, il y a un système de bonus-malus chez vous autres ? Vous seriez mal classée dans le tableau des mercenaires ou comment ça se passe ?

Elle s’arrêta soudain, se tourna vers lui, l’empoigna et il sentit une lame sous sa gorge.

— À quel moment j’ai donné l’impression que j’avais envie de parler ?

Il sentit le métal lui entailler la peau, mais il n’osa rien dire. À ce moment précis, il croisa pour la première fois ses yeux depuis l’ombre de sa capuche. Et ils étaient remplis de hargne, ces yeux. Elle le repoussa, il se passa une main sur la gorge, grimaça.

— Et la question se pose pas, grogna-t-elle. Puisque je vais le tuer.

Félix n’osa plus rien dire. Après tout, ce n’était pas vraiment ses affaires. Si elle voulait tuer quelqu’un, c’était à elle de décider.

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Ce nuisible, c’était la raison pour laquelle Kei travaillait toute seule. Elle n’aimait pas parler. Et elle n’aimait pas qu’on essaie de parler avec elle. Elle n’aimait pas grand-chose, à vrai dire. Sauf les olives marinées.

Elle resserra une main sur le couteau, l’autre sur le flingue. Ils entraient dans les bas-fonds de la ville. C’était un vrai coupe-gorge ici. Elle espéra tout d’un coup que quelqu’un attaque l’autre qui parlait trop. Comme ça, elle pourrait rejoindre quand même le vaisseau et hausser les épaules en disant qu’il avait eu un accident.

Mais personne n’eut cette bonne idée. Peut-être parce qu’ils ne voulaient pas trop l’approcher, elle.

Elle s’arrêta, regarda autour d’elle. Là, sur la droite. Elle apercevait tout plein de gardes qui essayaient de se faire passer pour des badauds. Sa cible était derrière cette porte.

— Je peux attendre là ?

— Non.

— Alors, franchement, sans vouloir vous offenser ou dire du mal de votre métier, mais je supporte vraiment très mal le sang. À chaque fois que j’en vois, je tourne de l’œil. C’est assez handicapant dans la vie de tous les jours, vous savez. Et là, j’ai l’impression qu’il va y en avoir beaucoup, de sang.

— Tu viens avec moi.

֍

Félix essaya de juger de la distance qui les séparait du Crapaud. C’était compliqué. Ils avaient fait bien trop de tours et de détours. Et il connaissait vraiment très mal cette ville. En plus, il n’était pas vraiment prêt à parier sur le fait qu’elle le laisserait filer si elle le voyait prendre la fuite.

Alors, il resta.

Il resta quand elle se débarrassa des gardes un par un.

Il resta quand elle l’empoigna par le col pour entrer dans la maison.

Il resta quand l’occupant des lieux beugla de surprise.

Il resta quand son sang tapissa les murs.

Alors, il se sentit vaciller, il sentit sa tête cogner contre la dalle.

Et puis, il ne sentit plus rien.