Chapitre 25

Par Ohana
Notes de l’auteur : TW : violence, guerre

Les bâtiments les plus hauts de la ville étaient en train de s’embraser, s’effondrant comme de vulgaires brindilles.

  • Al, s’étouffa Talia, sentant la panique l’envahir d’une vague si puissante qu’elle manqua de défaillir.

Jamais elle n’avait ressenti une émotion d’une telle intensité, elle sentait son cerveau bouillir dans son crâne. Le corps tremblant, peinant à maîtriser l’angoisse qui l’envahissait, Alaric la serra contre lui.

  • On retrouve Rei et on s’en va, d’accord ?

Un plan bancal, mais ils n’arrivaient pas à penser à autre chose. Oui, il leur fallait trouver leur amie et fuir le plus loin possible, comme leur dictait leur instinct.

Avançant dans un épais brouillard, autant métaphorique que littéral, les jumeaux firent le chemin inverse au pas de course. La main d’Alaric ne lâchait pas celle de Talia. Il pouvait sentir qu’elle luttait contre elle-même et son angoisse, traînant derrière lui, les poumons en feu.

Ils ne pouvaient pas prendre le temps de se poser, ils le savaient tous les deux. S’arrêter voulait dire risquer de se retrouver dans une situation dont ils ne pourraient pas s’échapper. Ils se concentrèrent donc sur la seule chose qui leur permettait d’avancer : retrouver Rei, saine et sauve.

Ils firent irruption dans l’auberge, après avoir bataillé pour se forcer un chemin à travers la foule en panique. Alaric traça jusqu’à leur chambre pour ramasser leurs affaires, laissant sur place ce qu’ils pouvaient facilement remplacer. Le sac de Talia sur le dos en plus du sien, il redescendit, alors que sa sœur cherchait Rei.

  • Ici ! entendirent-ils.

Ils virent la jeune femme entrer dans l’auberge, les cheveux en bataille, son regard écarquillé par la peur se fit plus rassuré en voyant les jumeaux. Sans pouvoir s’en empêcher, elle s’agrippa à eux, pour s’assurer qu’ils allaient bien.

  • J’étais sur le point de partir à votre recherche ! haleta-t-elle, à bout de souffle.

Elle avait laissé tomber son cache-œil dans son empressement.

  • Qu’est-ce qui se passe, Rei ? demanda Talia.
  • Des soldats sont arrivés en grand nombre il y a peu, enjoignant tout le monde à se réfugier autant qu’ils le pouvaient !

La voix de la jeune femme tremblait, mais elle fit un effort énorme pour reprendre ses esprits et exposer la situation aux deux jeunes mages.

  • Juste après, il y a eu une grande explosion et une partie de la muraille sud s’est effondrée. J’ai … Je n’ai jamais vu un amas aussi dense de magie noire, je …

Se rappelant ce monstre difforme qu’elle seule pouvait voir, elle se mit à trembler.

  • Ils sont ici, ils sont ici et ils vont tout détruire ! Nos troupes n’arrivent pas à les contenir !

Talia passa une main dans le dos de la jeune tavernière, en une tentative pour la rassurer. Mais elle était elle-même trop agitée pour être d’un quelconque secours. Elle jeta un regard terrorisé à Alaric.

  • On s’en va, fit ce dernier d’une voix qui se voulait ferme. On prend les chevaux et on fout le camp tant qu’on a encore le temps.

Personne ne protesta. Personne ne se sentait de taille à se jeter dans la bataille. Ils n’étaient que des adolescents, après tout.

Le trio sortit à la recherche de leurs montures. Force fut de constater que c’était peine perdue, alors qu’ils se frayaient un chemin à travers la foule. Ils avaient probablement été volés ou tués dans les explosions. Alaric jura. Gardant la main de sa sœur dans la sienne, qui elle-même guidait Rei, ils partirent en sens inverse.

  • Et si on retournait au cimetière et qu’on se cachait là-bas ? cria Talia pour se faire entendre.

Alaric tourna la tête vers elle et la secoua énergiquement.

  • S’ils avancent trop dans la ville, on se retrouvera coincés ! Non, il faut sortir d’ici ! On trouvera un moyen de retourner à Belvrior en cours de –

Une explosion plus rapprochée les secoua brutalement et leurs mains se séparèrent. Jetés au sol par une foule encore plus paniquée, les jeunes mages ressentirent clairement la masse de magie noire, leur retournant l’estomac.

Alaric se releva, criant les noms de sa sœur et de leur amie, son regard écarquillé balayant les passants. Certains le poussaient dans leur empressement, et il sentit son cœur s’emballer et cogner contre ses tempes. Sa voix dérailla alors qu’il criait pour retrouver celles qu’il venait de perdre.

Une main gantée le saisit par le coude et le tira avec une force qu’il ne pouvait pas égaler, l’extirpant du mouvement de foule qui menaçait de l’emporter. Sous la force de traction, il s’affala contre un petit muret mais se remit rapidement sur pied, prêt à se défendre.

Son souffle se coupa.

  • Qu’est-ce que tu fais ici, gamin ? rugit Oza-Fynn, son regard furibond le fusillant du regard.

Une grossièreté fusa de la bouche du jeune homme, se sentant à la fois choqué et soulagé de voir la guerrière en face de lui. Un peu plus et il lui ferait certainement un câlin.

Il ignora sa question avec insolence. Il y avait plus important à faire que de lui expliquer en long et en large ce qu’il faisait à Dralvalith.

  • On n’a pas le temps pour ça ! Il faut retrouver Talia et Rei !

Le Voyageur vit les yeux de la guerrière s’agrandir sous le coup de la surprise. Il la vit marmonner puis une étincelle déterminée s’installa dans son regard.

  • Monte là-haut et guide moi, d’accord ?

L’adolescent voulut protester, préférant foncer à nouveau dans la foule pour chercher, mais il se ravisa. Elle s’en sortirait mieux que lui. Il fit donc ce qu’elle lui avait ordonné, s’aidant de sa maîtrise sur le vent pour se propulser sur un toit. Son pied dérapa sur le rebord et il se raccrocha tant bien que mal aux tuiles coupantes.

Se hissant à la force de ses bras et roulant sur celles-ci, il se remit debout. D’ici, il avait une meilleure vue sur les alentours. Son regard et ses sens magiques se mirent aussitôt à la recherche de sa sœur et de Rei.

Ce fut avec soulagement qu’il les vit, recroquevillées dans un coin, tentant d’échapper à la foule paniquée qui n’hésitait plus à piétiner tous ceux qui avaient le malheur de perdre pied. D’un geste, il indiqua la direction à Fynn. Celle-ci hocha brièvement la tête pour lui faire comprendre qu’elle avait saisi.

La voyant fendre la foule en direction de Talia et Rei, il sourit, soulagé. Sourire qui se transforma en grimace de peur en voyant des petites silhouettes familières se mélanger aux humains, s’attaquant à tout ce qui était à leur portée. Des écorcheurs.

Le cœur battant, il chercha un moyen d’avertir la guerrière. Il ne pouvait pas atteindre une cible avec ses pouvoirs de là où il se trouvait, avec le risque qu’il blesse, ou pire, un innocent.

Invoquant un orbe de lumière d’un vert éclatant, il en augmenta l’intensité à son maximum, illuminant momentanément les toits environnants. L’éclat de lumière fit heureusement lever la tête de Fynn et il tenta de lui faire comprendre le danger. Juste à temps. Il la vit découper en deux un écorcheur qui avait tenté de la prendre à revers, profitant du chaos et de l’ombre des bâtiments pour s’attaquer à elle.

L’intervention du jeune mage avait aussi attiré l’attention de Talia et Rei, qui se relevèrent en voyant le jeune homme debout sur un toit, au loin. Elles ne comprirent que quelques instants plus tard ce qu’il tentait de leur faire savoir, voyant émerger devant elles la silhouette familière de Fynn.

Les deux jeunes femmes ressentirent une vague de soulagement en voyant la guerrière. Une autre explosion écourta néanmoins leur retrouvaille.

Talia hurla.

L’explosion provenait d’où était perché son frère quelques instants plus tôt. Il ne restait plus rien du toit mise à part de grandes flammes noires alimentées une magie maléfique. Elle les happèrent de plein fouet.

Rei s’agrippa à Talia et Fynn, désignant un point au sol, au pied du bâtiment en flammes. Elles purent voir le jeune homme qui se relevait difficilement. Talia sentit son cœur prêt à exploser mais celui-ci rata un battement lorsqu’elle vit aussi la présence des créatures qui entouraient son frère.

D’une voix ferme, Fynn leur ordonna de la suivre, alors qu’elle fonçait dans le tas, protégeant comme elle pouvait les humains paniqués et tranchant chaque créature maléfique ayant le malheur de croiser sa lame courte.

Alaric chancela sur ses jambes. Il avait eu de la chance de sentir l’attaque magique juste à temps pour sauter dans le vide, s’aidant de ses pouvoirs in extremis pour éviter de se casser une jambe ou pire.

Mais voilà qu’il devait éviter les assauts d’écorcheurs qui tentaient de le tuer. Il glapit lorsqu’il vit un de ces monstres, un peu plus loin, chevauchant le félin au pelage hirsute qu’il avait croisé quand il était arrivé dans ce monde. La chose remarqua sa présence et sembla aussitôt intéressée à lui faire la peau, poussé par son cavalier ricanant.

Une masse en armure noire vint se fracasser contre le chat géant, déviant sa mâchoire impressionnante qui allait se refermer sur le jeune homme tétanisé. Fynn, qui avait surgi comme un boulet de canon, profitant de la confusion pour transpercer l’écorcheur de son épée, roulant par la suite pour s’éloigner des crocs et des griffes du félin d’Argon.

Arme au poing, elle le maintenait à distance, permettant au magicien de se remettre sur pied. Aussitôt, il sentit les mains de Talia se saisir de son bras.

  • Prenez cette ruelle et allez vers le nord-est de la ville, les portes n’ont pas encore été prises d’assaut par les troupes renégates, vous avez une chance de vous en sortir ! leur ordonna Fynn.
  • Mais, protesta Talia, qui ne voulait pas l’abandonner.
  • Fais ce que je te dis, la rabroua la guerrière, son regard se faisant confiant pour rassurer la jeune femme.

Celle-ci, comprenant qu’elle n’allait que gêner Fynn, se saisit de la main de Rei et jeta un regard à son frère. Le trio emprunta alors le chemin indiqué par la guerrière.

Ils coururent aussi vite que leurs jambes le leur permettaient, bifurquant plusieurs fois lorsqu’ils apercevaient des hommes armés faisant partie des envahisseurs ou des créatures.

Les Voyageurs et leur amie finirent par rencontrer, pour la première fois depuis leur mésaventure sur les terres de Dungannon, un mage noir. Il était différent que celui qui avait tenté de tuer Alaric et kidnappé Talia. Mais l’aura maléfique qui l’entourait les révulsa de la même manière.

Talia réagit instinctivement lorsqu’il le vit lever une main en direction d’un groupe de fuyards terrorisés, s’apprêtant à faire tomber l’enfer sur eux. De puissantes racines jaillirent du sol et le transpercèrent de part en part, le faisant s’affaisser vers l’arrière, les bras en croix. Mort.

Alaric, qui soutenait Rei après l’avoir poussée du chemin du mage, tourna son regard vers Talia, dont le regard brillant de vert s’éteignait. Il pouvait voir sa lèvre inférieure trembler, de même que ses mains, qu’elle serrait contre elle.

Ils ne pouvaient pas s’attarder plus longtemps. Le prochain obstacle qu’ils risquaient de rencontrer ne serait peut-être pas aussi facilement pris par surprise.

Mais lorsqu’ils finirent par apercevoir la grande porte, envahie par les habitants qui fuyaient la ville, les jumeaux ralentirent le pas de concert. Rei en fit de même en remarquant qu’ils n’allaient plus à la même cadence, jusqu’à s’arrêter complètement.

  • Qu’est-ce que vous faites ?

Talia et Alaric se regardèrent quelques instants. Ils n’avaient plus besoin de mots pour accorder leur pensée. Le jeune homme se défit de son sac contenant le grimoire et le tendit à la jeune femme à l’œil aussi noir que la nuit.

  • Garde ça pour nous, d’accord ? Continue vers l’est, nous trouverons un moyen de te contacter.

Rei protesta vivement.

  • Ils sont sans défense, Rei. Contre ce genre de magie, ils ne peuvent rien faire.

Mais eux, ils le pouvaient. Ils avaient accès à une arme qu’ils étaient très peu à savoir manier, malgré toutes les difficultés rencontrées, tous les doutes qui les avaient tourmentés.

Aujourd’hui, ce n’était plus le temps d’avoir peur de ce qu’ils étaient.

Utilisant leurs armes courtes mais non moins mortelles lorsque des créatures parvenaient à se rapprocher d’eux, ils s’engagèrent dans un ballet qu’ils ne pensaient jamais avoir à performer un jour. Ils finirent par ne plus savoir combien de corps brûlés, glacés, empalés ou désarticulés tombaient autour d’eux.

Ils furent rapidement rejoints par des soldats de leur camp, provenant autant de Kald que d’Héodeni. Ils purent aussi voir quelques armures plus légères de la Garde des Maraudiens. Ils ne formaient plus qu’un seul et unique rempart contre les forces obscures qui s’abattaient sur la ville.

Parvenant à prendre à part un homme pendant quelques instants pour en savoir plus sur la situation dans d’autres quartiers, ils furent à la fois soulagés et horrifiés de savoir que leurs troupes avaient pu sécuriser quelques-uns de ceux-ci, mais avaient perdu le contrôle sur d’autres. L’issue des combats était encore incertaine.

Les jumeaux retournèrent au combat, sentant la présence d’un autre mage noir dans les parages. Au bout d’un moment, ils furent séparés. Mais, dans l’effervescence de la bataille, ils ne s’inquiétaient plus l’un pour l’autre. Ils finissaient toujours par se retrouver.

Aidant une famille à se relever, Alaric les enjoignit de fuir dans une direction un peu plus sûre. Son instinct lui hurla dans les oreilles et il sentit le goût de la magie noire, signe que celle-ci était tout prêt. Ne se fiant qu’à ses réflexes, il invoqua son bouclier, l’étendant autant que possible autour de lui pour protéger les autres.

Mais le sort de magie noire vint se fracasser sur le mur de glace, éclatant ce dernier en mille morceaux et envoyant le jeune mage au sol. Il cria de frustration et de peur. Lançant un sort, il parvint à créer une barrière de feu temporaire, permettant à ceux qu’il avait pu protéger de s’enfuir. Il roula sur le côté en voyant l’éclat d’une lame.

Le mage noir le fixait de ses yeux fous. Il n’avait pas de morceaux de métal à travers la peau comme il avait pu le voir, mais son visage entier était tatoué de runes et de sorts.

Usant de la même feinte qu’avec Gadriel lorsqu’il s’était retrouvé en position de faiblesse, cette fois y ajoutant une impulsion magique, il sentit le genou du mage se briser sous son coup de pied. L’homme aux runes perdit l’équilibre, manquant de lui tomber dessus. Sa lame effleura son flanc, laissant une sensation de brûlure mais rien de grave.

Alaric roula sur le côté et se remit sur ses pieds, pour établir une distance de sécurité avec son adversaire. Un échange de sorts s’installa, où le jeune homme dut mettre tout ce qu’il avait appris auprès d’Hildr pour ne pas se faire tuer. Mais il se fatiguait et il manquait d’expérience.

Il parvint tant bien que mal à se protéger d’un faible bouclier de glace mais il sentit le feu noir lui brûler le ventre et il se plia en deux, perdant l’équilibre. Des racines surgirent du sol pour ceinturer le mage noir brutalement.

Alaric sentit aussitôt la présence de Talia près de lui. Ne laissant pas le temps au mage maléfique de se défaire de l’emprise épuisée de la Voyageuse, il bondit vers l’avant, formant un pic de glace dans sa main et poignardant l’homme en plein cœur, faute d’avoir encore son arme avec lui, l’ayant perdue lors de l’altercation.

Il vit de très près les yeux noirs du mage, qui était prêt à faire déferler une vague mortelle, s’éteindre, alors que son corps s’affaissait et tombait au sol, libéré du pouvoir de Talia.

Sentant la main de celle-ci sur son bras, il se redressa et lui sourit d’un air reconnaissant. Elle en fit de même. Ils étaient tous deux épuisés.

  • Je crois qu’on est en train de reprendre le contrôle de la situation ici, lui souffla-t-elle, soulagée.

En effet, il n’y avait plus de mages noirs à proximité, les troupes renégates et les écorcheurs, ou du moins ce qui en restait, tentaient de fuir vers les quartiers encore dominés par leur camp.

Alaric ne put s’empêcher de serrer sa sœur dans ses bras, soulagé. Ils allaient en voir le bout. Les auras des combattants, même si teintées d’épuisement, semblaient s’intensifier alors que quelques cris de victoire se firent entendre.

  • Je n’aurais jamais cru vivre ça un jour, marmonna la jeune femme.

Un fou rire secoua le corps fatigué d’Alaric. Effectivement, ils étaient très loin de ce dont ils avaient l’habitude de faire. Être plongés en pleine guerre n’était pas quelque chose qu’ils avaient prévu. Bataille qui pendant un instant avait semblé inarrêtable. Mais ils n’en étaient pas si sûrs, maintenant. Si les troupes alliées parvenaient à repousser les attaques des mages et des hommes renégats, jusqu’à reprendre le contrôle total de la ville, peut-être avaient-ils une chance de retrouver un chemin vers la paix. Ils pourraient même libérer les royaumes qui étaient tombés et redonner aux gens un endroit où vivre sereinement.

Les jumeaux se séparèrent légèrement, décidés à retrouver Fynn et ses propres troupes, pour proposer leur aide. Ensuite, ils retrouveraient Rei et ils pourraient retourner à Belvrior.

Talia et Alaric ressentirent en même temps un pincement à l’estomac et leur magie tressaillit faiblement.

Ils n’avaient pas vu l’homme, un brigand, perché sur une des tours encore debout, armant son arbalète.

Alaric sursauta, sentant une douleur sourde jaillir de sa poitrine. Hoquetant de peur, il porta la main sur son torse mais n’y trouva rien.

  • Al ?

La voix faible de Talia lui parvint et sa tête se mit à bourdonner, alors qu’il leva les yeux vers elle. Une flèche s’était fichée dans le dos de la jeune femme, la pointe, visible, perçant sa chair et ses vêtements, au niveau de son cœur.

Sans voix, Alaric la rattrapa alors qu’elle s’effondrait. Entraîné dans sa chute, ils se retrouvèrent tous les deux au sol. Il n’arrivait pas à prononcer son nom, ne comprenant pas ce qui se passait. Ce fut elle qui brisa le silence qui s’était formé autour d’eux.

  • Ne me laisse pas, s’il-te-plait, souffla-t-elle.
  • Jamais, croassa-t-il, d’une voix qu’il peinait à reconnaître.

Ça ne pouvait pas être possible. Ce n’était pas en train d’arriver. Il la serra contre lui, se raccrochant à elle autant qu’il le pouvait. Peut-être devrait-il hurler, se révolter, trouver une solution, s’enfoncer dans l’idée qu’il allait pouvoir la sauver. Mais dès le moment où elle était tombée dans ses bras, il l’avait sentie.

Cette étincelle de magie, faible, derrière son regard qui se faisait de plus en plus serein, lointain. Dernier vestige d’un mage tombé au combat. Le coup avait été fatal à l’instant où il avait fait mouche.

Talia ouvrit la bouche, semblant vouloir lui dire quelque chose, mais n’en eut pas la force. Elle n’avait pas besoin de le faire. Doucement, il sourit, lui caressant les cheveux de sa main tremblante. Oui, lui aussi, il l’aimait. Il l’aimerait toujours.

Lorsqu’elle s’éteignit dans ses bras, il sentit enfin cette morsure glacée qu’il ne faisait qu’attendre, pour ne plus ressentir. Il voulait qu’elle emporte tout. Et c’est ce qu’elle fit.

Il sentit le sceau sur son avant-bras se briser sans qu’il ne cherche à l’en empêcher. Levant son regard, le jeune homme chercha l’homme qui venait de tuer une partie de lui-même. Il était toujours sur sa tour, cherchant frénétiquement à recharger son arbalète, sous le choc, sûrement, d’avoir réussi à abattre un des mages qui avaient contribué à les empêcher d’envahir la ville complètement.

Un rictus déforma les traits d’Alaric alors que son regard s’illuminait d’une lueur bleu-gris froide. Le sol autour de lui fut assailli par une vague de glace sauvage. Comme si elle était animée d’une vie propre, elle se dirigea avec fureur vers la tour, libérée de la cage dans lequel le mage l’avait enfermée des mois durant.

L’homme n’eut aucune chance, fauché en même temps que le bâtiment, qui s’effondra, déjà affaibli par les flammes.

Alaric entendit alors un hurlement. Pendant un instant, il se demanda s’il provenait de lui. Il était trop détaché de son corps pour le savoir.

C’est alors qu’une silhouette connue envahit son champ de vision. Le cri venait d’elle, puissant, désespéré, porteur de toute la souffrance du monde.

Hildr tomba à genoux, ses mains hésitants surplombant le corps sans vie, sans oser le toucher. Son regard, vide de cette flamme caractéristique chez la jeune femme, allait et venait entre le frère et la sœur. Puis, elle saisit Talia par les épaules, pour la serrer contre elle, la bercer, ne réprimant pas les cris de douleur qui émergeaient de sa gorge déjà meurtrie.

Alaric ne chercha pas à la réconforter. Il n’en avait tout simplement plus la force. Il ferma les yeux un moment. Il n’en aurait probablement plus jamais. Celle-ci avait été emportée avec la seule famille qui lui restait.

X

Il n’était plus qu’un.

Le Voyageur resta distant avec tout ce qui se passait autour de lui les heures qui suivirent. Il ne résista pas quand on leur arracha, à lui et à Hildr, le corps sans vie de sa sœur. Il n’écouta que d’une oreille quand on lui expliqua que le roi Wallon et le haut-mage avaient jugé plus prudent d’envoyer tous les magiciens disponibles en renfort à Kald, quelques jours à peine après leur départ secret.

Il ne répondit pas non plus à Talaman, qui voulut savoir la raison de leur présence dans cette ville, se contentant de poser sur le vieil homme un regard vide. Ce dernier finit par poser une main qui se voulait réconfortante sur son bras, mais le jeune mage ne s’en rendit même pas compte.

Puis, tout à coup, il se retrouvait sur ses pieds. Passant sans un mot à côté d’Hildr, cachée dans les bras de Veenya, il s’éloigna. Si on tenta de lui demander où il allait, il n’en eut pas conscience.

  • Alaric.

Il avait senti sa présence. Elle était revenue, pour eux. Pour elle. Il sourit tristement à Rei, qui le regardait d’un air livide et attristé, ayant appris ce qui s’était passé. Comprenant ce pourquoi il était là, elle lui tendit son sac.

  • Merci, fit-il simplement.

Voyant qu’il n’écouterait pas si elle tentait de lui parler et jugeant plus respectueux de le laisser tranquille, la jeune femme se contenta de poser une main sur son bras puis le laissa seul.

Machinalement, Alaric alla s’asseoir dans un coin, loin des regards. Ses mains aux jointures blanchies par la force qu’il exerçait sans le vouloir serraient le grimoire, sans oser l’ouvrir.

Ils avaient trouvé ce pourquoi ils étaient là. Et alors que ses yeux parcouraient sans voir la couverture rugueuse du livre, il ne put s’empêcher de penser que ce n’était pas vraiment ce qu’il avait entre les mains l’objet de leur quête. Ce n’était plus le cas. C’était au-delà de ce simple grimoire qui avait le pouvoir de les ramener dans leur monde. Le ramener, lui.

  • Ouvre les portes, et tout sera fini.

Cette voix que semblait porter le vent, là sans être là. Le Voyageur colla son front brûlant contre la couverture, les yeux fermés.

Ouvrir les portes, pour que tout soit fini. Pour qu’il puisse laisser ce monde derrière lui. Cette guerre atroce ne serait plus qu’un mauvais souvenir.

Mais tout était faux. Tout était déjà fini. Et jamais il ne pourrait laisser la perte qu’il venait de subir derrière lui.

Le mage rouvrit les paupières, un nouveau souffle emplissant ses poumons. Ses traits confus se firent durs, déterminés. D’un geste, il ouvrit le grimoire, révélant à son regard la statuette.

  • Non.

L’avertissement résonna en lui. Il saisit la statuette, balayant mentalement l’attraction qu’elle exerçait sur lui.

Tout était fini. Il n’avait plus aucune raison de lutter.

  • Ne fais pas ça.

La voix s’était transformée en plainte vibrante de colère. Un rictus mauvais étira les lèvres du jeune homme, un air de défi se peignant sur ses traits tirés.

Sa main tremblante serrait la statuette, tandis qu’il posait la paume de son autre main sur les pages fragiles du livre.

  • Ne veux-tu pas rentrer chez toi ? murmura à son oreille la voix.

Celle-ci avait pris des intonations qu’il reconnaîtrait entre mille. La voix de Talia. Étrange. Déformée. Un simulacre. Une froideur intense l’envahit et il repoussa brutalement la présence.

  • ARRÊTE, NE FAIS PAS ÇA ! répéta la voix.

Il avait l’impression que son esprit était déchiré par celle-ci, envahi par cette colère qui n’était pas la sienne. Le sort se mit à rouler sur sa langue, libérateur. Il ne pouvait plus s’arrêter. Il n’en avait plus envie.

Sa peau devint incandescente. Alaric ne frémit pas lorsque la chaleur se transforma en douleur. Les pages prirent feu et il se saisit de l’objet avec ses deux mains, luttant de toutes ses forces contre la présence qui lui hurlait de s’arrêter.

Lorsque la statuette fondit entre ses doigts, brûlant ses paumes, il n’émit qu’une plainte déterminée. La voix se tue.

Complètement vidé, il ouvrit ses doigts douloureux et laissa tomber au sol l’artéfact, qui finissait de se consumer sous les assauts du feu magique.

Voilà. Maintenant, c’était vraiment fini.

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