Une lumière tamisée filtrait depuis le lointain toit brisé. Les rayons du soleil dévalaient les étages de la tour pour parvenir à sa base, capté par une végétation avide. De tout le palais, c’était l’endroit qu’elle préférait. Caché loin des obligations, des statues qu’on lui avait érigé. Un petit coin hors du temps. Elle ne le partageait qu’avec de rares personnes.
— Et voilà !
Elle fit un geste théâtral vers le carré verdoyant avant de se jucher sur un monticule de pierres envahi de mousses, les fragments du plafond effondré. Pazo claudiqua jusqu’à elle, s’appuyant sur sa canne. Il s’assit à ses côtés, étudiant le décor silencieux d’un œil émerveillé.
— C’est paisible, ici, on ne dirait pas qu’on est au cœur de la capitale, souffla-t-il.
— N’est-ce pas !
Elrê se détacha d’elle pour voler dans l’ancien hall de la tour.
— J’ai plein d’amis fantômes ici ! ironisa-t-il.
— Je me demande pourquoi ils n’ont pas détruit cette tour, s’interrogea Pazo. Plutôt que de faire venir des pierres de Bléros, ils auraient dû les prendre ici pour construire le palais.
Elle haussa les épaules.
— Moi je suis bien contente qu’ils ne l’ont pas fait.
Son ami hocha la tête, pensif. Il détaillait les fissures qui couraient sur les murs.
— Ce sont des cicatrices de la guerre… Je me demande ce qui a touché ainsi le bâtiment pour qu’il s’écroule à moitié. Tu t’en rappelles ?
Elle secoua la tête.
— Ce n’est pas moi, en tout cas, ajouta-t-elle avec malice.
— Tu en serais capable, s’esclaffa-t-il.
— Rhoo, je ne détruis pas, les bâtiments, moi.
Il se tourna vers elle, plantant ses yeux dans les siens.
— Qu’est-ce que tu fais, alors ?
Elle ne répondit pas, troublée.
— Je me pose cette question pour moi-même, reprit-il en portant ses iris sur le lierre qui épousait les fissures. On a bientôt la majorité, tous les deux. Qu’est-ce qu’on va faire de notre vie ?
Elle baissa la tête, tortillant une de ses mèches blanches.
— Moi je sais bien ce que je vais faire, marmonna-t-elle.
— Mmmh, alors disons plutôt, qu’est-ce que tu veux faire ?
Elrê vint flotter au-dessus de sa sœur, la mine soucieuse.
— Tu… te poses des questions, balbutia-t-elle. Moi je ne réfléchis pas à tout ça.
— Je pense que c’est important de le faire. Surtout pour toi.
Elle balança ses jambes dans le vide. Un miaulement la fit alors sursauter. Danseuse venait d’émerger de l’ombre. La chatte noire alla se glisser sur les genoux de sa maîtresse en ronronnant. Elle la caressa d’une main distraite, levant les yeux vers le trou de lumière béant, au-delà duquel, après une vingtaine d’étage, elle pouvait voir un ridicule morceau de ciel bleu.
— Je… je me dis que je ne veux pas qu’on détruise ce genre de monument. Que c’est la colère, la haine qui sont venues à bout de ce géant. Comme tous ces gens qui sont morts pendant la guerre…
Elle laissa sa phrase en suspens, rejetant les larmes qui lui piquaient les yeux.
— Moi je veux… chasser la haine du monde. Chasser la violence. Je veux le bien pas seulement pour moi, mais pour tout le monde.
Pazo lui offrit un immense sourire, posant une main sur son épaule.
— Je suis sûr que tu en es capable.
Ses lèvres s’étirèrent à son tour. Elle hocha timidement la tête. Dans ses prunelles bleu sombre brillaient une étincelle de timidité, mais aussi d’espoir.