Du désordre

Elle s’ennuyait, mais ne l’avouait à personne. Elle faisait mine d’adorer sa vie, d’être entièrement satisfaite par son travail, ses perspectives. Mais elle s’ennuyait. Profondément. Constamment. Mortellement. Pour elle, tout était planifié à l’avance. De sa naissance à sa mort, il n’y avait que peu d’imprévus. Toutes les propositions du destin étaient étudiées, réfléchies et anticipées. Chacune de ses destinées était tracée minutieusement, et aucune ne comportait la moindre surprise.

Un soir, cet ennui était devenu étouffant. La sensation de n’avoir plus rien à vivre lui avait noué la gorge. Alors elle était allée chercher une solution : de l’alcool. À la place, elle était sortie du bar avec un cadavre titubant. Un paumé. Il avait amené avec lui un peu de désordre, d’impulsivité et de tendresse. Il avait déconstruit son organisation, chamboulé les propositions du destin et réduit en miettes l’ennui. Il le faisait à chaque fois. À chaque visite. À chaque seconde qu’il passait avec elle.
Puis, en partant, il remportait avec lui son désordre et ses incertitudes. Elle remettait tout en place. Laissait sa minutie repositionner les bibelots. Et attendait patiemment le retour du désordre.