Traqué

La ville devait déjà s’être réveillée depuis le temps. Je craignais alors que l’on eût découvert les cadavres que j’avais laissé sur mon passage. Il fallait dire que cacher les corps ne m’avait pas traversé l’esprit, moi qui m’était perdu dans le feu de l’action et aveuglé par la rage et la frustration de l’instant.

   Je fus d’ailleurs surpris de ne pas être encore traqué et abattu comme le vulgaire animal que j’étais. Cela faisait un moment que j’avais quitté les bois. Je ne savais pas où aller par la suite, mais je continuais ma route sans jamais regarder en arrière.

   Erwin. Ce nom faisait écho en moi à chacun de mes pas. Je m’habituais à lui, me réappropriais cette identité que j’avais cru perdue à jamais.

   Je m’arrêtai un instant, osai un regard en arrière en direction de la ville. Elle me sembla calme vu d’ici, étrangement silencieuse, inquiétante.

   J’aurais pensé déjà entendre la panique dans la voix des gens, les cris d’effroi. Puis la terreur se serait mue petit à petit en une furie vengeresse. Je m’attendais à apercevoir un torrent déchaîné d’hommes, de femmes et pourquoi pas d’enfants l’arme à la main, vociférant, jurant et exigeant le sang de celui qui avait pris la vie de l’un des leurs.

   Je savais qu’il aurait mieux valu que je m’enfuisse, mais j’étais incapable de bouger. Je n’aurais su dire pourquoi, mes capacités de raisonnement ayant été fortement amoindries.

   Désirais-je au fond de moi accepter un destin que je pensais inévitable, ou alors que je ne voulais éviter ? Était-ce de la curiosité ? Voulais-je vraiment connaître la tournure que les évènements allaient prendre ? Ou étais-je fasciné de quelque façon que ce fût ?

   Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête. Malgré le fait que j’étais un monstre, je savais encore saisir le sens de tout ça, reconnaissais ces mots qui retentissaient en mon esprit. Quelque chose en moi suppliait d’y faire quelque chose, de réagir. Cependant, tout ce que je pouvais faire c’était entendre.

   Puis, soudain, je fus tiré hors de ma torpeur par les hurlements agités qui venaient de naître en ville. Un flot de protestations avait maintenant inondé la cité et elle s’était noyée dans l’indignation et la colère.

   Mes membres se mirent alors à se mettre en mouvement, poussés par l’instinct de survie, et je filai aussi vite que je pus. J’avais dévalé la colline sur laquelle je m’étais tenu, et me retrouvais désormais en plein champs.

   Il n’y avait nulle part où j’aurais pu me cacher. On pouvait me voir même sur des kilomètres. Je devais me dépêcher si je ne voulais pas être découvert.

   Le désir de jeter un œil en arrière me prenait mais je résistais. Je voulais savoir si on m’avait déjà repéré. Je pouvais les entendre. La rage et la douleur me poursuivaient. Toutefois, je n’aurais pu en jauger la distance tant mon ouïe était fort développée. Ils pouvaient être tout proche comme ils pouvaient être encore loin.

   Je courais et courais. J’allais si vite que l’on aurait pu croire que je planais par moments. Je ne ressentais pas vraiment la peur. Cette notion m’étant devenue étrangère, comme je vous l’avais déjà évoqué auparavant. Ma fuite était tout simplement mécanique. Du moins je ne n’éprouvais pas la peur comme un humain l’aurait fait. Elle avait déclenché mes reflexes primaires, mais c’était tout. J’avais conscience du danger si j’étais resté sur place, mais cela ne n’entraîna aucune angoisse.

   Puis, j’aperçus à l’horizon une autre ville se dessinait au fur et à mesure que je m’en approchais. Elle était certes plus petite que l’autre, mais je pouvais aisément m’y cacher. J’accélérai. J’atteignis les premières maisons. Je me précipitai dans une petite ruelle et me cachai derrière des poubelles, laissées là comme pour répondre à mon salut.

   J’attendis. Le temps me sembla alors vraiment long, presque comme une éternité. J’étais pris d’une pulsion dévorante. Elle me rongeait de l’intérieur, c’en était insupportable. Elle voulait affronter ce monde en colère, s’en repaître avec voracité.  Je me sentais traqué mais je voulais aussi chasser.

   Les cris se rapprochaient de plus en plus. Enfin, je perçus les premiers pas fouler le sol de la ville. Je pouvais en ressentir les vibrations à chacune de leurs foulées. Ils étaient là. Résister à la tentation me paraissait insurmontable. L’appel du sang me hurlait aux oreilles, il en était devenu assourdissant. Ne pas craquer. Ce n’était pas chose aisée, vu que seul une impulsion bestiale guidait chacun de mes gestes. La bête pouvait décider à tout moment d’attaquer et je n’en avais pas le contrôle. Mes yeux fixaient en direction de la ruelle adjacente sans se détourner. Je salivai à la vue des premiers passants.

   Dès que tout le monde fut passé, je me risquai à sortir de ma cachette. J’aperçus alors quelques personnes tourner dans une autre rue. Mon estomac se mit à grogner. L’appétit prit encore le dessus sur le bon sens. Je me précipitai dans leur direction sans un bruit.

   La mort frappa à nouveau. Elle frappa avec une telle vitesse. Puis elle s’évanouit en silence. Personne n’en saurait rien. Jusqu’à ce qu’on découvrît l’horreur. Je disparus, laissant les autres trop occupés à  leur traque pour avoir remarqué quoique ce fût.

 

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nolween_eawy
Posté le 16/12/2022
Mais que ressent -il quand il tue? Il y semble contraint par la faim qui le terrasse et ne lui permets que cette acte primaire, voire primitif. Il regrette, culpabilise? C'est assez flou. Pourtant il garde son humanité et ses souvenirs qui reviennent peu à peu. Donc cela devrait créer conflit avec cette bête en lui. A voir aux prochains chapitres.
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