L'AGENCE
EPISODE 2
Planet Of The Kongs
La Zone 51.
Le désert américain, aride et sec.
Coincé à l’arrière d’un van entre deux militaires, Gene Redford desserrait sa cravate pour respirer un peu. Le van filait à travers le désert, vers un lointain préfabriqué. Le bruit du moteur couvrait la voix d’une jeune femme assise à l’avant du van et qui parlait à Gene. Elle se faisait appeler le Colonel Jones.
Il était venu pour un entretien d’embauche. Il ne s’attendait pas à rouler vers la Zone 51, encore moins entouré de militaires aux visages burinés !
Ils arrivèrent aux abords du préfabriqué et sortirent du van. Les militaires se postèrent autour du petit bâtiment et regardèrent aux alentours. La jeune femme qui l’avait accueillie quand le bus l’avait déposé aux limites de la Zone lui fit signe de la suivre. Ils se dirigèrent vers la porte et ils entrèrent.
L’intérieur était vide, sans meubles ni rien. Un peu de peinture avait été passée, par politesse. Gene Redford regarda autour de lui, sans trop comprendre. Il jeta un regard inquiet à la jeune femme qui pilotait sur son portable.
- Euh… excusez-moi, mais où allons-nous passer l’entretien ?
- Sous vos pieds, répondit la jeune femme avec un sourire en biais.
Il la regarda avec un air stupide. Elle appuya sur son écran tactile et le sol s’ouvrit sous leurs pieds. Pas littéralement, bien sur, sinon ils seraient tombés dans un trou qui semblait sans fond. Le sol s’était juste dissipé comme un hologramme pour laisser place à un sol de verre.
La jeune femme appuya sa main sur un mur, et une petite plaque s’enfonça. Soudainement, le sol se déroba sous leurs pieds et ils descendirent, comme s’ils étaient à l’intérieur d’un ascenseur.
La cellule bougea de plus en plus vite dans les cavités souterraines. Gene voyait parfois d’autres cavités courir dans la terre. Il eut beau chercher dans sa mémoire, il ne se rappelait pas avoir entendu parler de telles constructions. La jeune femme continuait de pianoter sur son portable. Vu qu’elle ne parlait pas, il sortit le sien, juste pour voir s’il captait.
- Qu’est-ce que vous faites ? lui demanda-t-elle, levant soudainement le regard.
- Euh… je vérifie si on capte… dit-il.
- Putain, ils vous ont pas retiré le portable ?!
- Qui ?
Elle paraissait affolée.
- Eh ben ! Les militaires ! ah ! je leur avais pourtant demandé ! Passez-moi votre cellulaire !
- Euh… J’ai droit à quelques explications tout de même.
- C’est une question de vie ou de mort ! hurla-t-elle.
- Ok !
Habitué à recevoir des ordres, il lui tendit son portable précipitamment, mais il lui sauta des mains. Il regarda son portable de manière incrédule ; il se tortillait par terre, comme un insecte qu’on aurait renversé.
- Merde ! jura le colonel Jones.
Elle fouilla dans son dos, au niveau de sa ceinture tout en gardant son regard rivé sur le portable. Elle brandit un automatique et tira. Le son emplit tout l’habitacle et Gene Redford se couvrit les oreilles en se réfugiant dans un coin. Il eut peur que la balle rebondisse mais quand il rouvrit les yeux, il vit qu’elle s’était écrasée au sol, laissant une marque noire fumante. Il reconnut des balles explosives. Gene vit aussi que son portable était accroché au plafond et que quelque chose le faisait grimper aux parois en verre. Il écarquilla les yeux en comprenant. Une main pixellisée était sortie du portable et lui permettait de se déplacer.
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! hurla Gene.
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! se moqua sa propre voix, en provenance du portable.
- Un virus biotechnologique, répondit la jeune femme en levant son automatique.
La main bondit de la paroi vers Gene Redford, ses anciens réflexes de militaire lui firent lever les bras pour se protéger. La détonation du pistolet couvrit son cri et le portable explosa en plein vol.
- Faut éviter d’acheter des Samsung, ironisa Jones en rangeant son arme. Ca va ?
Gene se tourna lentement vers elle, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte, et les jambes tremblantes. Elle fit la moue.
- Ca va pas, de toute évidence…
Δ
Gene Redford but une longue gorgée d’eau. Il était au milieu d’une salle qui ressemblait à s’y méprendre à une salle d’interrogation, et le colonel Jones était assise en face de lui. Elle le regardait d’un air inquiet.
- Ca va mieux ?
- Oui… on peut dire ça, répondit-il.
On l’avait emmené ici au travers d’un dédale de couloirs et de salles de réunions. L’ascenseur souterrain semblait l’avoir propulsé dans une start-up de la Silicon Valley. Tout le monde se baladait en jean et en chemise, l’ambiance était décontractée. Gene ne savait pas du tout où il se trouvait. Il n’avait pas aperçu la moindre fenêtre ; il supposait qu’ils étaient encore sous terre. Mais ce qui le dérangeait le plus, c’était le souvenir de cette monstruosité qui s’était emparée de son portable.
- C’était quoi ce truc ? finit-il par demander.
- Un virus biotechnique. Quelque chose qui est né dans les profondeurs d’Internet, probablement de la main d’informaticiens malhonnêtes, et qui s’est répandu dans la réalité. La particularité de celui-ci est qu’il se matérialise seulement via des portables et leurs réseaux téléphoniques. Au sein de l’Agence, nous utilisons un réseau téléphonique sécurisé pour éviter ce genre de… contretemps. C’est pour ça que j’ai voulu récupérer votre portable. Ne vous inquiétez pas, on vous le remboursera.
- Ok… J’ai jamais entendu ce genre de truc… Et c’est quoi cette Agence ? Dans quel merdier me suis-je embarqué ?
La jeune femme s’alluma une cigarette.
- Vous en voulez une ? demanda-t-elle en lui tendant le paquet.
- Volontiers, répondit-il en se penchant pour en prendre une.
- Alors, en résumé… l’Agence est un organisme indépendant chassant, exterminant et confinant les phénomènes paranormaux comme celui que tu as vu tout à l’heure. Nous agissons en secret, mais nous avons des connections avec tous les grands de ce monde. L’Agence se divise en trois principales catégories : les chasseurs, qui traquent tous les phénomènes dans le monde entier et les classent par ordre de dangerosité ; les guerriers, qui sont chargés d’exterminer les phénomènes trop dangereux ; et les gardiens, qui confinent et étudient les phénomènes.
- Dites à vos gardiens de mieux faire leur boulot, alors, parce que le virus chelou biotechnique est en liberté.
Jones sourit et souffla un peu de fumée.
- Vous réagissez plutôt bien aux phénomènes paranormaux. Certaines personnes perdent conscience ou sombrent dans la folie. Vous vous en sortez bien.
- Ca veut dire que je suis pris ? ricana-t-il.
- Le boulot vous intéresse toujours ? s’étonna-t-elle.
- Quel boulot ? Je ne sais même pas dans quoi je mets les pieds !
- Eh bien je viens de vous le décrire. Vous mettez les pieds dans l’organisme de défense international le plus important de la planète. L’ONU, à côté, c’est du pipi de chat. Chez nous, pas de conflit politique ni économique, on se préoccupe de la sécurité de la Terre, point final.
- Vous êtes un peu les Men in Black.
- Si vous voulez. Mais parlez-moi un peu de vous. Présentez-vous.
Gene aspira une grosse bouffée de fumée et la recracha, mettant ses idées en ordre.
- Armée de terre, sixième bataillon, Irak. J’ai passé toute ma carrière dans cet enfer. C’est moi qui ai remonté la piste d’Al-Zarquaoui avec le colonel McCrystal. Multi-décoré. En 2006, j’ai pris ma retraite anticipée, à cause d’un éclat d’obus. La crise des subprimes est passée par là, et ruiné, j’ai du trouver quelque chose. De 2010 à maintenant, j’ai enchaîné les petits boulots : videur de boîte de nuit, chauffeur privé, agent de sécurité, garde du corps… Vous voyez le genre. Dès que j’ai vu votre annonce, j’ai sauté dessus.
- Pourquoi ?
- Le salaire et la sécurité de l’emploi que vous vendiez. Vous savez, j’ai trente cinq ans, et j’en ai ma claque des jobs intérimaires. Je veux me caser et être tranquille.
- Vous pouvez être rassuré, quand vous entrez dans l’Agence, c’est pour la vie.
Il sourit à cette remarque, pensant que c’était une blague, mais le visage du colonel Jones était on ne peut plus sérieux.
- De la famille ? demanda-t-elle.
- Orphelin, dit-il. Jamais connu mes deux parents. J’ai été marié une fois, et divorcé, deux fois.
- Comment c’est possible ? s’étonna-t-elle.
- Vous ne préfèreriez pas le savoir.
- Ok. Je vous prends au mot. Bon, vous m’avez l’air d’avoir le profil parfait. Vous n’avez pas peur des fantômes ?
Gene sourit et remonta le col de sa manche. La phrase « I kill ghost for lunch » était tatouée. Le colonel haussa les sourcils, amusée.
- Quand est-ce que je commence ?
- Aujourd’hui ! s’écria-t-elle. Première mission d’essai. Si vous réussissez, vous êtes embauchée. Ca vous va ?
Redford parut surpris. Il hésita un court instant, haussa les épaules et approuva d’un bref hochement de tête.
Δ
- Je vous présente mon équipe de guerriers : l’agent 40, l’agent 32, l’agent 05 et l’agent 12, annonça le colonel Jones.
Gene Redford se trouvait dans une salle d’armurerie. Il y avait toutes sortes d’armes accrochées au mur : grenades, sabres japonais, fusil d’assaut, arme de poing, bazooka, shuriken, épée médiévale, et j’en passe… Devant lui se trouvait des soldats d’élite, les « guerriers » : des gros-bras dans la veine de Vin Diesel, des durs à cuire à qui on ne la faisait pas, et qui avaient certainement vu plus de trucs bizarres que Hoover lui-même.
Le colonel Jones tenait entre ses mains un Ipad noir chrome.
- Les gars, je vous demande d’être sympa avec notre nouvelle recrue. D’être délicat. Un peu comme si vous deviez déflorer une vierge, en gros, fit-elle avec un sourire sarcastique.
Gene remarqua que son comportement avait changé. Abordable et même sympathique quand elle l’avait accueillie et lui avait fait passé son entretien, elle était maintenant brute de décoffrage et autoritaire. Elle gardait quand même une fraîcheur qui avait l’air de la rendre séduisante en toutes circonstances.
Un des agents, 32, mâchouillait de la chique. Il lança un regard amusé à Gene et lança :
- Une vierge comme lui, non merci.
Gene lui rendit son regard mais ne dit rien. Il valait mieux garder sa violence pour la mission.
- Bon, aujourd’hui, on a une mission un peu particulière, ça se passe dans un autre univers.
- Ah yes ! fit l’agent 05, j’adore les missions parallèles !
- Ouaip, enfin t’excites pas trop, 05, là c’est du lourd, le recadra Jones. Vous connaissez King Kong ? demanda-t-elle à Gene.
- Euh… Oui, c’est le gros singe ?
- Voilà. Apparemment, il y a eu trop de films sur le personnage, ce qui a conduit l’inconscient collectif a imaginer et créer un univers parallèle où le « gros singe » existe vraiment. Sauf qu’il a toute une famille et qu’ils ont botté le cul aux USA. Dans cet univers parallèle, c’est les King Kong qui font la loi et le reste de la civilisation humaine se terre dans des abris de fortune en essayant comme ils peuvent de survivre. Notre mission sera de mettre fin au joug des King Kong. Ok ?!
- Ouaip ! firent en cœur les guerriers, à part l’agent 12 qui souffla, l’air las.
- Y a un problème, agent 12 ? fit le colonel Jones.
- Non, mon colonel, répondit celui-ci avec une voix qui voulait dire le contraire.
- Le problème, c’est que le colonel ne l’a pas sucé hier soir, ricana l’agent 32.
La réponse du colonel Jones fut plus rapide que l’éclair. Sa jambe s’éleva comme un ressort pour venir s’encastrer dans le visage de l’agent. Il y eut un craquement sourd et l’homme tomba au sol, inconscient. Le silence s’imposa dans l’armurerie. La jeune femme regarda ses hommes un par un, la jambe toujours tendue.
- D’autres commentaires aussi pertinents ? demanda-t-elle.
On aurait pu entendre une mouche voler. Elle reposa son pied.
- Très bien ! Munissez-vous de vos armes favorites ! Prenez-en de lourdes, on est une équipe réduite maintenant !
Sur ce, elle partit dans une autre pièce. Les guerriers s’affairèrent donc à choisir leurs armes. Gene s’approcha de l’agent 12.
- Attends, mais c’est sérieux votre truc ? On va vraiment voyager dans un univers parallèle ? Peuplé de King Kong ?
L’agent 12 se retourna avec une expression de profonde lassitude. Gene eut l’impression qu’il le faisait chier, mais les yeux de l’agent cachaient autre chose qu’une lassitude, quelque chose de plus profond et de plus insondable
- Ouaip, fit-il d’une voix traînante. La mission s’appelle Planet Of The Kongs…