EPISODE 1 : La Chute
Juju voudrait que Maman n’ait jamais donné le signal du retour à la maison. Il s’amusait tellement avec son meilleur copain Benoît ! Ils ont essayé tous les stands de la kermesse de l’école, et encore plusieurs fois ceux qu’ils préféraient. Ils ont battu deux fois la bande de Mathias au tir à la corde, en faisant équipe avec le grand Lucas et son frère Ugo. Juju a été très fort au chamboule-tout, à la course d’obstacle, et il s’est fait faire un maquillage de super héros par Michèle, la directrice. Benoît a choisi un maquillage de tigre.
Ils ont continué à courir et à jouer sur le trajet de retour. Ils tentaient de retrouver la trace d’un méchant, en cherchant des empreintes de pas et de pneus de voiture. Benoît, concentré sur le trottoir, a même failli traverser sans regarder. C’est Juju qui l’a rattrapé de justesse ! Et aussi un peu la voix de Marie-Anne, sa maman, qui a interrompu sa conversation avec Hélène, la maman de Juju, pour lui dire de s’arrêter. Heureusement aucune voiture n’arrivait. Le quartier est plutôt tranquille.
Juju et Benoît sont voisins. C’est très pratique d’avoir un meilleur copain qui habite la maison d’en face. Ils peuvent même se faire des signes par la fenêtre de leur chambre. Et jouer ensemble même les week-ends. Il suffit de traverser, en regardant à droite et à gauche, bien sûr.
En arrivant au coin de leur rue, le petit groupe rencontre Caroline, qui sort de sa boulangerie. Sur le seuil de la boutique, Salade, la tortue de Caroline, somnole au soleil.
Juju et Benoît aiment beaucoup la boulangère. Elle leur offre toujours un morceau de pain ou une petite viennoiserie.
Elle porte un bac en plastique rempli d’un liquide épais et rose. Une bonne odeur de fraise s’en échappe.
Caroline a l’air très contrariée.
« Bonjour Caroline, la saluent-ils tous les quatre.
– Bonjour, répond la jeune femme avec un pauvre sourire.
– Que se passe-t-il ? interroge Hélène, ça n’a pas l’air d’aller.
– Non, en effet : c’est la troisième fois ce mois-ci que je dois jeter tout mon stock de glaces. »
Depuis l’année dernière, quand l’été arrive, Caroline vend de délicieuses glaces qu’elle fait elle-même, et qu’elle sert dans de bons cornets très croquants. Les deux garçons se regardent tristement, en pensant à tous ces délices gaspillés.
- Mince ! Mais pourquoi ? demande Marie-Anne.
- Quelqu’un s’amuse à débrancher la vitrine à glace. Elles sont toutes fondues. Il n’y a rien d’autre à faire que de vider les bacs et d’en préparer de nouvelles. Mais si cette mauvaise blague se renouvelle, je vais devoir arrêter de faire des glaces.
- Mais ce n’est pas juste ! s’écrie Benoît.
- Oh non ! Ce serait trop triste ! » se lamente Juju au même moment.
Les deux mamans disent toute leur sympathie à Caroline et lui souhaitent que personne ne débranche de nouveau sa vitrine, et les garçons lui font un bisou. Elle retrouve un peu le sourire.
Quelques instants plus tard, après avoir dit au revoir à leurs amis, Hélène et Juju rentrent dans leur petite maison.
« Tu as 10 minutes pour faire ce que tu veux. A 19h30, tu iras prendre ta douche, mon chéri. » annonce Maman.
Juju se dépêche de monter dans sa chambre. Il aime bien sa chambre. Sur la porte, son prénom est écrit avec de jolies lettres en carton qu’il a peintes lui-même. En bleu et rouge. Comme ça, on ne peut pas se tromper : c’est sa chambre. « JULIEN ».
Bien sûr, son vrai prénom, ce n’est pas Juju. Mais seule Corinne, sa maitresse, l’appelle Julien. Et parfois Maman, mais alors il sait que ça va barder. Cela arrive rarement : Maman est une maman « cool ».
Les murs de sa chambre sont peints en gris clair. Des rideaux bleu turquoise encadrent la fenêtre. Les volets sont tirés pour qu’il ne fasse pas trop chaud. Il fait un peu sombre et les meubles ont l’air de faire la sieste : le bureau couvert de ses derniers dessins, l’étagère avec ses boîtes de rangement bleues et rouges, et son lit recouverts de sa housse de couette à motifs de chevaliers. Même les super-héros, dans leurs posters accrochés sur les murs, et les pirates dans leur gros bateau, ont l’air endormis.
Juju s’assoit sur son lit. Finalement, peut-être que c’était bien l’heure de rentrer. Il est un peu fatigué après toutes ces balles lancées, ces cordes tirées, ces sauvetages de copains. Et il fait très chaud. On sent bien que les vacances d’été sont toutes proches. En face de lui, le miroir de son placard lui renvoie son image. Juju est grand pour ses sept ans. Pas un géant mais c’est le plus grand de sa classe. D’ailleurs ce matin, il a enfilé un bermuda à carreaux bleus que Maman lui a acheté l’année dernière, et qui le serre un peu. Et son t-shirt blanc avec un dinosaure est un peu trop court. Il a les cheveux bruns. Quelques boucles collent au maquillage de son front à cause de la chaleur. Derrière ses lunettes orange et noires, ses paupières se ferment un peu sur ses yeux marron.
Dessine Juju dans sa chambre avec tout ce que tu as pu lire.
Dans sa main, il tient encore bien serré son trésor de la journée : le petit sac dans lequel il a amassé tous les lots gagnés à la kermesse. Il les a choisis rapidement, les a jetés là-dedans avant de repartir pour de nouveaux défis. Un petit inventaire ne ferait donc pas de mal. Il vide le sac sur le tapis, qui représente toute une ville avec ses rues et ses bâtiments, et s’installe en tailleur pour compter son butin.
Deux balles rebondissantes,
Une petite maquette d’avion en carton,
Un sac de 10 billes,
Un stylo avec 8 couleurs,
Un yoyo en plastique rouge,
Une petite voiture,
Quatre paquets d’images de foot,
Une jolie bougie,
Un sachet de bonbons,
Un pistolet à eau,
Un ressort qui descend l’escalier.
Juju est très content, c’est beaucoup mieux que l’année dernière où il n’avait eu presque que des bonbons, et surtout, mieux que les lots de la kermesse de l’école maternelle, qui étaient emballés et qu’on choisissait au hasard. Il avait gagné des bracelets en plastique et un petit nounours de bébé !
Compare le dessin et la liste des cadeaux que Juju vient de gagner à la kermesse. Un cadeau ne figure pas sur le dessin, un autre est dessiné en trop. Trouve-les.
Satisfait, il décide de s’offrir un bonbon et dénoue le ruban qui maintient le sachet fermé. Il vérifie l’heure sur son radio-réveil qui indique 19 heures 25 minutes. Il lui reste cinq minutes avant d’aller se doucher. Il prend une gomme acidulée jaune et se demande déjà ce qu’il pourrait savourer ensuite (après tout, c’est jour de fête aujourd’hui, Maman n’y verra sûrement aucun problème), quand il découvre au fond du sachet un gros bonbon orange et transparent. Il ressemble à une sucette sans bâtonnet. Il est entouré d’un papier transparent sur lequel figure seulement l’inscription :
Demain
Même heure
Même endroit
Tu sauras
Juju n’en a jamais vu de semblable. Il le déballe et met sans y penser le papier dans sa poche. L’intérieur semble être liquide et forme de jolies vagues. Il a l’air tellement délicieux… Plus Juju le regarde et plus il a envie de le manger. Il est sûr qu’il n’a jamais goûté quelque chose d’aussi agréable. Il n’entend pas Maman qui lui signale depuis le bas de l’escalier qu’il est exactement 19h30 et qu’il doit aller se laver. Il ne voit pas non plus Benoît qui lui fait de grands signes depuis sa fenêtre, de l’autre côté de la rue. Il ne pense qu’à ce joli bonbon et au plaisir qu’il va avoir à le déguster.
Il ferme les yeux, ouvre la bouche, y dépose la boule orange… et dès qu’il la referme, il se sent glisser, glisser, glisser, comme sur un immense toboggan ! Il essaie d’attraper quelque chose pour se retenir, mais ses mains ne rencontrent rien à quoi s’accrocher. Il a rouvert les yeux mais la vitesse l’empêche d’y voir clair. Il glisse encore et BOUM ! il atterrit sur les fesses.
Etourdi par la chute, Juju secoue la tête et se remet debout… Il découvre qu’il est tombé sur un trottoir, dans une rue qui n’est pas la sienne. A sa gauche, à la sortie de la ville, une vache broute dans un pré. A sa droite, il voit plusieurs boutiques : une boulangerie, un glacier, un marchand de légumes.
En face de lui, une caserne de pompiers, avec ses gros camions rouges prêts à partir.
Une voiture bleue va passer devant la ferme, et une verte attend au feu rouge devant la boulangerie.
Juju ressent une impression étrange : il est sûr qu’il n’a jamais visité cet endroit, pourtant il pense le connaître. Il saurait dessiner les yeux fermés les tâches noires et blanches de la vache. Il peut réciter la liste des parfums inscrits sur la vitrine du glacier. Et dans la voiture bleue, il est sûr que le conducteur porte un chapeau un peu ridicule qui lui donne envie de rire.
Et tout à coup, il réalise que cette voiture n’a pas avancé depuis qu’il se trouve là. Pas plus que la verte. Et la vache n’a pas bougé !
Il se retourne alors et découvre derrière lui une étrange montagne. On pourrait la croire couverte de neige puisqu’elle est blanche, mais d’énormes dessins de chevaliers apparaissent au milieu. Exactement les mêmes que ceux de la housse de couette de Juju…
Alors il comprend tout : la montagne est en réalité son lit, vu de très, très bas. Quant à la rue devant lui, c’est l’une de celles qui figurent sur son tapis-circuit de voitures. Mais alors, ça veut dire que… JUJU EST DEVENU MINUSCULE !
Fin de l’épisode
J'étais très intriguée par ton projet de plateforme jeunesse, du coup je m'incruste =)
Je n'ai moi-même pas d'enfant, et aurais donc du mal à identifier ton lectorat cible, et analyser cet épisode du point de vue d'un enfant...
En revanche, j'aime beaucoup l'idée qu'il n'y ait pas de fil directeur, et que tu passes sans problème de l'univers "normal" de l'école, de la boulangère... et celui de Julien devenu minuscule ! Trop souvent je trouve, dans les dessins animés jeune public et "grosses productions" type Pixar/Disney, il y a un schéma narratif similaire : situation initiale, élément perturbateur, tels types de protagonistes... Selon moi ce schéma narratif a tout à fait sa raison d'être, ses qualités... mais se retrouve presque partout ! Tandis que tes choix laissent un peu plus de place à l'imagination =)
Par contre, je me permets de te faire part de 2 hésitations que j'ai eues à la lecture. La 1ère concerne la référence aux Spider-Man, Playmobil, Pokémon... Tu inventes de toutes pièces un univers à toi, autant en profiter jusqu'au bout et ne pas mentionner d'univers mainstream, que les enfants connaissent de toute manière ? Même si de telles références vont leur parler, je ne pense pas qu'elles soient nécessaires à l'identification des petits au personnage de Julien.
2e interrogation, plus dans le détail : j'ai tiqué sur la description de la boulangère ("Et elle est très jolie !"). La jeune féministe qui sommeille en moins se dit que réduire la boulangère à un physique avantageux n'apporte rien à l'histoire (d'autant que tu prévois des illustrations), si ce n'est continuer dans les clichés de jeune femme = jolie = pas grand chose d'autre que jolie... Après, je sais que je suis très tatillonne sur le sujet !
En tout cas, merci pour cette petite lecture du midi, et à très vite =D
Liné
Merci d'avoir lu et commenté !
Je suis contente si tu trouves que je me démarque un peu : le thème de l'enfant qui devient minuscule étant loin d'être nouveau, il fallait qu'il y ait un peu d'originalité.
En ce qui concerne tes hésitations... Je dois avouer que personne n'avait relevé avant toi et que je ne me suis pas posé de questions là-dessus, après l'avoir écrit... mais je suis complètement d'accord avec toi ! Je crois que dans les deux cas, j'ai tout simplement cédé à la facilité.
Pour ce qui est des références à Pokémon et Spider-man, je crois que c'était une façon inconsciente d'accrocher mes jeunes lecteurs en leur servant sur un plateau des choses familières qu'ils aiment. On peut effectivement s'en passer. Quant à Playmobil et Lego (dans l'épisode 2), c'est moins évident car ils me servent à illustrer la taille de Juju, auprès d'enfants pour qui les centimètres n'évoquent pas grand chose... mais je pourrais en effet me faire un peu violence pour trouver autre chose.
Pour le "Et elle est très jolie !", ça n'a rien de réducteur de ma part (je suis moi aussi assez sensibilisée au sujet : élevée par une maman ayant toujours défendu passionnément l'égalité homme-femme), et d'ailleurs, je ne crois pas que monter et tenir une boulangerie soit "pas grand chose d'autre que jolie" ;). Là-dessus, je plaide non-coupable. En revanche, encore une fois, j'ai cédé à la facilité : je crois que j'avais écrit ça pour expliquer l'attachement des 2 garçons à la boulangère. C'était plutôt "jolie comme une fée", quoi... mais il est sans doute préférable d'avoir d'autres arguments !
Bref, je vais modifier tout ça et je te remercie pour la pertinence de tes remarques !
En ce qui concerne les illustrations, il faut que je me mette à chercher (je rêve de pouvoir le faire moi-même mais j'ai beau chercher, je n'ai aucun talent !). Mais je trouve ça difficile de projeter le book d'un illustrateur sur son propre projet.
Merci pour ta lecture et ton commentaire !