Epilogue

Le vent agitait son cœur d'émotion. Sa chevelure noire précipitée dans son dos, des perles de sang décorant les contours de sa bouche et son teint pâle réfléchissant aux diverses lueurs des chandelles, Annie marchait le long de la pièce sans pouvoir détacher son regard de cette calandre de verre monumentale qui s'élevait, à quelques mètres d'elle. Une multitude d'ornements très différents les uns des autres affinaient la grâce de ce titanesque miroir dont la surface lui renvoyait éternellement l'image de cette fille, maigre et cernée, qui pleurait à flots salés.

Si elle rentrait enfin chez elle, c'était bien par urgence. S'il aurait été autrement, pour rien au monde Annie n'aurait gâché cette nouvelle opportunité de départ.

Scintillam, c'était sa maison. Xia, Solveig et Varid, c'était sa famille.

Mais le destin n'avait pas tenu gré de ses désirs.

Annie enfonça son béret contre son crâne, mais de guingois, pour montrer à quel point le cœur n'y était pas.

Une famille.

De toute son existence, ce fût son rêve le plus fou : avoir une famille. Et maintenant que cette envie profonde, ce désir inespéré, ce besoin inébranlable d'amour s'était enfin trouvé complet, elle se devait de partir. Et il avait fallu ce déchirement pour qu'elle comprît à quel point elle aimait Scintillam et ses passagers.

Le monde était décidément injuste.

Désormais, les étreintes avaient commencé à s'échanger. Xia l'avait tenu contre elle à lui en rompre les os, tandis que le printemps de son parfum l'enveloppait comme une seconde robe. Car oui, pour partir, Annie avait retiré sa vieille chemisette au cordon tout usé. Elle arborait dorénavant une large et confortable robe de laine tricotée, avec d'étroits souliers aux pieds, une interminable écharpe au cou et son traditionnel béret, évidemment.

Lys était malheureusement restée à Scintillam, mais elle demeurait entre de bonnes mains. Ce sera le souvenir principal que la famille gardera d'elle. Sa gorge se noua pourtant en voyant le comité qui s'étendait pour lui dire au revoir.

Xia. Ophel. Kadambini. Hauata. Ambud.

Elle passa de bras en bras, de main à main, dans de formidables entrelacs de chair, de plumages et de tissus humides de larmes. Elle en venait à confondre les ailes d'Ambud avec le vêtement de Xia, les cheveux d'Ophel avec le pelage d'Hauata. Il n'y avait que Kadambini pour bouder résolument son élan d'affection, car ceci la plongeait trop dans l'embarras.

La gremline se contenta donc de lui ébouriffer les cheveux, le visage frappé de sourires mouillés. L'étau de sa gorge ne fit que se resserrer davantage une fois ce geste achevé. Sa résistance se fêla. Il ne restait plus personne à saluer.

Annie inspira en faisant un pas en avant, rythmé par les tapements chaotiques de son cœur. Elle n'avait pas besoin de se retourner pour constater que tout le monde l'observait, derrière elle, l'encourageait doucement du regard. Elle en avait simplement la remarquable conviction.

Si elle en fut venue à bout, Annie n'avait pas retranscrit toutes les étapes de sa quête. Elle n'avait pas trouvé la Nouvelle Ressource. Elle avait réussi à convaincre Schyama de la laisser partir autrement qu'avec ses connaissances : en jouant avec l'impact de ses mots. Cette réussite avait toutefois un prix : elle ne pourra donc jamais revenir dans le Monde des Nuages.

Mais alors qu'elle avalait goulûment la distance qui la séparait du Miroir, alors que son écharpe, son béret, ses cheveux et ses larmes tentaient vainement de prendre la directive du vent, Annie eut une tout autre certitude.

Elle plongeait maladroitement dans son reflet quand cette dernière se révéla totalement à elle : elle ne vivait pas un adieu, mais qu'un simple au revoir.