Entre 2

Notes de l’auteur : Nouvelle

Elle ne savait pas si cela allait fonctionner. La machine serait-elle opérationnelle ? Elle souffla. Des années de travail pour découvrir la face cachée de l’univers… et de l’humanité. Des années de travail pour créer une machine qui permettra de sauver le monde, de le découvrir, de le simplifier, de le transformer… tout ce travail reposait sur cette simple machine. La moindre erreur pouvait faire tout basculer.

  • Isabelle.

 Elle sortit de ses pensées et se retourna pour se retrouver face à son collègue de laboratoire qui n’était autre que son meilleur ami, Mark.

  • La distorsion de l’espace est fin prête. Tout le système informatique quantique est prêt pour calculer l’inertie du trou noir et sa densité d’énergie.
  • Le champ de gravitation ? demanda-t-elle.
  • Il est prêt aussi. Le réacteur nucléaire marche.
  • Nous pouvons donc passer à l’étape suivante.

La machine était aussi grande que le laboratoire. Des lasers étaient placés partout sur les murs visant au centre de la pièce un petit cube en verre dans lequel se trouvait une simple borne positive. Des détecteurs se trouvaient sur la borne, et partout dans la pièce.  Tout le système était lié à un ordinateur quantique, qui au moment venu analyserait les données plus vite que la lumière. Derrière Isabelle se trouvait un petit escalier permettant d’aller vers d’autres ordinateurs et autour d’eux se trouvaient des vitres incassables. On pouvait ainsi regarder toute l’expérience.

Le principe du fonctionnement de la machine était simple. Les rayons laser fonceraient sur la borne positive pendant quelques secondes, engendrant un champ électromagnétique très puissant. Les atomes d’hydrogène se trouvant dans le cube en verre fusionneraient de plus en plus vite. En dessous de la machine en verre se trouvait le réacteur nucléaire, qui permettrait d’accélérer le processus de réaction nucléaire. Une minuscule étoile commencerait à se créer. Sa masse augmentera alors de plus en plus vite sans que son volume prenne de l’ampleur. L’étoile avalera alors les rayons et dégagera beaucoup de lumière ; le soleil, qui aura une masse trop importante et ne pourra plus faire de réaction nucléaire s’effondrera sur lui-même sous l’effet d’une trop grande gravitation car le noyau aura une densité trop grande. Il y aura création du trou noir. Ensuite, l’ordinateur analysera tout pendant quelques centièmes de seconde. Là, la fonction du réacteur nucléaire changera. Elle essayera de chauffer le trou noir jusqu’à qu’il s’évapore.

Isabelle et Mark étaient prêts, angoissés et excités à la fois. Protégés de leurs lunettes anti-rayonnement, ils devaient appuyer sur le bouton bleu. Un seul geste, et toute l’histoire sera marquée par la découverte de nouvelles mesures sur les trous noirs. Mark regarda Isabelle. Elle hocha la tête et il appuya. Immédiatement, les rayons laser foncèrent sur la borne. Instantanément, Isabelle se pencha sur les ordinateurs. Ils affichaient en trois dimensions la création de l’étoile. Le champ électromagnétique était bien supérieur à la normale. Parfait. Les lasers arrêtèrent leur travail. L’étoile venait d’être générée. Elle leva la tête et ce qu’elle vit la stupéfia.

L’étoile était parfaite. À cause de ses lunettes, elle ne pouvait pas bien identifier sa couleur. Mark enregistra le flux de données sur une clé USB par précautions. Le soleil commençait à devenir de plus en plus petit. Il était en train de s’effondrer sur lui-même. La création du trou noir commençait. Soudain, Mark plissa les yeux. Une matière inconnue commençait à s’échapper. C’était parfaitement impossible, car il ne s’agissait pas de rayons gamma !  La vitre commençait à se déformer. La force de gravitation était bien supérieure à celle qu’ils avaient imaginé. Le trou noir commençait à déformer la vitre qui l’emprisonnait. Soudain celle-ci se sépara du sol et entra dans le trou noir puis disparût. Les murs se mirent à trembler et à se fissurer les lasers se désintégraient par la déformation de l’espace-temps, puis étaient attirés dans le trou noir.

  • Il faut couper le système ! hurla Mark.

Isabelle était tétanisée. Cette œuvre, c’était toute sa vie. Elle savait qu’elle n’avait pas fait d’erreur, c’était impossible. Mark la secoua violemment pour qu’elle reprenne ses esprits. Prise dans un élan de survie, elle déconnecta chaque câble. Mais le trou noir continuait sa rotation, avalant tout ce qui se trouvait autour de lui. Soudain, une sorte de nuage gris, voire blanc, prit forme.

  • Il faut activer le réacteur nucléaire dans sa deuxième fonction. C’est notre seule chance, hurla Mark.

Alors qu’il se préparait à appuyer sur l’interrupteur, plus aucun bruit ne se fit entendre, le calme après la tempête. Isabelle était debout sans réaction comme hypnotisée par ce qu’elle voyait. Devant elle se dressait une matière inconnue qui flottait au-dessus du sol. On aurait dit un fantôme. Le cœur d’Isabelle battait de plus en plus vite. C'était impossible, une matière aussi complexe n’existait pas. Elle approcha sa main pour la toucher mais la traversa, une agréable sensation de chaleur la parcourut.

  • Peut-être s’agit-il de neutrino, expliqua Mark.
  • Impossible, les neutrinos seraient tout de suite avalés, ou se seraient dispersés partout dans l’univers.
  • Alors quoi ?
  • Une distorsion de l’espace-temps… ou plutôt à un trou de vers. Le trou noir aurait ressorti la matière d’un autre trou noir.
  • Tu veux dire que nous aurions créé une porte de transfert entre notre système solaire et une autre partie de l’univers.
  • Non pas une autre partie de l’univers, mais un autre univers.

Mark la regarda, abasourdi. Isabelle en était sûre. C’est la seule explication rationnelle qui expliquerait l’apparition d’un hypothétique fantôme.

  • Dois-je vous aider ?

Mark sauta de frayeur, Isabelle recula d’un pas. Le spectre avait pris forme humaine, un bel homme par ailleurs, ce qui n’était pas pour déplaire à Isabelle.

       -Puis-je vous aider ?

       -  Oui, non, je ne sais pas… déclara Isabelle tremblotante, captivée par ce qui se trouvait devant-elle.

 

L’énorme surprise passée, ils se conduisirent comme tous scientifiques ; ils le martelèrent de question. Il s’agissait donc bien d’un fantôme. Il s’appelait John Veralt, astrophysicien du CERN. Il était mort il y a cinq ans à trente ans, en 2042. Les deux physiciens passèrent alors des jours à essayer de comprendre le plus secrètement possible la composition de sa matière. Ils comprirent alors qu’il s’agissait avant d’une onde énergétique variante. Ils comprirent qu’elle était dépendante d’un réseau électrique : le cerveau. Une fois le cerveau mort, l’onde énergétique se transcrit en matière plus petit que les quarks. Il s’agissait de particule de Dirac, c'est-à-dire de particule ne pouvant pas avoir d’antiparticule. Cette matière était très énergique et aussi petite qu’un neutrino possédant une énergie électrique variant entre le positif et le négatif. La particule éjectait donc parfois de nombreux gluons et photons, ce qui expliquait le fait que l’être humain puisse avoir des oublis et des souvenirs.  Les deux physiciens conclurent que cette matière inconnue s’agissait de l’âme. Mark décida d’appeler ces particules stigma noté Ϛ.

Isabelle et Mark discutaient souvent avec le fantôme. Ils débattaient sur l’équivalence masse-énergie, sur le fait que la découverte de l’âme pourrait permettre de mieux découvrir l’univers. Isabelle était heureuse. Cette découverte scientifique est l’exploit de toute une vie. Elle était aussi particulièrement attirée par ce fantôme. Sa voix était sûre, sérieuse, délicieuse… Elle buvait chaque parole, tout l'attirait et en même temps elle ne comprenait pas comment elle pouvait avoir de tels sentiments. Elle savait qu’elle ressentait quelque chose de puissant, d’indescriptible, une attirance pour cet homme. Comme si que sans lui, une partie d’elle disparaîtrait. Elle en avait presque peur.

Nuit et jours, ils travaillaient tous les trois sur la particule stigma. Plus les jours passaient, plus elle sentait son cœur se remplir de bonheur. Elle n’avait jamais eu de telles sensations. Toutes les aventures qu’elle avait vécues était banal, faut-il encore appeler cela aventure… Elle n’avait jamais vraiment eu en elle la sensation d’avoir une relation sérieuse avec quelqu’un. Elle discutait souvent avec John. Ils profitaient que Mark ne soit pas là pour se jeter des petits regards complices. D’ailleurs, leur dernière conversation avait porté sur l’interaction entre la particule stigma et les autres. Ils avaient alors découvert que ses interactions pouvaient s’agir de forme de télépathie. Tout se basait simplement sur l’intrication quantique et l’électromagnétisme. C’était toutes ces découvertes qui la rendaient heureuse, mais encore plus lorsque celles-ci se faisaient en sa présence.

John était attiré par la beauté d’Isabelle, son charme naturel, son esprit critique. Il commençait même à avoir une attirance particulière ; sa présence lui était devenue essentielle. Il sentait que pour elle c’était réciproque mais que cet amour naissant entre deux ne pouvait pas marcher, c’était irréel car il savait qu’il devait repartir plutôt qu’il le pensait, alors la rendre malheureuse lui était insupportable.

Il prit alors une grande décision. Il contacta discrètement Mark et lui avoua un détail très important sur la constitution de sa matière, tout en lui demandant ne rien dire à Isabelle. Il ne voulait pas qu’elle soit le cœur brisé, en tout cas pas maintenant, il voulait lui dire le moment venu.

Les trois scientifiques étaient dans le laboratoire autour d’une table, Isabelle et John l’un en face de l’autre, discutant des dernières découvertes sur la particule Stigma. Alors qu’ils étaient en train de réfléchir sur le problème des effets des interactions gravitationnelles sur la particule, Isabelle cassa le silence :

  • Tu te sens bien John.
  • Pourquoi me demandes-tu cela ?
  • Ton visage paraît plus lisse et tes cils semblent moins épais... mais que se passe-t-il ? dis-moi, elle fit mine de lui saisir les mains. J’ai un mauvais pressentiment

Mark détourna les yeux. John se renfrogna. Isabelle était inquiète face à leurs comportements. Lorsqu’elle vit la tête de John remonter jusqu’à fixer ses yeux, elle comprit que la réponse n’allait pas lui plaire.

  • Chère Isabelle, je dois vous avouer une chose.

 Elle espérait, au plus profond de son cœur, que rien de grave ne se passait. Elle aimait tendrement cet homme, et elle ne pourrait pas accepter le fait qu’elle n’est rien détectée de suspect sur les effets des particules sur John.

  • Vous êtes une femme comme aucune autre. Je crains, au fond de moi, être tombé amoureux de vous.

Isabelle était stupéfaite, et heureuse à la fois. Certes, John lui avait avoué son amour pour elle, mais en quoi cela peut être une chose à craindre. Elle se dit alors que derrière une déclaration aussi solennelle, il devait se cacher une chose bien plus terrible. Une inquiétude sourde sonda la jeune femme, imprégnant celle-ci d’un sentiment de peur.

  • Ma crainte ne porte pas vraiment sur notre relation, nous savons tous les deux qu’elle est impossible. Je vous en supplie ne me regardez pas comme ça car je ne pourrais jamais finir ce que j’ai à vous dire. Comme vous le savez, je suis composé d’une matière que nous avons appelée stigma. Sauf que ces particules sont dépendantes d’une chose pour vivre : de l’électromagnétisme. Or notre âme la consomme. Et comme vous le savez, si on ne « mange » pas, on meurt.

Isabelle se leva et vacilla. Il l’aida à la relever lentement, des larmes coulant sur les joues de celle-ci.

  • Vous devez me renvoyer dans mon monde. Vous devez vivre dans le vôtre. Profitez de la vie, profitez du bonheur qui s’ouvre devant vous. Je vous promets que votre amour sera à toujours inscrit en moi.

Isabelle acquiesça, et enleva d’un geste de la main une larme qui coulait.

 

Ils commencèrent à retravailler. Il leur faudrait juste une semaine pour tout régler et mettre en marche la machine qui permettra à John de revenir vers son paradis. Mark avait pris soin d’analyser tout son corps et de l’enregistrer au sein d’un ordinateur pour ne pas perdre les données.

John était à la fois heureux et malheureux : heureux d’avoir pu servir la science, et malheureux de ne pas pouvoir être pendant toute sa vie avec cette femme pleine de courage et de tendresse.

La semaine passa, et tous les préparatifs furent finis. Mark regarda partout si aucun élément n’avait été oublié. Isabelle était dans la salle de contrôle, devant les ordinateurs quantiques, les bras croisés. Elle regardait le bouton bleu. Elle frissonnait à l’idée d’appuyer. Elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais revoir John une seule fois dans sa vie. Cette idée la révulsait. Mark entra dans la salle de contrôle, s’avança alors vers Isabelle, et lui prit ses mains.

  • Ne t’inquiète pas, tout se passera bien, il vivra heureux, et tu vivras heureuse.

Il savait pertinemment que ces paroles ne la réconforteraient pas. Il eut seulement comme réponse un sourire de remerciement. Mark tenta de la dissuader d’appuyer sur le bouton mais Isabelle insista pour le faire, parce qu’elle voulait montrer que, malgré leur séparation, elle ressentira toujours de l’amour pour lui, que rien ne pourra détruire cette relation. Elle appuya.

Les rayons laser foncèrent sur la borne. La force électromagnétique monta d’une flèche, et l’étoile commença à se créer. Isabelle en tremblait. Plus l’étoile grossissait, plus son cœur battait vite, et plus le temps se raccourcirait entre elle et John. L’étoile continuait à tripler de densité. Elle était parfaite, elle tournoyait sur elle-même. Quelques secondes passèrent et l'autre étape suivit. John regardait alternativement l'étoile et l'amour de sa vie. Elle devina, à ses gestes, que la tristesse commençait à s’emparer de lui. Soudain, les vitres se courbèrent et craquèrent sous l’effet de la gravité. L’étoile était devenue un trou noir. C’était la fin. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. John sentait qu’il allait bientôt être aspiré, il ressentait un vide en lui. Il se retourna et regarda Isabelle. Il devait inscrire dans son esprit le visage de cette femme, car il ne la reverra plus jamais, du moins, jusqu’à sa mort.

  • NON !

Mark sursauta, surpris. C’était Isabelle qui avait hurlé… Mark sauta et essaya de l’empêcher de rejoindre John, mais en vain. 

Isabelle pleurait. Le pas était franchi, elle ne pouvait revenir en arrière. Elle avait compris quelle était sa destinée. Ses larmes n’étaient plus des larmes de désespoir, mais d’une joie infinie. Elle sourit.

  • Je t’aime.

Et c’est sur ces dernières paroles qu’Isabelle et John furent avalés dans le trou noir, les transportant dans un monde plein de bonheur et d’amour.

Fin

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