Épilogue

Dans la ville d’Eklara, la capitale de l’Ekellar, la place principale était bondée. On avait installé des guirlandes d’or et de fleurs partout où l'on pouvait. Il fallait dire que pendant la dernière décennie, le pays avait prospéré – et l’on savait grâce à qui.

Une salve d’applaudissements salua l’arrivée du prince Alain. Après la reine Louise, il était peut-être le personnage le plus populaire du royaume. À seulement vingt-cinq ans, l’ambassadeur des Îles civilisées avait conclu moult accords politiques et commerciaux qui s’étaient avérés extrêmement prolifiques pour les quatre nations insulaires qui se partageaient la Mer Douce. Il était également à l'origine de l'amélioration considérable du système de santé de son pays, notamment du système psychiatrique qui avait été bien trop longtemps négligé. Les gens étaient en meilleure santé, l'économie florissait, difficile de continuer à rejeter tous les problèmes du monde sur le dos des magiciens.

Alain avait toujours aimé les tenues chic, mais pour l’occasion, il s’était surpassé. Son costume blanc et bleu brodé d’or était impeccable, ses cheveux blonds bouclaient plus que jamais sur sa tête, et il avait même utilisé du fond de teint pour corriger les quelques cicatrices qui étaient venues s’ajouter à ses traits. Un prince charmant tout droit sorti d'un livre de contes.

De l’autre côté de la place, Esther de la Mer de Cristal n’était pas en reste. Entre sa robe blanche et mauve garnie de fils d’argent et la liste des combats qu’elle avait menés dans divers pays pour les droits des jeunes magiciennes, entre ses fidèles tresses enrubannées et ses pouvoirs magiques hors du commun, la petite-fille du dieu de la foudre faisait l’objet de l’admiration de la moitié de la population des Îles civilisées. L’autre moitié la haïssait purement et simplement, mais comme l’avait dit l’intéressée, une insulte venant de la part de ces gens-là était un compliment pour elle.

Les deux jeunes gens marchèrent vers l’autel érigé au milieu de la place. Aux côtés d’Esther, l’éminente Maître Ana, cette jeteuse-de-sorts de l’île de Touseque qui avait à elle seule inventé quatorze philtres différents – en plus d’avoir considérablement amélioré le principe de l’émetteur à ondes de Korff en lui adjoignant une réserve de potion magique. Et accompagnant Alain, le mystérieux Messire Esteban, l’explorateur qui avait pour la première fois gravi la plus haute montagne de la Crête du Dragon, et qui envisageait à présent de se rendre au bout du monde pour descendre et voir ce qu’il y avait en dessous. Pour parachever le tableau, la petite Lili, fille adoptive d’Esteban et de son fiancé, lançait des pétales de fleurs à tous les vents.

Alain et Esther échangèrent leurs vœux, sous la bénédiction du Sieur Léo, le prêtre rescapé de la banquise qui s’était installé aux Îles une dizaine d’années plus tôt. La reine Louise en personne, assistée par son fils le prince héritier Nicolas, enregistra l’union dans les registres d’état civil. Et enfin, selon la formule traditionnelle, les deux nouveaux époux eurent l’autorisation officielle de s’embrasser.

 

Toute la journée ne fut que réjouissances et festivités. Alain et Esther dansèrent successivement la valse, le passepieds des montagnes, le menuet féerique et le quadrille oriental. Entre deux danses, on pouvait profiter du buffet : les poissons préparés par les plus grands chefs faisaient le délice d’Alain, et Esther se régalait au rayon pâtisseries. Esteban préférait les fruits frais, tandis qu’Ana ne se serait pour rien au monde arrêtée de danser. La Maître en magie enchaînait les cavaliers et les cavalières, du prince Nicolas Rausle à l’ambassadrice des fées en passant par l’apiculteur d’Eklara. Les mauvaises langues pouvaient bien la traiter de femme légère, elle dansait avec qui elle voulait. De toute façon les rageux trouvaient toujours quelque chose à critiquer : le couple était hybride, les tresses d’Esther n’étaient pas assez distinguées, Alain faisait de l’ombre à son frère le prince héritier… Alors quitte à critiquer, autant que ce soit Ana plutôt que les jeunes mariés.

Il y eut des spectacles d’acrobates, des concours de tir à la corde, des feux d’artifices et des défilés de chats. Il y eut des couronnes de fleurs, des coupes d’élixir de framboises et des cornets de glace au chocolat. Et lorsque le soleil se décida enfin à quitter la partie, une myriade de petites lanternes s’allumèrent pour permettre à chacun de profiter encore de la fête.

 

Mais les deux époux, eux, étaient épuisés. Ils avaient été au centre de l’attention pendant toute la journée, et à présent, ils n’aspiraient qu’à un peu de repos, un peu d’intimité. Esther regarda avec découragement la foule surexcitée qui se tenait entre eux et leur chambre.

« Dire qu’il va falloir traverser tout ça…

- Ou pas. On peut dormir dehors, ce ne sera pas la première fois. Je connais un coin très sympathique dans le bois d’Eklara. »

Esther sourit.

« Chiche ! »

Ils se prirent la main et, comme des enfants, faussèrent compagnie aux loyaux sujets de la reine Louise XIV. Hum… De la mousse bien fraîche…

 

Caché derrière un arbre, Esteban jeta un œil à son baromètre. Et échangea un regard amusé avec Ana.

« Ils vont avoir une belle surprise ! Regarde : il va pleuvoir.

- Oh, ils survivront ! Esther est capable de sécher n’importe quoi en deux secondes. Et puis, ce n’est pas la première fois qu’on se fait mouiller. Tu te souviens de l’averse diluvienne dans la forêt d’Ix-et-Lut ?

- Ne m’en parle pas ! J’étais malade comme un chien à cause du xyzuwon jzhoïur. Mais c’était encore pire après l’invocation de beau temps ratée du Grand Manitou des Montagnes ! Tout le village était inondé ! »

Les deux compères pouffèrent de rire. Puis Esteban entraîna son amie loin des deux tourtereaux ; ils n’allaient pas les espionner plus longtemps, tout de même ! Le chevalier dont les cheveux changeaient de couleur rejoignit plutôt sa propre famille : son fiancé Salim et leur fille Lili. Dès que la petite les vit arriver, elle délaissa ses chouquettes et se précipita sur Ana :

« Tantine, tantine, tu peux faire des étincelles dans le lait de lune ? S’il te plaaaaaît ! »

La magicienne leva les yeux au ciel. Cette enfant était un vrai numéro de cirque ! Vivement qu’elle soit en âge de quitter les Îles ; explorer les terres sauvages lui ferait le plus grand bien. Et à Esteban et Salim aussi ; les deux chevaliers n’étaient pas faits pour la vie citadine. Quelle serait leur prochaine destination ? Dans les pays de l’ouest, avec Esther, pour soutenir les jeunes filles dotées de pouvoirs magiques ? Dans l’Empire des Fées, en tant que membres de l’ambassade d’Alain ? Dans la vaste forêt d’Eimer, les « bois-peinture » comme ils les appelaient au début, pour accompagner Ana dans une mission pour comprendre le fonctionnement de la magie ? Ou bien tous seuls, dans les hautes montagnes, les vastes forêts ou les océans tumultueux, cherchant sans cesse à repousser les limites du monde connu ? Une seule chose était sûre : l’aventure était loin d’être terminée…

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Azurys
Posté le 26/01/2024
Un "tout est bien qui finit bien" en règle ! Je ne m'attendais pas à ce que tu occultes la suite des événements de la caverne de cristal, mais finalement ce n'est pas si gênant. J'imagine qu'on peut considérer que Esteban détruisant l'amulette incarne le rideau de la pièce.

Il est agréable de voir l'évolution des quatre camarades. On leur souhaite tout le bien du monde pour une éventuelle suite.
Esther et Alain ensemble, on s'y attendait et on l'attendait depuis le début, c'est assez satisfaisant de carrément assister à leur mariage.

Seul reproche à cette fin (et il est très personnel) : je trouve ça dommage que les quatre protagonistes finissent comblés de bonheur et visiblement sans cicatrices de leur périple. Après, c'est peut-être que j'apprécie trop meurtir mes personnages... Au moins ils ont l'air d'en garder de joyeux souvenirs, les mêmes que partageront tes lecteurs.

C'était une belle aventure à suivre accompagnée de ta plume amusante et fluide. Peut-être un peu précipitée sur la fin, et parfois lente au milieu, mais je suis sûr qu'avec un peu plus de corps dans cette œuvre tu pourrais trouver un bon équilibre. Bravo pour cette histoire et merci encore pour cette merveilleuse lecture ! J'espère retrouver Esther, Esteban, Alain et Ana dans de nouvelles histoires à l'avenir (avec leurs enfants ? qui sait).
blairelle
Posté le 26/01/2024
Merci beaucoup !
Je ne compte pas écrire l'histoire de leurs enfants, si je reviens dans le même univers ce sera à des époques différentes, des endroits différents et d'autres personnages.
En soi leur aventure ne les a pas particulièrement traumatisés par rapport à ce qu'ils ont pu vivre par le passé, et ils ont été bien aidés à leur retour aux Îles, mais du coup je vais peut-être le préciser.
Tant mieux que tu aimes le couple Alain-Esther :-)
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