Épilogue

Par Ohana
  • C’est ce qu’elle aurait voulu.

La voix de Rei se perdit dans le silence qu’observait Alaric depuis qu’ils avaient la forêt d’Argon en vue. Elle n’insista pas pour continuer à établir la conversation, sachant que le jeune homme l’écoutait malgré l’absence de réponse. C’était tout ce qu’elle espérait, être une présence pour lui, pour éviter qu’il ne s’isole.

Six mois s’étaient écoulés depuis la bataille de Dralvalith. Les troupes de Kald, alliées à celles des chevaliers héodeniens et la Garde maraudienne, avaient réussi à expulser les envahisseurs en dehors des murs de la capitale en flammes, gagnant peu à peu du terrain. Après avoir été mis en déroute, les survivants s’étaient enfoncés dans les terres environnantes en groupes épars et désorganisés.

Les mages de la guilde d’Harsonia et ceux rassemblés par Talaman avaient ensuite pris le relais pour pourchasser les mages noirs encore en vie. Une chasse de longue haleine avait eu lieu et continuait encore à l’instant même. La vermine se terrait dans les coins les plus reculés des anciens royaumes de Samérel et de Dungannon. Ils ne pouvaient pas relâcher leur attention, pour éviter qu’ils ne recommencent à se rassembler.

Pendant deux mois, Alaric avait fait partie de ces troupes, en compagnie d’Hildr, qui était devenue, plus tôt que prévu, la représentante du Haut-mage auprès du royaume de Kald. Elle se devait de rassurer la population et leurs troupes.

Cette décision, il l’avait prise sur un coup de tête. Ce n’était pas par vengeance qu’il avait décidé de poursuivre les mages avec Hildr. Pas complètement. Il était en colère, contre tout le monde, contre lui-même. Et plus que tout, il voulait faire taire cette part d’ombre en lui, qu’il avait ressenti dès le premier jour dans ce monde. Cette part que ces mages noirs représentaient. Ils avaient succombé à la magie. Les combattre lui donnait une certaine satisfaction, il reprenait un semblant de contrôle.

Alaric et Hildr avaient fini par retourner à la cour du roi Wallon. Le jeune mage avait encore beaucoup à apprendre, mais il avait décidé de passer tout son temps au projet commencé par Talia avant qu’ils ne se lancent dans cette quête à l’issue fatale. Ce fut en grande partie grâce à Veenya. Devenue un véritable pilier pour sa compagne et Alaric, effondrés après la mort de la Voyageuse, elle avait mis tous ses efforts à leur redonner un léger espoir dans ce futur qui leur semblait jusqu’alors bien sombre.

Alaric s’était donc plongé corps et âme dans les recherches qu’avait entreprises sa sœur pour assainir la forêt d’Argon, qui continuait à pulluler de magie noire, soulagé qu’on le laisse tranquille aussi longtemps qu’il le désirait. Il ne tolérait réellement que la présence de Rei. Ils avaient à la fois peu vécu et tout vécu.

Il avait fini par trouver. Ce ne fut pas compliqué, cette fois, d’avoir l’autorisation pour faire la route de lui-même jusqu’à Argon. Cast, Hildr et Veenya avaient insisté pour l’accompagner, mais il n’accepta de l’être que lorsque la jeune tavernière lui proposa sa compagnie. De toute manière, elle prévoyait retourner à Madragore et participer à la reconstruction du village. Il savait qu’elle le laisserait faire comme il l’entendait. C’était ce dont il avait besoin.

Avant de partir, Talaman lui avait promis de continuer d’enquêter sur l’entité qui semblait avoir mené leurs pas, à lui et Talia, jusqu’à la relique, désireuse d’ouvrir les portes. Ne l’ayant plus entendue depuis la destruction permanente de la statuette et du grimoire, le jeune homme préféra laisser cette question entre les mains expertes du mage, même si elle menaçait de l’obs.der. La conversation qu’il avait eue avec le haut mage, quelques heures après la fin des hostilités, le hantait encore par moment.

—        Pourquoi ne pas l’avoir détruit vous-même, avait demandé Alaric d’une voix sourde, lointaine à ses oreilles, à propos de la statuette, son regard vrillé sur le vieil homme.

—        Seule la magie des Voyageurs peut l’abîmer, voire le détruire, lui avait répondu calmement le mage.

Les traits du vieillard étaient alors tirés, fatigués. Il semblait avoir rattrapé son âge réel en quelques heures à peine.

—        Je découvrirai qui a cherché à vous manipuler, avait murmuré l’homme.

Malgré le poids du monde qui semblait soudainement lui être tombé sur les épaules, il s’était redressé, une étincelle déterminée dans le regard. Il s’était promis de ne plus jamais laisser mourir un de ses apprentis. Il comptait bien trouver le coupable vers qui diriger toute sa fureur.

Une question encore aujourd’hui sans réponse.

  • Jusqu’où faut-il aller ? lui demanda Rei, assise à l’avant de la charrette à ses côtés.
  • En son cœur, répondit simplement le Voyageur.

Tous deux pouvaient sentir la magie noire qui émanait des lieux, magie qui ne faisait que devenir plus oppressante à mesure qu’ils avançaient.

Déterminé et enveloppé d’une aura d’une froideur à couper le souffle, prenant soin cependant d’éviter de toucher Rei avec celle-ci, Alaric regardait droit devant eux. Il n’avait pas peur. Il n’avait plus peur. Il pouvait sentir la présence de certaines créatures altérées par les maléfices, mais celles-ci, jugeant l’aura meurtrière qui émanait du mage, gardaient leur distance. Rei, sans se détendre vraiment, fut néanmoins soulagée. Elle avait eu quelques appréhensions, en cours de route, de retourner à cet endroit qui avait failli la tuer des années auparavant, et qui lui avait enlevé son père. Mais pour Talia, elle voulait faire ce voyage.

La route devint peu à peu impraticable. D’une voix éteinte, le jeune homme annonça qu’ils allaient mettre pied à terre. Libérant les chevaux pour leur permettre de fuir s’il y avait un danger puis leur lançant un sort de localisation pour les retrouver facilement une fois la tâche accomplie, Alaric sauta à l’arrière de la charrette et prit délicatement ce qui reposait en son centre dans ses bras. Le corps délicatement enveloppé d’un linceul magique de sa sœur semblait tout simplement endormi. Il ne put empêcher son cœur de se serrer, mais il repoussa la vague d’émotions dans un coin de son esprit, l’enfermant à double tour.

Et ils reprirent la route, s’enfonçant de plus en plus dans le cœur de la forêt maudite.

Le mage sentit par toutes les pores de sa peau lorsqu’ils arrivèrent là où ils devaient être. Il vit Rei frémir à ses côtés, le regard particulier de cette dernière fixé sur les masses informes de magie noire flottant autour d’eux, qu’eux seuls pouvaient voir ou ressentir.

Alaric s’avança au milieu de la petite clairière, qui aurait pu être magnifique. Autrefois, elle devait l’être. Talia l’aurait certainement adorée. Délicatement, il la déposa sur le sol et commença à travailler ses sceaux autour d’elle.

Certains auraient pu croire en la destinée, à cet instant précis, en réalisant qu’ils avaient besoin de leurs deux magies spécifiques pour arriver au miracle auquel aspirait Talia. Ces magies qui les avaient fait grandir et évoluer en si peu de temps.

Lorsqu’il sentit l’étincelle de magie de sa sœur s’enfoncer dans le sol, alimentée par ses sceaux d’amplification, il ne put s’empêcher de sourire, ressentant enfin ce qu’elle-même avait vu de si beau dans cette magie de la terre.

L’étincelle devint un véritable feu ardent sous eux deux. Lorsqu’il sentit qu’il avait accompli ce pourquoi il était là, le jeune homme recula, pour laisser la place à la magie de Talia d’opérer.

Son sourire à la fois triste et fasciné ne quitta pas ses lèvres, même lorsqu’il sentit la main de Rei se glisser dans la sienne. Leurs regards étaient rivés sur l’aura qui s’intensifiait dans les sceaux qu’Alaric avait superposés, jusqu’à ce qu’elle explose. Aveuglés, ils se cachèrent momentanément les yeux en se détournant

Lorsque la lumière aux éclats verdoyants retrouva une intensité un peu plus douce, ils se tournèrent vers le centre de la clairière. Il entendit Rei hoqueter de surprise à ses côtés et il serra sa main en retour.

Devant eux se trouvait maintenant un magnifique chêne, immense, ses branches semblant toucher le ciel et ses racines magiques s’enfonçant si profondément dans la terre qu’elles semblèrent faire toute la superficie d’Argon. Ils pouvaient sentir le pouvoir pulser le long de celles-ci.

Ils ne restaient plus aucune trace de magie maléfique, remplacée par une autre, douce et puissante à la fois. La magie éternelle d’une Voyageuse.

 

- FIN -

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