En quête de Jacob

   La mort avait frappé deux fois en deux jours à cause de moi, et je n’en éprouvais pas le moindre remord.

   C’était comme si j’avais abdiqué face à la créature qui me contrôlait, abandonné l’idée d’être un jour à nouveau maître de ce corps qui fut le mien. Voir mais ne pouvoir agir. J’aurais trouvé cela presque douloureux, mais j’en étais incapable. Je n’étais plus qu’une marionnette dont le marionnettiste était vicieux et cruel.

   Toujours caché, j’avais patienté jusqu’au petit matin. Je savais que si j’étais sorti de là avant j’aurais risqué de me faire remarquer.

   Je devais admettre cependant que l’idée de forcer la bête à se dévoiler à ses bourreaux m’avait effleuré l’esprit. Continuer à la laisser faire à sa guise, tuer encore et encore, ou bien la mettre hors d’état de nuire quitte à en mourir. J’étais condamné de toute façon et avoir retrouvé le souvenir de celui que j’étais avant tout ça, mon nom, tout me paraissait bien futile.

   Erwin ! Erwin !

   Je l’entendais encore et toujours, il était assourdissant. Je comprenais ce qu’il signifiait pour moi, mais même s’il avait été dénué de sens, cela aurait été la même chose. Toutefois, ce détail ne me dérangea pas outre mesure. À vrai dire plus rien ne pouvait me gêner désormais. La seule chose qui me perturba un peu fut que la voix dans ma tête n’était pas la mienne.

   J’avais un vague souvenir de ma voix mais j’étais presque sûr qu’elle ne ressemblait pas à ça. Celle-là était plus rocailleuse. J’avais l’impression d’entendre un écho, comme venant des profondeurs d’une grotte.

   Mais à qui appartenait cette voix ? Elle me semblait familière et pourtant je n’arrivais pas à lui mettre un nom dessus. Et cette bête qui ne me laissait pas le loisir de penser de manière convenable. Elle était sans cesse affamée et ne pensait qu’à manger. Mon esprit était donc tourné vers ça.

   Je dus faire un effort considérable afin de reprendre ne serait-ce qu’un peu le contrôle de mes réflexions. Ce ne fut pas chose facile, mais j’y parvins tout de même. Je pus faire le vide dans ma tête afin de ne me concentrer que sur la voix. Je sentais que j’avais un nom sur le bout du museau.

   Je ne sus comment mais je réussis un bref instant à fermer les yeux et à focaliser mon attention.

   Ce fut à ce moment que je fus replongé dans cette pièce, derrière ce bureau. Je le vis, assis dans le même vieux fauteuil que la dernière fois. Il avait toujours ce regard grave. Il articula quelques mots que je ne pus saisir. La seule chose que je pus tiré de ce brouhaha incohérent fut : Erwin !

   Je compris alors que la voix qui résonnait dans ma tête était celle de cet individu. Mes yeux le fixèrent pendant un court instant avant de porter leur attention sur une pile de lettres posées pêle-mêle sur le bureau. Je pus y lire le nom de Jacob sur certaines d’entre elles. Je ne mis pas longtemps avant de faire le lien avec celui qui était assis dans le fauteuil me faisant face.

   Je n’aurais su dire pourquoi, mais je savais que nous nous connaissions depuis un long moment déjà, et cela bien avant même que j’eusse atteint l’âge adulte.

   Ce Jacob devait donc mieux me connaître que je ne me connaissais moi-même, surtout en ces temps de troubles. Il fallait donc que je le trouvasse. Mais comment faire ?... Alors que je n’étais plus qu’une bête assoiffée de sang. Le dévorerais-je ? Prendrait-il peur en me voyant ? Comment lui faire comprendre que cette chose hideuse fût jadis son ami.

   Je fus pris d’un doute. Cependant, je décidai à ne pas me laisser ronger par une quelconque hésitation et me mis en quête de ce Jacob.

   Mais où chercher ? Je me rappelais vaguement cette vision que j’avais eu. Ce lieu familier et pourtant si lointain dans ma mémoire. En quel lieu avais-je donc vécu ? La lande me ramenait à ces terres d’Ireland. Ou alors cela aurait bien pu être les Highlands écossais. Qui en aurait fait la différence s’il avait été dans ma situation ?

   Toutefois mon cœur pencha pour l’Ireland. Je sortis de mes réflexions, ainsi que de ma cachette et, prudent, je continuai mon chemin un peu plus au nord.

    À la sortie de la ville, je pus lire sur un panneau les lettres K.E.L.L.S. Je ne sus ce qu’elles voulaient dire mais je conclus qu’il devait s’agir d’une sorte de nom, peut-être était-ce la ville dans laquelle je me trouvais. Ne sachant pas quoi faire de cette information, je n’y prêtai pas attention et poursuivis mon chemin, en tentant de maintenir une vive allure et en évitant un maximum villes et villages ; surtout en plein jour, là où je risquais de me faire repérer.

    J’avais faim, tellement faim. Mais j’interdis à la bête de se repaître d’humains. Je me rabattais donc sur quelques petits rongeurs et aussi quelques oiseaux. Il m’est même arrivé de m’en prendre à un mouton en passant près d’une ferme. Je fus si rapide que nul ne remarqua quoique ce fût.

   Et ainsi je continuais d’avancer encore et toujours, ne faisant une halte pour me reposer que lorsque j’étais sûr et certain que personne ne pourrait me voir.

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
nolween_eawy
Posté le 18/12/2022
Ah bah voilà ce chapitre réponds à mon questionnement précédent. Que ressent t-il quand il commet ses massacres car son humanité reste présente même si brumeuse. C'est intéressant cette quête de son identité, car on avance comme lui pas à pas et notre curiosité augmente au fil des pages. J'ai trouvé cocasse le prénom Jacob, car je visualise un loup-garou pour cette bête (cf le film Twilight), mais je pense pas qu'il s'agisse de cela vu la description du début.
Vous lisez