L’automne avait commencé. Clave se rappelait que c’était sa saison préférée. Petite, elle adorait bondir dans les tas de feuilles mortes et orangées entassées sur le bord des chemins. Souvent, sa sœur la suivait à contre-cœur, mais finissait toujours par rire avec elle.
À chaque souvenir qui lui revenait, Ruby lui manquait un peu plus. Clave avait l’impression que la dague qu’elle avait jadis enfoncée dans le ventre de la reine se plantait chaque jour dans son cœur. Sa mémoire ressurgissait chaque jour pour lui rappeler ce qu’elle avait fait, comme un cadeau empoisonné. Mais au moins, elle avait trouvé d’autres personnes à qui elle tenait autant qu’à sa sœur.
Elle sortit du bureau où elle venait de finir ce qu’elle devait faire pour la journée. Elle attrapa sa longue écharpe de laine beige pâle que Catherine lui avait tricotée et l’enroula autour de son cou déjà couvert par le col de sa robe. Elle était assez frileuse, mais elle adorait malgré tout l’ambiance de l’automne. Se blottir avec Noah devant la cheminée du grand salon était tout ce qu’elle voulait.
Elle sortit dans les jardins du château, déjà vidés de toutes leurs couleurs, sauf du orange. Les arbres perdaient peu à peu leur feuilles, prêts à laisser place à l’hiver. Cela faisait quatre ans maintenant. Clave avait grandi, mûri, appris, fait des erreurs. Tout n’était pas fini.
“On ne règle jamais totalement ses problèmes, n’est-ce pas ?” songea-t-elle.
Elle passa devant une petite cour entourée de bancs, puis devant un petit bosquet dissimulant un petit chemin de terre, qu’elle se mit à suivre, laissant ses pas la guider. Elle savait ce qu’il y avait au bout de ce chemin : des souvenirs, dont certains douloureux. Elle finit par parvenir devant deux pierres maladroitement posées sur l’herbe humide. Devant l’une d’elles scintillait un pendentif bleu en forme de larme. Clave s’agenouilla simplement face à la tombe et ferma les yeux. Elle resta un petit moment ainsi, les mains jointes comme si elle priait. Elle venait souvent par ici, à l’abri du feuillage. Cela l’apaisait et lui permettait d’oublier, bien que pour un instant, tous ses soucis.
Puis, en passant la main dans sa poche, elle se rappela qu’elle avait quelque chose de très important à faire. Aujourd’hui, c’était l’anniversaire de Noah. Elle se redressa, puis pressa le pas pour revenir à l’intérieur du château. Elle chercha à travers les couloirs, mais il n’était pas là.
Elle croisa ensuite Catherine et Griselda dans la bibliothèque. Elles se tenaient la main, lisant un livre ensemble. Clave ne voulait pas les déranger, mais elle devait trouver Noah, donc elle leur demanda si elles ne l’avaient pas vu, mais elles secouèrent la tête en même temps.
Alors une intuition souffla à la jeune femme de le chercher sur le balcon circulaire du donjon, l’endroit le plus haut du château. Et, effectivement, il était là, accoudé à la balustrade, admirant le paysage. Cette scène rappela à Clave les nombreuses discussions qu’ils avaient eues sur le toit du manoir de Griselda, il y a longtemps. Elle sourit, puis s’approcha de son petit ami et l’enlaça par-derrière.
Il se retourna, surpris, et sourit en la reconnaissant, puis lui prit la main.
– Je savais que je te trouverais ici, dit Clave.
– Tu me connais trop bien, répondit Noah.
– J’ai eu le temps, après tout. Tu ne m’as jamais quittée, et je t’en suis très reconnaissante.
Le jeune homme fronça les sourcils, étonné qu’elle soit aussi sentimentale. Elle avait sûrement quelque chose sur le cœur.
– Et c’est pour ça que je voulais te faire une demande très importante.
Elle se tourna vers lui, puis recula d’un pas et, gracieusement, posa le genou au sol, puis sortit l’écrin contenant la bague qu’elle préparait depuis longtemps. Noah écarquilla les yeux.
– Noah… Tu as toujours été avec moi, et tu m’as toujours soutenue et aidée. Je t’aime et je veux être à tes côtés aussi longtemps que possible. Me feras-tu l’honneur de m’épouser ?
Il tomba à genoux devant Clave, la main plaquée devant la bouche.
– Oh mon dieu…, souffla-t-il. C’est le plus beau cadeau d’anniversaire que j’aie jamais pu avoir.
Les larmes d’émotion mouillant ses yeux les rendaient encore plus brillants. Clave le serra contre elle, elle aussi prête à pleurer.
– Alors, ça te dit ? sourit-elle finalement.
Noah éclata de rire.
– Tu me poses sérieusement la question ? Mais bien sûr que oui !
Ils s’embrassèrent, puis, toujours au sol, ils s’adossèrent à la balustrade du balcon circulaire, blottis l’un contre l’autre. La lumière du soleil couchant illuminait les murs de pierre du château d’une couleur chaude, dorée, rassurante tels les yeux de Noah. Puis Clave se releva et, en prenant la main du jeune homme, lui proposa :
– M'accorderais-tu cette danse ?
– Toujours, sourit le télépathe.
Ils se mirent alors à tourner lentement, main dans la main, les yeux fermés, se laissant guider l’un par l’autre, la nuit tombant peu à peu, les étoiles scintillant au-dessus de leurs têtes. Clave ne voyait pas le temps passer.
C'était simplement eux deux, le ciel, l’horizon, et leur avenir qui s'étendait au-delà.