Emma

Notes de l’auteur : Voici le dernier chapitre de la série de posts de 6 jours. A partir de maintenant, je posterai le mercredi et le samedi à 20h
Bonne lecture !

EMMA 

 

 — Magalie, il se passe quoi avec Soraya ? demandé-je, inquiète.

 

 — Pourquoi ? Il y a un problème ?

 

 Je la regarde d’un air suspicieux. Elle essaie de me faire croire qu’elle n’est pas au courant mais ici, le personnel est toujours au courant de tout.

 

 — Elle est dans la chambre, elle ne veut voir personne. Elle ne parle pas.

 

 — Merci de m’avoir prévenu, Emma. Je vais aller la voir. Peter et Camille t’attendent au réfectoire. Tu devrais y aller.

 

 Je quitte le bureau des infirmières et me dirige vers le réfectoire. Depuis une semaine, je me suis bien acclimatée ici et j’ai même des amis, qui sont plus que de simples camarades. Nous sommes inséparables désormais.

 

 — Alors, Emma, Soraya n’est pas avec toi ? demande Camille, qui mange désormais sans la surveillance d’une infirmière.

 

 — Je crois qu’elle ne se sent pas très bien. J’ai préféré la laisser tranquille.

 

 Nous nous regardons chacun notre tour, de la même façon dont j’ai regardé Magalie.

 

 — Si je suis la journée de Soraya, c’est à dire son rendez-vous imprévu et non volontaire en urgence avec la psychologue, la présence d’une personne qui semble être son frère lors de ce rendez-vous et le fait qu’on ne l’a pas vu depuis le rendez-vous, je dirais qu’il y a 81% de chances pour qu’on lui est annoncée une mauvaise nouvelle. Et c’est en comptant la marge d’erreur, lance Camille.

 

 Nous regardons Camille, qui nous sort ces estimations de sa tête, probablement grâce à des calculs complexes. Je dois avouer que nous avons encore des difficultés avec son intelligence et son besoin de voir des mathématiques partout, à chaque instant.

 

 — Camille a raison sur un point, intervient Peter, nous ne l’avons pas vu après ce rendez-vous. Tu crois que nous devrions aller la voir ?

 

 — Vous connaissez mieux Soraya que moi, je suis arrivée il y a une semaine alors que vous êtes là depuis plus longtemps et que vous la côtoyer depuis un moment.

 

— Tu sais, on la voyait que durant les repas, quasiment, rétorque Peter. Elle passait son temps dans sa chambre et quand on essayait de lui parler, elle ne parlait pas. On le la connait pas plus que ça, affirme Peter.

 

 Nous nous regardons, un peu perdu par ce que nous devons faire ou ne pas faire.

 

 — Bon, j’irai la voir après le repas. J’essaierai de la divertir car elle a vraiment l’air d’aller mal. Pendant ce temps, essayez de savoir ce qu’il se passe auprès des infirmières. Magalie est forcément au courant, affirmé-je.

 

 — J’ai mon rendez-vous avec Martins dans 2h17. Je pourrais essayer d’en savoir plus, nous indique Camille.

 

 Nous acquiesçons, décidé à aider Soraya et à savoir ce qu’il se passe. Nous terminons notre crème au chocolat puis les garçons se dirigent vers la salle TV, tandis que moi, je rejoins ma chambre. Dans le couloir, je me fais interpellée par Magalie.

 

 — Emma. Anna t’attends dans la salle de classe.

 

 — Désolée Magalie, mais j’ai d’autres choses plus urgentes à faire que d’apprendre des trucs qui ne me serviront pas.

 

 — Si tu n’y vas pas, le Docteur Martins va être obligée de te punir. Tu n’y a pas été une fois depuis ton arrivée. Tu comptes aller voir Soraya, c’est ça ?

 

 Je la regarde à deux reprise.

 

 — Ouais, articulée-je exagérément.

 

 — Elle a besoin d’être seule aujourd’hui. Tu la verras plus tard. Allez, Anna t’attends.

 

 Soudain, un gros bruit retentit dans le couloir. Magalie se met à courir. Je décide de quitter le couloir, mais pas pour aller en cours. Je vais rejoindre les garçons.

 

 — Alors, comment va t-elle ? demande Peter, en toute bienveillance.

 

 — Magalie m’a empêchée d’aller la voir. Elle m’a dit d’aller avec Anna pour travailler mais j’ai pas envie. Je m’inquiète vraiment pour elle. Je ne les jamais vu comme ça.

 

 Nous continuons de discuter pendant près d’une heure avant que Camille ne parte à son rendez-vous. Peter décide d’aller se reposer un peu. Depuis sa crise, ils ont changé son traitement et il est épuisé. Je me retrouve donc seule. Je décide de retenter ma chance auprès de Soraya.

 

 Je me colle contre les murs, marche rapidement mais discrètement dans les couloirs à la façon d’une espionne. Une fois arrivée devant la porte de ma chambre, je toque et entre avant même d’avoir attendu une réponse. Contrairement à ce matin, les rideaux sont entre ouvert. J’attrape une pochette de mon armoire avant de m’assoir sur mon lit, face à elle.

 

 — Je sais que c’est un jour compliqué pour toi. Pour me remonter le moral, je chante ou je joue de la guitare. Tu veux que je chante une chanson ? J’en ai tout un tas dans la pochette. Choisis en une.

 

 Elle s’assois difficilement. J’aperçois alors ces yeux rouges boursoufflés, des cernes beaucoup plus marquées que d’habitude et des traces de larmes sur ces joues. Elle ouvre la grosse pochette et sors toutes les feuilles. Son regard se pose sur l’une d’elle qu’elle me tend, son prononcer un mot. Elle s’arrête sur une chanson de l'un de mes artiste favoris. Je commence à chanter alors qu’elle me fixe.

 

 — Ma mère me chantait souvent une berceuse typique de chez moi. Je crois que tout les enfants de Russie la connaisse.

 

 Elle prend une grande inspiration et commence à chanter.

 

 

“ Doucement s'endort la terre 

Dans le soir tombant 

Ferme vite tes paupières 

Dors (mon tout) petit enfant 

 

Sur ton lit la lune pose 

Ses rayons d'argent 

Quand s'apaisent gens et choses 

Dors (mon tout) petit enfant 

 

Dors en paix près de ta mère 

Fais des rêves bleus 

Au matin dans la lumière 

Tu t'élanceras joyeux”  

 

 Les larmes coulent le long de ces joues mais elle continue de fredonner l’air. Elle me fait de la peine. Alors je me lève et l’enlace, aussi fort que ma mère lors de ma première tentative de suicide.

 

 — Je ne peux pas croire qu’ils soient morts, Emma, murmure t-elle. C’est gentil d’être passée me voir mais j’ai envie d’être seule.

 

 Je lève la tête et la fixe droit dans les yeux. Jene m'attendais pas à ça. Je comprends mieux son comportement et une sorte de culpabilité m'envahis. Je la serre dans mes bras, aussi fort que ma mère lors de ma première tentative de suicide.

 

 — Je serais toujours là pour toi. Ainsi que Peter et Camille. On ne t’abandonne pas. C’est une épreuve mais je sais que tu peux la surmonter. On sera sûrement dans l’espace détente si tu nous cherches.

 

 Je range mes partitions dans la pochette, que je glisse dans l’armoire. Je ressors de la chambre, en lui balançant un baiser avec mes mains. Alors que je dirige vers la chambre de Peter, qui est à l’opposé de la mienne, une voix ferme me stoppe net.

 

 — Mademoiselle Emma, je peux savoir ou tu étais. On te cherche partout depuis tout à l’heure. Vient avec moi, le Docteur Martins veut te voir.

 

 Je me retourne et aperçois Marie, une infirmière peu commode, qui à l’air vraiment très en colère.

 

 — Je te jure que je n’ai rien fais. Et j’ai même pas loupé de rendez-vous.

 

 — Tu me suis, fin de l’histoire.

 

 Je la regarde droit dans les yeux. Je pense qu’il vaut mieux que je la suive sinon elle va projeter des rayons laser avec ces yeux d’ici quelques secondes. Je fourre les mains dans mes poches, pour pouvoir enfoncer mes ongles dans la paume de la main, tout en suivant Marie vers le bureau de la psychologue.

 

 Plus on s’approche du bureau, plus je plante mes ongles dans ma peau déjà meurtrie. En temps normal, j’aurais pris quelque chose de tranchant et je me serais coupé la peau avec, pour calmer toutes les pensées et les inquiétudes qui s’immiscent dans ma tête. La porte de son bureau est ouverte. Marie toque puis je rentre dans le bureau, refermant la porte derrière moi.  — Tu es là, dit-elle, l’air sévère. Tu sais pourquoi je voulais te voir ?

 

 Je sens le sang couler dans le long de mes doigts.

 

 — Non, pas vraiment. J’ai assistée à tous les rendez-vous, tous les ateliers. Je n’ai pas enfreins de règles non plus.

 

 — Et les cours avec Anna, alors ? Tu y apprends des choses intéressantes ?

 

 Je la regarde droit dans les yeux, de façon à ce qu’elle ne baisse pas la tête vers la poche de mon jogging.

 

 — Emma, reprend-elle, d'une voix plus calme, tu ne peux pas continuer à rater des cours comme ça. L’objectif de ce séjour, c’est de t’aider à gérer ton anxiété tout en gardant un lien avec tes obligations à l’extérieur, dont aller à l’école. Pourquoi tu ne veux pas y aller ?

 

 Je continue de m’enfoncer les ongles dans la peau. Je crois que j’arrête de respirer pendant un instant. Le Docteur Martins baisse les yeux vers ma poche, et aperçoit la tâche de sang. Elle ouvre la porte et intercepte Magalie, puis elle s’accroupit à côté de moi, m’agrippe doucement le poignet et fais sortir ma main pleine de sang de ma poche. A ce moment précis, je n’ai plus la sensation d’exister. J’ai l’impression d’être au cinéma, à regarder un film dramatique. J’entends des voix qui me sont familières mais sans parvenir à fixer mon attention dessus. Je ne suis plus moi même. Mon corps me semble lourd, très lourd. La même sensation que lorsque vous vous levez alors que vous n’en avait aucune envie. Je sens mon corps vacillée, perdant l'équilibre.

 

 — Emma, comment tu te sens ?

 

 J'aperçois Magalie, agenouillée à ma gauche, en train de panser ma main blessée. La psychologue est à moitié assise sur son bureau, face à moi. J’ai l’impression de me réveiller d’un rêve, ou d’un cauchemar. Je les regarde tour à tour, puis me rappelle la question que le Docteur Martins vient de me poser.

 

 — Ça va, je vais bien, murmuré-je, sentant mon corps se balancer.

 

 Alors que mes yeux se ferment petit à petit, je sens que l’on m’attrape et me déplace. J’ai envie de me débattre, mais je suis incapable de bouger. Je perds connaissance.

 

 — Emma, s’il te plaît, serre moi la main si tu m’entends.

 

 Cette voix me semble de plus en plus proche. Je réunis alors le peu d’énergie qu’il me reste pour lui serrer la main. J’ouvre péniblement les yeux.

 

 — Emma, tu es avec Magalie et le Docteur Martins. Tu peux nous dire quel jour nous sommes.

 

 Après quelques secondes, je reprends complètement conscience.

 

 — Il s’est passé quoi ? demandé-je.

 

 — Ne t’inquiète pas, tu as fais un petit malaise mais rien de grave, m’annonce Magalie. J’ai appelée les urgences et ils vont te faire quelques examens. Je t’accompagne.

 

 Je n’ai pas envie d’aller aux urgences. Alors que je tente de me relever, la psychologue pose sa main sur mon épaule pour me forcer à rester allongée. Un médecin arrive, une grosse trousse de secours à la main. Il commence à me parler. C’est un homme d’une quarantaine d’années. Il est moche et a une haleine assez désagréable. Il parle fort et articule beaucoup, comme s’il me prenait pour une demeurée. Je suis pas débile, non plus ! On m’installe dans le brancard et je n’arrête pas de râler.

 

 — Je vous jure, Docteur, que je vais bien. Je n’ai rien à faire aux urgences.

 

 Alors que je me dirige vers le couloir, 2 garçons courent vers le brancard ou je suis allongée. Le brancard s’arrête.

 

 — Qu’est ce que tu as, Emma ? me demande Peter, inquiet.

 

 — Rien, ne t’inquiètes pas. J’ai juste fais un petit malaise et il m’oblige à aller aux urgences mais je serais sûrement de retour ce soir. Essayez d’aller voir Soraya, elle a besoin de réconfort.

 

 Je quitte le bâtiment et me dirige en ambulance vers les urgences, malgré le fait que c'est à une centaine de mètres, Magalie à mes côtés. Le seul avantage, c’est que je suis hors des murs blancs du service. On passe par l’accueil des urgences, où Magalie discute de façon amical avec la secrétaire.

 

 On finit par m’installer dans un box du service. L’infirmière se pose sur une chaise et essaie de me faire la conversation en attendant l’arrivée du médecin. Je dois avouer que les urgences sont loin d’être mon lieu favori. Le peu que j’y suis allée, c’est quand j’ai tentée de me suicider. Je ne suis pas le genre d’enfant casse cou qui se casse un bras ou une jambe. Les lumières d’urgences rouges qui ne cessent de s’allumer, les allées et venues des patients, des infirmières et des médecins, les machines qui font du bruit. Tout ça m’angoisse. Magalie déplace sa chaise face à moi et m’attrape les mains.

 

 — Emma, je sais que tu ne veux pas être là. Tu veux me dire ce qui te dérange.

 

 Je plonge mon regard apeurée dans les siens.

 

— Normalement, tous les enfants passent aux urgences pour un bras cassé ou pour avoir avalé un jouet. Mais pas moi. Le peu de fois que je suis venu, c’est quand j’ai fais mes 3 tentatives de suicides et je suis inconsciente la plupart du temps. Je n’avais jamais remarquée qu’il y avait autant d’agitation.

 

 Je sens qu’elle sert tendrement mes mains.

 

 — Emma, tu connais l’exercice du 5, 4, 3, 2,1 ?

 

 Je fronce les sourcils.

 

 — Visiblement, pas. C’est quelque chose que je fais quand je me sens stressée. L’objectif, c’est que tu me dises 5 choses que tu peux voir, 4 choses que tu peux toucher, 3 choses que tu peux entendre, 2 choses que tu peux sentir et 1 chose que tu peux goûter. Tu veux qu’on essaie ? Je commence ?

 

 Je hoche la tête.

 

 — Très bien. Je vois le gel hydro-alcoolique posé sur le rebord du lavabo, la peinture pour enfant sur le mur, un vieux brancard abimé, des blouses pliées dans un placard et une jeune fille angoissée. A ton tour.

 

 Je souris. Je prends une profonde inspiration pour calmer la panique qui me gagne.

 

 — Ok, très bien. Je vois une chaise rouge rembourrée et déchirée, des énigmes pour enfant au plafond, tes sabots personnalisées par ta fille, des tas de médicaments dans une armoire fermée à clés et une infirmière qui n’a aucun style mais qui est sympa.

 

 Un sourire se dessine sur nos deux visages. Nous continuons l’exercice et plus on s’approche de la fin, plus je suis détendue. Ma respiration se calme, ainsi que mes pensées. Alors que nous rions car l’exercice est légèrement partie en sucette, un médecin avec un infirmier fait irruption dans la chambre.

 

 — Toujours aussi complice avec vos patients, à ce que je vois, Magalie, annonce le docteur, avec un grand sourire. Je commençais à croire que vous nous aviez oublié.

 

 Surprise, je la regarde et fais une grimace. Elle se lève et se met entre le médecin et moi.

 

 — Emma, je te présente de Docteur Emmanuel. Ça a été l’un des nombreux médecins avec qui j’ai travaillée avant de me spécialiser en pédo psychiatrie. Tu es tombée sur le meilleur médecin du service, tu as de la chance.

 

 — C’est sensé me rassurer ? demandé-je, le stress revenant. Si j’ai le droit au meilleur médecin, c’est que mon cas est sérieux.

 

 — Ne t’inquiètes pas, je suis sûre que ce n’est rien. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? me demande t-il.

 

 Je regarde Magalie avec un air de désespoir, la suppliant de répondre.

 

 — Elle était en rendez-vous avec le Docteur Martins quand elle a fait un malaise. Elle ne voulait pas venir mais le Docteur Martins a insisté.

 

 — D’accord. Tu te sens comment depuis ? me questionne t-il, alors qu’il prend la place de Magalie sur la vieille chaise rouge.

 

 — Ça va, je vais bien. C’est ce que je me tues à leur dire.

 

 Il jette un œil à mes bras découverts et à ma main.

 

 — A quand remonte ta dernière scarification ? Et ta blessure à la main ?

 

 Je regarde Magalie, démunie. Elle intervient.

 

 — Elle ne s’est pas coupée depuis au moins 1 semaine et elle s’est faites cette blessure avant d’arriver aux urgences mais on s’en est occupé.

 

 Le médecin note des choses dans mon dossier, déjà bien gros.

 

 — Bien. William, ton infirmier, va te faire une prise de sang et tu pourras repartir avec Magalie. Je vous transmettrais directement les résultats et je la ferai revenir si quelque chose ne va pas. Vous les aurez sûrement d’ici demain, dit-il, à destination de Magalie.

 

 

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