Épilogue

Collin râlait plus que d’habitude. 

— Ranger, ranger, ranger… on ne fait que ça. « Porte ça » « Va laver ça », pfffff…

Will hocha distraitement la tête. 

Depuis l’avant-veille, une tristesse et une angoisse sourdes le tenaient. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé deux jours auparavant, ni comment s’était dénouée l’entrevue d’Alexander et de Madame. Il craignait le pire.

Bien sûr, Collin avait remarqué sa mélancolie, c’est pourquoi il s’employait à le distraire, se montrant encore plus démonstratif qu’à l’ordinaire. Il l’entretenait de tout et de rien, lui racontait dix fois les mêmes histoires, argumentait sans fin sur des faits divers, le faisait jouer jusqu’à l’épuisement. Will était touché de toutes ses attentions, mais il avait du mal à oublier les évènements de ses derniers jours.

— Collin, Willy ! appela Alma. Dépêchez-vous un peu, on doit quitter Londres dans la soirée. 

— Ça va, on sait ! Tu vois Willy ? Nous sommes de vrais esclaves.

Ils défirent encore une autre tente et empilèrent les caisses pour les transporter plus facilement. Collin voulut en porter trois en même temps, mais cet accès d’optimisme ne lui réussit pas. Les trois caisses déséquilibrées l’entraînèrent à terre, et elles avec. Will posa son propre chargement pour se précipiter sur lui.

— Ça va ?!

— Aïeu, grinça le garçon en se frottant le tête.

Il considéra le bazar d’objets divers qu’il avait répandu sur les pavés.

— On va se faire rôtir, grimaça-t-il, c’est les affaires d’Alma, en plus.

— Allez, viens, rangeons vite.

Ils s’affairèrent rapidement, mais cela ne suffit pas à échapper au regard  perçant d’Alma.

— Mais qu’est-ce que vous avez foutu !

La jeune femme les foudroya de ses yeux sombres.

— Bravo Collin, une bonne manière de perdre du temps !

— C’est bon, j’ai pas fait exprès ! … Tiens, c’est quoi ça ?

Il ramassa la photo d’une dame vêtue d’une robe sobre mais élégante, visiblement issue de la haute société. Alma lui prit des mains d’un geste d'humeur.

— « Ça », c’est ma mère.

— Ta mère est une aristo ? Et blanche ?

— Était. Maintenant, arrête de fouiller dans mes affaires et grouille-toi de ranger.

Will fixait encore la photo. Le visage de cette femme lui disait quelque chose. Mais il n’eut pas le temps de s’en préoccuper plus, un vendeur de journal fit irruption au milieu du cirque sur le départ.

— Édition spéciale ! Édition spéciale ! Le manoir Adamson parti en fumée, la police dénonce un incendie criminel. Tous les habitants ont été tués ! Édition spéciale !

Collin jeta un regard à son ami qui s’était figé. Mais Will ne dévisageait pas le vendeur, plutôt l’ombre d’une ruelle, en face de lui. La silhouette familière de Bill s’y dessinait. Son regard était lourd. Il tenait dans ses mains une cage dorée dans laquelle se trouvait une colombe.

Le jeune garçon s’approcha du jardinier. Il vit dans ses yeux la confirmation de ce qu’il redoutait.

— C’est tout ce que j’ai pu sauver, indiqua le grand homme après lui avoir tendu la cage. La Comtesse m’a ordonné de brûler tout le reste.

Will baissa ses yeux larmoyants vers la colombe.

— Il ne faut pas la laisser enfermée.

Il tendit une petite main tremblante et ouvrit la cage. L’oiseau le fixa en penchant la tête. Au bout d’un temps, il s’avança sur le rebord et se mit à fixer les nuages.

Un coup d’ailes, et il s’envola.

Une bague dorée scintillait à sa patte. Un nom y était gravé en lettres élégantes : « Willy ».