Épilogue :
Quand Nimrod fût dans son rêve, Ibis était juste à côté d’elle. Il était installé sur un grand cheval nerveux, dont la robe était plus claire que celle de la jument de nuit. Il chevauchaient côte à côte, calmement.
‒ Qui êtes-vous ?
‒ Je suis comme toi, un Pilier, mais pas de la même cathégorie. Je suis un Ver de rêve et je me déplace dans les songes.
‒ Je vous ai déjà vu.
Une galaxie parcourait lentement la robe de la jument de nuit en roulant sur elle-même.
‒ Oui, je t’observe à travers tes rêves depuis longtemps. Pas par bonté d’âme je l’avoue. Je requiers tes services en échange de ma protection.
‒ À quoi me servirait cette protection ?
Elle cligna des yeux et tout d’un coup elle n’était plus avec lui, elle galopait dans une plaine grise et poussiéreuse ; au loin une silhouette de dos partait vers le lointain.
Clignement de paupière. Elle était avec Ibis.
‒ En tant que Pilier, tu cicatrises vite et tu ne peux mourir ni de maladie ni de vieillesse... Cependant, cela ne veut pas dire que tu ne puisses ni souffrir ni mourir de façon intermittente.
‒ Mourir de façon intermittente ? Ça ne...
‒ C’est parce que ce concept te paraît étrange, parce que tu ignores beaucoup de choses… que tu as besoin d’un protecteur. Crois-moi, nous sommes plus nombreux que tu ne l’imagines et tous les immortels que tu croiseras seront ravis de t’avoir comme amie. Ton pouvoir est celui que nous convoitons le plus car il nous empêche d’être seuls.
Nimrod resta songeuse, mais soudain elle était de nouveau dans la plaine grise. Elle avait beau lancer la jument de nuit dans un galop effréné, elle ne se rapprochait pas de cette silhouette filiforme qui progressait lentement.
‒ Et ces... ces Piliers, si je les aide, ils utiliseront leurs pouvoirs pour m’aider aussi ?
‒ Évidemment. Pourquoi leur devrais-tu quelque chose, s’ils ne t’apportent rien en échange ?
‒ Et est-il possible... est-ce qu’il y a des Piliers capables de retrouver quelqu’un dans un univers parallèles ?
Ibis resta songeur tandis que Nimrod chevauchait dans la plaine, à nouveau vêtue de son armure étincelante.
‒ C’est possible, mais ce n’est pas facile. Le Multivers est très grand et il te faudra l’aide de plusieurs d’entre nous pour y parvenir.
‒ Je comprends.
‒ Puis-je te poser une question ?
‒ Quelle question ?
‒ Ce garçon que tu cherches dans tes rêves, désires-tu le retrouver pour le chérir ou le tuer ?
La lance d’argent et d’onyx était plantée dans la poussière. En la croisant, elle l’arracha du sol et poussa un long cri de cornu qui était à la fois un chant de colère et de détresse.
Nimrod ouvrit brutalement les yeux et l’univers se teinta de couleurs. Elle se redressa ; il faisait jour dehors et quelqu’un l’avait installée dans son nid. Elle ignorait combien de temps elle avait dormi, mais son épaule ne lui faisait plus mal. Elle retira l’écharpe crasseuse que Mock avait nouée autour. En dessous, la peau recouverte de precah était intacte.
Nimrod se leva et sortit. Un vent frais agitait l’eau couverte de nénuphars de la petite flaque où étaient à moitié immergés les deux crapauds-licornes et une poignée d'esprit des os ; juste à côté se trouvait la faille que l’humain avait ouverte pour elle. Celle-ci avait incroyablement rétréci et il lui restait à peine l’espace pour s’y glisser.
Elle observa avec une certaine résignation les arbres minuscules qui poussaient de l’autre côté et se dit que Dïri aurait sans doute trouvé cela merveilleux. Mais Dïri n’était plus là, car il l’avait laissée tomber. Elle frissonna en se souvenant qu’elle l’avait violenté.
Quand la tristesse l’envahit toute entière, elle prit son courage à deux mains pour la repousser le plus loin possible. Elle récupéra son instrument dans le nid et l’attacha dans son dos. Puis, se penchant à nouveau vers l’ouverture, elle se dit que maintenant, chaque matin lui apporterait de nouvelles choses et qu’il faudrait apprendre à les aimer comme elle avait aimé Mîme, Ephèbre et Villapapel. Elle avait également de quoi méditer : « Puisque toi tu es si sûre de l’intensité de ton grand amour ! Retrouve-moi si tu m’aimes vraiment ! ».
Timidement, les esprits des os avaient quitté la mare et l'entouraient. Elle laissa leur petites mains de lumière l'étreindre et elle sut intimement dans sa moëlle qu'ils étaient venus lui dire au revoir.
Alors Nimrod quitta son arbre pour rentrer dans la forêt.
Mais cela est une autre histoire...
J'ai vraiment beaucoup aimé cette histoire, j'espère que je l'ai exprimé à travers mes précédents commentaires ! J'ai aimé ton inventivité et la cohérence de tes idées, le huis-clos, la progression de tous les protagonistes jusqu'aux différents points culminants... J'ai aimé les thèmes que tu abordes, ceux que j'ai déjà relevés mais aussi celui qui est tellement évident qu'on ne le repère pas tout de suite : la nature et la vie. Là où en tant qu'humain, on pourrait juger Lissa et Haé monstrueux par ce qu'ils ont fait, en fait tout prend sens si on les considère comme Dïri décrit leur espèce : des gamètes, des êtres qui sont un maillon sur une longue chaîne et qui vont tout bêtement au bout de ce pour quoi ils sont nés, en mettant toutes les chances de leur côté. Et finalement, qui est le plus monstrueux, entre eux et Nimrod qui pour le coup prend une toute autre directement ? Bon, clairement, ce sont eux hein, mais je veux dire que je trouve la question très intéressante, surtout en t'ayant déjà entendue parler de nature et de contre-nature (et d'à quel point ces questions sont souvent mal posées).
Je trouve le parcours de Lissa particulièrement glaçant. C'était elle qui était "déviante" au début, et qui finit par rentrer dans le rang... d'une certaine façon ?
Je ne sais pas si tu avais prévu ou voulu qu'on se pose ces questions-là, et je dois dire qu'à la lecture ce n'est pas ce qui m'a le plus occupé l'esprit, mais tout ça accompagnera quand même mes souvenirs de 63/84 jours.
Il y a peut-être un passage que je trouve améliorable, c'est la scène d'adieux entre Nimrod et Dïri. Peut-être que ça remonte même un peu plus loin : je crois que j'étais à fond au moment où Nimrod est amoureuse de lui et que ce n'est pas réciproque, mais que j'ai moins "cru" au moment où ils se sont réellement mis ensemble. Peut-être que j'ai la vague impression que Dïri croit l'aimer mais qu'en fait il s'est simplement servi d'elle et lui porte une certaine affection. Je ne sais pas trop. En tout cas, j'ai trouvé cette scène d'adieux un peu moins authentique que d'autres passages, par exemple la tirade de Dïri sur "nous sommes des gamètes", ça m'a semblé un peu artificiel (quoique bienvenue).
Quant à la place de cette histoire dans ton univers, eh bien ça me donne envie de relire Ville Noire pour revoir Mock et Morrigan et tenter de recoller quelques morceaux supplémentaires de toute cette fresque. C'est bien joué ! J'espère aussi qu'on reverra Nimrod et que son parcours à elle trouvera une issue aussi (mais est-ce seulement possible pour un Pilier ?).
Voilà, merci de partager tous ces éléments avec nous <3 C'est un plaisir de te lire ma Loup ! Poutouxxxx